On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

lundi 22 septembre 2008

Petit syllogisme simpliste et au-delà

Les démocrates, on le sait, sont plus à gauche de l'échiquier politique américain que les républicains. Et à gauche, c'est bien connu, on est davantage partisan de l'intervention de l'Etat dans divers domaines cruciaux de la vie sociale (santé, éducation, etc.) qu'à droite où l'on se confie aux vertus du marché auto-régulé. Conclusion en forme d'argument électoral : les présidents démocrates sont plus dépensiers et augmentent davantage la dépense publique et la dette de l'Etat, déjà considérable, que ceux de droite. Eh bien, ce préjugé courant, tiré d'un petit syllogisme simpliste, est faux. En voici la preuve graphique.



Faut dire qu'entre le coût de l'intervention en Irak et la mécanique de nationalisation larvée des banques d'affaires dont les folles dérives résultent de la politique de dérégulation tous azimuts - ce grand credo de la politique libérale des Chicago Boys, disciples de Milton Friedman - entreprise depuis les années 80, y avait de quoi faire sauter la banque, comme on dit au casino. Sauf que là les républicains n'ont pas joué gagnant, que ce sont les contribuables américains qui vont payer la note (près de deux mille dollars par ménage) et que les conséquences mondiales de la crise actuelle sont encore totalement imprévisibles et largement à venir.
On voudrait croire que les principes utopiques et abstraits de l'idéologie néo-libérale - une sorte de solution miracle à tous les problèmes économiques et sociaux et qui fut exportée dans le monde entier pour la plus grande destruction des sociétés contraintes de l'adopter, ainsi que l'explique Noami Klein (La stratégie de choc. La montée d'un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008)- aient vécu. La chose reste à prouver. On dira que la critique est "simpliste" et qu'elle est partisane, mais il faut examiner de près combien le modèle repose lui-même sur des postulats théoriques aussi abstraits que simples et combien, appliqués aux sociétés humaines avec la même brutalité innocente que l'idéologie marxiste de l'ancien temps et la même prétendue "scientificité, il montra et continue de montrer ses effets dévastateurs. Au reste, c'est toujours ce qui advient lorsqu'une idéologie, de quelque bord qu'elle soit, entreprend de faire "table rase" de la réalité et de réorganiser une société donnée sur la base de ses principes, prétendument rationnels et scientifiquement vrais.
Historiquement, la pensée libérale classique s'est élaborée comme une critique radicale de cette conception rationaliste, d'essence cartésienne, de l'organisation de la société resultant d'un plan idéal et purement théorique et qui pour s'appliquer exige et appelle de ses voeux une crise sociale totale, telle la Révolution française. Et la critique reposait à l'époque sur le constat qu'une telle conception conduit inévitablement à légitimer les plus grandes violences faites aux hommes. Il est étrange de constater que, sous sa forme contemporaine - telle qu'elle fut théorisée par des hommes comme Friedrich Hayek ou Milton Friedman - la pensée néo-libérale est tombée dans ce funeste travers que dénonçaient pourtant les pères fondateurs du libéralisme. Car, de fait, ce qu'elle demande à son tour, c'est qu'à la faveur d'une crise qui ébranle toutes les structures de la société et de l'Etat - si, à la différence des révolutionnaires marxistes, elle ne la suscitera pas, elle se réjouira comme eux de son advenue - soient implacablement mis en oeuvre les deux principes qui forment son credo et définissent sa martingale magico-rationnelle : restriction de l'Etat à ses tâches assurantielles minimales (sécurité du territoire et administration de la justice) et, pour le reste, confiance absolue dans la vertu d'auto-régulation du marché (comme libre espace d'échanges des biens et des services). Le poète anglais Carlyle avait donné un nom à cet idéal utopique : la "fabrique du diable", the satanic mill, qu'analyse et dénonce Karl Polanyi dans un livre célèbre, La grande transformation (Gallimard, 1983).
Mais je vois que je me suis laissé imprudemment entraîné bien au-delà de mon intention première de montrer ce que certains préjugés ont de faux. Comme si le sujet dont je viens de parler pouvait se résumer à ces quelques considérations générales. Allez plutôt lire ou consulter les différents numéros que la Revue du Mauss consacre à ce thème et dont les analyses sont d'une tout autre ampleur.

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