Tribune parue dans le journal La Croix de ce jour :
S'il fallait retenir une seule leçon de la pensée de Marx, ce n'est pas que les lois de l'économie déterminent de façon implacable les sociétés modernes, mais que les individus sont, par leur travail, les uniques créateurs de la richesse et du profit. L'idée même qu'il existerait des lois de l'économie comparables aux lois de la physique, et qui s'imposeraient aux hommes à la manière d'une nécessité est une fiction, la plus redoutable de toutes les fictions théoriques jamais inventées. Les sociétés humaines sont et seront toujours ce que les hommes en font, même si historiquement cette liberté était réservée à une minorité de privilégiés. Or la démocratie libérale, telle qu'elle s'est constituée depuis la fin du XVIIIe siècle, repose sur la revendication des citoyens d'être les auteurs et les acteurs de la société à laquelle ils appartiennent, de pouvoir sans contrainte et à égalité choisir les institutions, les principes de distribution et les grandes orientations des politiques publiques qui organiseront la vie sociale. La règle du jeu démocratique exigera sans doute de chacun qu'il accepte les choix de la majorité qui n'avaient peut-être pas sa faveur. Mais un tel consentement n'a jamais le caractère de la soumission aux lois a priori de la nécessité.
Le drame, aujourd'hui, des démocraties tient au fait que les individus se sentent et, de fait, se trouvent dépossédés de toute véritable liberté et responsabilité politiques, dès lors que la politique se montre, dans son impuissance, soumise aux contraintes de la rationalité économique. Le résultat, au bout du compte, est que nous n'avons plus le sentiment de vivre dans un monde que nous avons choisi et que nous pourrions encore choisir selon des alternatives – des choix de société – soumises à discussion et controverse. Tout se passe comme si une dynamique de transformation des sociétés humaines, impossible à maîtriser – la loi du progrès technologique et de la croissance - et tendant à l'uniformisation, se déployait selon une logique propre qui nous assujettit plus que nous n'en sommes les maîtres. Cette dynamique ne pourrait pourtant pas se réaliser sans notre activité. Le système est notre invention, il n'a aucune autonomie. La raison économique, ce sont des hommes qui la théorisent, la mettent en œuvre et transforment le monde selon ses commandements. En soi, elle n'est rien. Au reste, aucune civilisation, hormis la nôtre, n'en est jamais venue à encastrer aussi totalement – et la tendance est mondiale - la société dans l'économie. La réalité nous échappe, mais nous l'avons créée et continuons de nourrir le monstre. Le paradoxe est effrayant et, posé en ces termes, il dit la cause principale de cette crise de la politique à laquelle nous assistons depuis des décennies.
Il faudra pourtant se reprendre parce qu'il est une obligation qui, elle, s'impose déjà avec une urgence extrême, à savoir la sauvegarde d'une terre habitable. Qu'il existe à l'avenir encore un monde dans lequel les hommes puissent vivre, aimer, lutter, s'épanouir, n'est pas une nécessité inscrite dans l'ordre des choses. Et c'est justement parce que ce n'est pas une nécessité qu'elle engage notre responsabilité commune. Cette responsabilité est politique parce qu'elle est autant collective qu'individuelle. Si nous laissons à nos enfants, à nos petits-enfants, une terre dévastée, ils ne s'en tiendront pas à l'excuse qu'une nécessité était à l'œuvre et que nous ne pouvions pas faire autrement. L'argument a déjà servi. Les hommes ne savent peut-être pas l'histoire qu'ils font, mais ils sont les seuls à la faire. De là notre responsabilité inaliénable.
On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
vendredi 28 février 2014
vendredi 21 février 2014
Villa Gillet, Les forces obscures
En écho au festival dédié aux œuvres de Benjamin Britten, Peter Grimes, Le Tour d'écrou, Curlew River, la Villa Gillet organise à l’Opéra de Lyon une rencontre-débat, mercredi 26 février, sur le thème "Les forces obscures", à laquelle je participerai en compagnie de Lionel Obadia, anthropologue, et de Michel Schneider, psychanalyste et écrivain.
En voici la présentation :
"D’une grande modernité, l’œuvre de Benjamin Britten, compositeur majeur du XXème siècle, n’a eu de cesse de s’attacher à des questions dérangeantes : marginalité, folie, homosexualité, souillure morale... Ces thèmes qui traversent son oeuvre serviront de point de départ à ce débat. L’art, la philosophie et la psychanalyse interrogent la capacité humaine au mal. Face à ce scandale, l’artiste n’aurait-il pas lui aussi la capacité à en saisir le mystère et à révéler les forces obscures de la psyché ? Comment s’articulent volonté et perversion ? Comment saisir les monstruosités intérieures d’un individu et les articuler avec une époque ? De quelle manière pouvons nous encore penser le mal aujourd’hui ?"
www.villagillet.net
En voici la présentation :
"D’une grande modernité, l’œuvre de Benjamin Britten, compositeur majeur du XXème siècle, n’a eu de cesse de s’attacher à des questions dérangeantes : marginalité, folie, homosexualité, souillure morale... Ces thèmes qui traversent son oeuvre serviront de point de départ à ce débat. L’art, la philosophie et la psychanalyse interrogent la capacité humaine au mal. Face à ce scandale, l’artiste n’aurait-il pas lui aussi la capacité à en saisir le mystère et à révéler les forces obscures de la psyché ? Comment s’articulent volonté et perversion ? Comment saisir les monstruosités intérieures d’un individu et les articuler avec une époque ? De quelle manière pouvons nous encore penser le mal aujourd’hui ?"
lundi 17 février 2014
Un monde tortionnaire
Géopolitique, le débat animé par Marie-France Chatin, sur RFI, dimanche 16 février, auquel j'ai eu le plaisir de participer avec Serge Porteli, magistrat et Jean-Etienne Linares, délégué général de l'Action des Chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), dont le rapport annuel dresse un état des lieux des pratiques tortionnaires dans le monde.
www.rfi.fr
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