On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

mercredi 1 septembre 2021

La protection du secret, un principe mal en point.

Conférence donnée au Barreau de Rouen, le 26 août 2021


Que le secret doive être protégé de toute indiscrétion, cela va de soi : il est de la nature même du secret de ne pas être divulgué. Le secret désigne une information confiée à une personne spontanément choisie dans le cadre de relations privées, et cette confidence voue au silence le dépositaire qui devra rester muet comme une tombe. La sphère de ceux qui le connaissent sera peut-être élargie aux proches, et le secret connu pourra être sordide, à l'instar de ces « secrets de famille » qui couvrent d'une ombre glauque des actes ou des faits voués à une clandestinité toxique, parfois de générations en générations. S'y associent alors, non plus la confiance et la discrétion, mais le mensonge, l'hypocrisie ou le non-dit pathogène. Oscillant entre le souhaitable et l'inquiétant, ce qui doit être protégé ou au contraire dénoncé, avec généralement quelque chose de lourd et d'ombrageux, le secret se présente comme un objet à double face. Mais que le secret doive faire l'objet d'une protection d'ordre public parce qu'il est lié à un intérêt social majeur, voilà qui va à l'encontre de nos idées premières. Tel est pourtant le cas dans le domaine du droit qui consacre, autant par la loi que par la jurisprudence, la nécessité de protéger le secret. Le Code pénal punit l'atteinte au secret des correspondances (art. 226-15) autant que la violation le secret professionnel. S'agissant du secret défense, également protégé par le Code pénal, et dont l'importance ne saurait être ignoré, il est davantage de nature politique. Le secret professionnel, auquel nous nous intéresserons principalement, prononce un interdit. Le code pénal punit, en effet, « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire » (art 226-13). Du fait de son caractère inviolable, il connaît peu d'exceptions.
Il y a là quelque chose qui heurte nos idées socialement partagées, surtout à une époque qui voit dans la transparence une sorte de bien en soi, tout de nos vies étant appelé à se montrer, à s'exhiber, à s'exposer, au détriment de l'attachement autrefois accordé à l'intimité, à la discrétion et, au plan des principes, à l'inviolabilité de la sphère privée. Et lorsque s'y ajoute la divulgation (souvent par voie littéraire) d'actes quasi incestueux commis par certaine personnalité notoirement connue dont les proches se sont toujours tus, la fureur est à son comble. Reconnaissons-le : aujourd'hui le secret n'a pas bonne presse !
Bien qu'il en soit ainsi, nous sommes cependant attachés à l'assurance que ce que nous dirons dans un cabinet médical ou dans le bureau d'un avocat ne sortira pas de l'enceinte de ces murs. Nous nous trouvons ainsi confrontés à une série de paradoxes et de tensions contradictoires  : d'une part, l'attachement à la protection juridique de la parole confiée dans l'espace clos de relations à la fois personnelles et professionnelles, et l'ambiguïté que nous entretenons généralement à l'endroit du secret qui, selon les cas, doit être scrupuleusement conservé ou, au contraire, dénoncé. Rapportées à la réalité des situations et des rapports humains, aux conflits et dilemmes qu'ils engendrent, les solutions qui se présentent – ce qu'il y a lieu de faire - sont rarement aussi claires et simples qu'on le souhaiterait. On le voit à propos des dons de gamètes ou de l'accouchement anonyme où la demande de vérité et d'accès à des informations tenues secrètes paraît tout à la fois légitime et source de problèmes complexes, éthiques et psychologiques.
Pour clarifier les choses, remarquons cependant ceci : le secret que le droit protège n'est pas de nature politique, il porte sur des relations professionnelles qui, sans cette assurance de discrétion, ne sauraient s'exercer convenablement. À l'inverse, le propre d'une société, constituée en corps politique, est de laisser le moins de place possible au secret, les politiques menées par l'État étant précisément des politiques publiques, appelées à être connues des citoyens et de leurs représentants (mises à part ce qui relève de la défense nationale) afin qu'elles fassent l'objet de débats, de discussions informées. Le secret que le droit protège ne relève pas de cet espace de publicité qui est le propre d'une société politique, laquelle est portée par nature à l'exclure ou à ne lui accorder qu'une place extrêmement restreint et souvent contestée (au titre du « secret défense »).
Ajoutons ceci : un des aspects distinctifs de la société démocratique libérale, c'est qu'elle s'interdit (à certaines exceptions près, légalement encadrées) de s'introduire dans la vie privée des individus laquelle, du point de vue de l'État, a pour vocation de rester secrète, clandestine, inviolable. Or c'est cette même vie privée qui aujourd'hui s'expose publiquement sur les réseaux sociaux. Cet appétit pour l'exposition publique de soi va à l'encontre de l'ethos du secret, de sorte que nous avons de plus en plus de mal à comprendre l'importance sociale du secret. Il en résulte que la protection que la loi lui accorde devient de plus en plus suspecte et contestée. On l'a vu récemment lors d'affaires hautement controversées mettant en cause des ecclésiastiques tenus au secret de la confession, dont le silence fut interprété comme une complicité coupable, passible de poursuites et de condamnations judiciaires. Les cas sont pourtant d'une complexité que l'opinion publique n'est nullement disposée à accepter, moins encore à examiner. Quant à l'inviolabilité de la vie privée, elle est hautement remise en cause par la multiplication des lois sécuritaires, issues de la lutte contre le terrorisme et, bien qu'elles réduisent dangereusement nos libertés fondamentales, elles sont généralement acceptées par une large majorité de citoyens. Là encore, la part laissée au secret, et, notons-le, à nos libertés, recule. Au terme de cette introduction – trop longue au regard des règles de l'art – nous pouvons dégager trois éléments saillants : la protection juridique dont bénéficie le secret, compris comme secret professionnel ; l'exclusion du secret de l'espace politique qui est, essentiellement, un espace de manifestation ; l'hostilité croissante de la société à la « valeur » du secret, qu'il s'agit, cependant, de restituer pour des raisons qui ne sont pas seulement juridiques.

