A cette occasion, je republie ici l'article que j'avais rédigé à l'époque, mais qu'aucun journal n'avait voulu prendre, et qui, au-delà de cette affaire retentissante, porte sur le problème posé par la notion d'"intime conviction".
"Un homme de soixante-dix ans bientôt, Maurice Agnelet, vient d’être condamné à 20 ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Au terme d’un procès qui aura duré près d’un mois, et dont j’ai suivi les audiences, aucune preuve matérielle de son implication, moins encore de sa culpabilité dans la disparition d’Agnès Le Roux n’a pu être apportée. Personne n’est en mesure de savoir ce qu’il est advenu de cette jeune femme de 29 ans, dont Maurice Agnelet était l’amant, ce jour de fin octobre ou début novembre 1977 où elle a quitté son domicile niçois. Crime, fuite volontaire sans retour, suicide, accident ? Il a été objectivement et matériellement impossible de savoir laquelle de ces hypothèses correspond à une réalité qui, à ce jour, reste une totale énigme. Qu’il y ait eu meurtre, cela même n’a pu être établi, puisque Agnès Le Roux n’est jamais réapparue et que son corps n’a pas été retrouvé. La question du où, quand, comment ? le crime aurait-il été commis est restée sans réponse.
Sur quoi les jurés ont-ils pu se fonder pour arriver à un tel verdict, qui contredit l’acquittement dont Maurice Agnelet avait bénéficié en première instance ? L’intime conviction. La notion n’appelle pas au sentiment et à l’appréciation subjective des juges. Elle repose sur une analyse raisonnée des éléments à charge présentés par l’accusation et le ministère public. « L’intime conviction ne signifie pas que l’on peut condamner sans preuves, mais simplement que l’on ne demande pas de compte au juge de la façon dont, à partir de preuves fournies, il est parvenu à une certitude »1.
Or, dans cette affaire, malgré le réquisitoire fleuve de l’avocat général, de preuves, il n’y en a aucune.
La question n’est pas de savoir si Maurice Agnelet est coupable ou non, s’il a dit la vérité ou s’il a menti au cours des dizaines d’années qu’a duré l’instruction, s’il est homme digne de foi ou non, si sa personnalité est sympathique ou détestable. Elle est de savoir si l’on peut légitimement accuser et condamner un homme en l’absence totale de preuves, sur la base de simples conjectures, d’interprétations inévitablement discutables d’obscurs indices et de témoignages peu fiables, surtout à trente ans de distance des faits. Pas de corps, pas d’arme, pas de scène de crime. Rien. Juste la disparition d’une jeune femme, belle, riche et dépressive, qui laisse derrière elle un immense trou noir. C’est au motif de ce défaut de connaissance de ce qui s’est réellement passé, qu’un non-lieu avait tout d’abord été prononcé en 1986, puis, de toute évidence, que Maurice Agnelet avait été acquitté en 2006, par la Cour d’assises de Nice, en première instance, après que l’affaire a été rouverte.
On peut estimer que nous avons affaire là à une des plus graves erreurs judiciaires des dernières décennies. Ou, inversement, que justice a été rendue, comme l’ont proclamé certains à l’issue du verdict. Je ne disputerai pas ce point. Qu’au regard de la vérité insondable des faits, les jurés de la cour d’assises d’Aix-en-Provence aient eu raison, cela se peut. Mais l’on ne saurait en décider que du point de vue de celui qui connaît ce qui nous est caché. Or, ce point de vue nous est à tout jamais inaccessible. La justice des hommes n’est pas le jugement de Dieu. La justice humaine n’a d’autre fondement que ce qui est su et démontré avec assez d’évidence pour autoriser légitimement la société à priver un homme de sa liberté. La sécurité des citoyens dans un Etat de droit repose sur ce principe essentiel et elle se paye du prix qu’il est, en effet, possible qu’un homme coupable échappe à la justice de ses semblables, tout simplement parce que la preuve de sa culpabilité fait défaut et que le doute doit lui bénéficier. Faute de quoi, il n’est personne qui ne puisse un jour ou l’autre se trouver mis en cause et même conduit en prison.
Dans cette affaire, le principe de l’intime conviction des jurés a révélé sa terrible fragilité. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’institution du jury populaire dans notre procédure criminelle. Mais il s’agit de défendre le droit de chacun d’entre nous à être protégé contre une justice qui n’a pas à rendre raison de ses jugements, pas même lorsqu’elle altère le sens philosophique et juridique de l’intime conviction qui n’est pas et ne saurait jamais être un substitut à l’absence de preuves.
On ne peut que se désoler du fait que cette Cour d’assises, composée de douze jurés et de trois magistrats professionnels, ne s’en soit pas tenue – comme il semble - à une interprétation stricte de ce principe. Qu’on le sache : la condamnation de Maurice Agnelet nous fait entrer désormais dans une terrifiante insécurité".
Le pourvoi formé par les avocats de Maurice Agnelet, François Saint-Pierre et Jean-Pierre Versigny-Campigny, repose sur sept «moyens» (motifs). "Selon plusieurs juristes consultés par Le Figaro, le plus solide est le troisième. La défense estime que le rejet de conclusions écrites déposées au tout début du second procès - et affirmant que le droit d'être jugé dans un «délai raisonnable» exigé par la Convention européenne des droits de l'homme était en l'espèce bafoué - pose problème. La phrase suivante de l'arrêt est pointée du doigt : «Les conditions de la disparition d'Agnès Le Roux n'ont pu être déterminées que tardivement et en raison notamment des déclarations mensongères de Maurice Agnelet et de son épouse Françoise Lausseure.» Selon la défense de l'ex-avocat, «en affirmant ainsi avant les délibérations le caractère mensonger des déclarations de l'accusé et de son épouse dans le cadre de la procédure ancienne, la cour a pris parti sur la valeur et la portée du système de défense du requérant dans le présent procès».
Le jugement de la Cour de cassation sera rendu d'ici une à deux semaines. A suivre donc
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