On connut, formulée dès le Siècle des Lumières, l'idée que l'histoire obéit à un "progrès" et qu'un processus inexorable est à l'oeuvre dont les hommes sont davantage les instruments inconscients que les acteurs réfléchis. Sur cette base, toute une hiérarchie des cultures s'édifia - la nôtre au sommet, bien sûr ! - quoique dès cette époque, certains, tel le philosophe allemand, Johann von Herder (1744-1803), soutenaient que chaque grande civilisation atteint à un "point de perfection" incomparable, après quoi il ne lui reste plus qu'à décliner et à disparaître. Aux temps contemporains s'en déduisit - je fais vite et dresse l'esquisse à très gros traits - la notion si maladroite de "relativité des cultures", avec son cortège de problèmes insolubles, dont le plus équivoque peut être formulé de la façon suivante : au nom du respect de pratiques différentes des nôtres n'est-on pas conduit à s'interdire tout jugement de valeur par exemple sur l'excision ou le cannibalisme ? Avec cette conséquence, en forme d'impasse, que tout notre système de valeurs, incluant les droits de l'homme, ne sont que des productions sociales et historiques particulières, qui n'invitent en rien à l'universalité. Passons ! Mon propos n'est pas de revenir sur ce débat archi-rebattu, mais de marquer le piège dans lequel on s'enferme à présenter le problème en ces termes.
Ne serait-on pas mieux avisé de remplacer la notion close de "relativité" par celle, plus ouverte, de "variété" ? De voir dans les productions "culturelles" (philosophiques, religieuses, esthétiques, etc.) de l'esprit humain la richesse des diverses expressions de notre présence au monde qui, pour multiples et différentes qu'elles soient, ne sont pas infinies, ni incapables, sous quelques conditions, d'échanger entre elles ni de s'entendre ? Je pose la question tout sommairement en complément du dernier billet.
A quoi bon la "culture", entendue cette fois-ci au restreint, si elle n'est pas une manière de travailler à cette ouverture aux autres qui est un enrichissement et une formation de soi, non une manière de scier la branche sur laquelle nous sommes assis et de tout ramener à l'équivalence vide du "tout se vaut" ou, pire encore, du "tout est permis". Notre tradition humaniste, tirée de Montaigne, invite à cette ouverture attentive, curieuse, bienveillante et critique, au différent, mais c'est à tort qu'on voudrait que cette qualité de tolérance débouche inévitablement sur un nihilisme auto-destructeur. Il n'est pas impossible de cheminer sur cette ligne de crête qui évite la chute entre les deux abîmes que sont, d'une part, l'arrogance impérialiste et, d'autre part, la négation complaisante et mutilatrice de ce que nous sommes et de ce que à quoi nous croyons.
Mon Dieu ! Que tout cela est trop vite dit...
Le philosophe Jacques Dewitte a écrit sur ce thème un fort beau livre qui mérite d'être lu (L'exception européenne : Ces mérites qui nous distinguent, Editions Michalon, 2008).
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