La protection juridique du secret professionnel

Le professeur de droit, Hugues Moutouh, rappelle que le secret est « l'une des questions de droit les plus étudiées et les plus prisées des juristes ».1 En même temps, et paradoxalement, force est de constater que « la doctrine contemporaine ne s'est jamais vraiment intéressée au sujet.»2 Précision nécessaire, le secret dont parle le droit ne concerne pas le secret envisagé dans ses différents aspects (auxquels s'intéressera le psychologue, le philosophe ou le moraliste), mais uniquement le secret professionnel. Et Hugues Moutouh de citer les propos d'E. Garçon, commentant l'article 378 de l'ancien code pénal : « Le secret professionnel a uniquement pour base un intérêt social [souligné par moi]. Sans doute sa violation peut causer un préjudice au particulier, mais cette raison ne suffirait pas à en justifier l'incrimination. La loi la punit parce que l'intérêt général l'exige. Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n'étaient assurées d'un secret inviolable. Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion, et que le silence leur soit imposé, sans condition ni réserve, car personne n'oserait plus s'adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation d'un secret confié. Ainsi l'art. 378 a pour but, moins de protéger la confidence d'un particulier, que de garantir un devoir professionnel indispensable à tous. »
La notion de « confident nécessaire » est à distinguer du confident-ami choisi par ses qualités personnelles de discrétion : ici la confidentialité requise relève autant de la déontologie que du droit. Le devoir auquel est soumis l'avocat, le médecin ou le prêtre ne procède pas d'une relation d'amitié, et s'il répond à une obligation morale (impliquant le respect de la personne), il s'agit, d'abord et avant tout, d'une nécessité commandée par le bon exercice de sa charge. De là vient que le secret professionnel relève d'un « intérêt social », d'un « intérêt général », consacré par le droit.
« Le seul cas où il existe une obligation qui peut amener à révéler des informations à caractère secret par un dépositaire soumis au secret professionnel, c'est l'obligation d'assistance à personne en péril, plus communément appelée « assistance à personne en danger ». On sait les débats, souvent houleux, qu'a suscité la question de savoir si « le confident nécessaire » est tenu à la violation du secret lorsqu'il vient à être informé, dans l'exercice de ses fonctions, de violences et atteintes sexuelles commises sur mineur ou personne vulnérable3. Malgré qu'on en ait, le sujet est « épineux » et pose des questions difficiles qui exigent une contextualisation où se confrontent divers arguments et solutions recommandables selon les acteurs en présence et les situations (le cas ne sera pas le même selon qu'il s'agit d'un ecclésiastique ou bien d'un médecin par exemple). Le fait est, cependant, que plusieurs affaires récentes, hautement médiatisées, mettant en cause le silence d'évêques face aux actes de pédophilie commis dans l'Église catholique dont ils auraient eu connaissance4 (mais de quelle manière ? Il importe de le savoir) ont considérablement mis à mal la valeur que la société accorde au secret professionnel auquel, n'en déplaise à certains, sont également tenus les ministres des cultes. Le secret de la confession n'est pas à prendre à la légère. Mais sommes-nous encore capables collectivement d'en reconnaître le sens et les exigences  ? Envisagé d'un point de vue, non pas canonique ou théologique, mais strictement juridique (au sein même de l'État laïque) les choses, pourtant, sont assez claires. Le secret qu'un ecclésiastique est amené à connaître dans l'exercice de son ministère sacerdotal – soit par la confession, soit autrement, le mode d'obtention de l'information étant indifférent – relève du secret professionnel (selon une jurisprudence établie de longue date). À ce titre, il doit rester caché et tu.
Ainsi que le rappelle le professeur Hugues Moutouh : « Aucune loi en effet ne prévoit de façon générale et absolue que toute personne ayant connaissance d'agressions sexuelles sur mineur doive impérativement les dénoncer. Ne sont aujourd'hui envisagés que des textes catégoriels qui visent quasi exclusivement les personnes participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance et les assistants de service social. Seuls ces professionnels sont soumis à une véritable obligation de signalement. Ils constituent les uniques cas pour lesquels « la loi en dispose autrement », au sens de l'art. 434-3 c. pén. N'est-ce pas d'ailleurs ce que la circulaire du 14 mai 1993 laissait déjà entendre ? Il y est clairement expliqué que le législateur a voulu exclure expressément des dispositions de l'art. 434-3 les personnes tenues au secret professionnel, « ce qui implique que la décision de signalement est laissée à la seule conscience de ces personnes ».
Cette position n'est cependant pas entièrement partagée par l'ensemble des juristes, et certaines décisions de justice portant sur des affaires de pédophilie ont condamné des évêques pour non dénonciation de crime sur mineur dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions. Voir en particulier la condamnation de l'évêque de Bayeux, Monseigneur Pican, à 3 mois de prison avec sursis, par le Tribunal correctionnel de Caen, le 4 septembre 2001. On a pu discuter l'opportunité du fondement retenu par le Tribunal de Caen, et le prélat – le premier à être condamné dans ce genre d'affaires -, bien que contestant le bien-fondé de sa condamnation, renonça à faire appel de la décision par respect pour les victimes. Étonnement dans l'affaire du cardinal de Lyon, Philippe Barbarin, condamné en première instance, en 2019, par le Tribunal correctionnel de Lyon, à 6 mois de prison avec sursis, puis relaxé, en 2020, par la Cour d'appel de Lyon (pourvoi rejeté, en 2021, par la Cour de Cassation), à ma connaissance, il n'a pas été question du secret professionnel. Néanmoins, par « compassion pour les victimes », le prélat se mit en retrait du diocèse dont il avait la charge. Notons au passage en quelle manière la stricte application des principes de la justice pénale se trouve ici ébranlé par le surgissement de l'éthique de la compassion et la priorité accordée aux victimes. Les choses deviennent encore plus difficiles lorsqu'elles interviennent au sein d'une institution qui prône l'amour sacrificiel du prochain. Mais c'est là, convenons-en, un tout autre sujet5.

Il ne saurait exister de politique du secret

Nous avons donc là un interdit fort, assujetti, cependant, à des exceptions très encadrées et catégorielles. La seconde chose que je voudrais montrer porte sur l'exclusion, par nature, du secret de l'espace politique. Si l'interdiction de divulguer des informations portées à la connaissance de personnes tenues par le secret professionnel s'impose dans le cadre de relations régies par la loi, le silence exigé (où tout doit rester caché et tu) s'oppose radicalement à la transparence que requiert l'espace politique lequel est un espace de manifestation et de discussion. La société se constitue comme corps politique lorsque les citoyens, régis par des rapports d'égalité, sont appelés à participer, directement ou indirectement, aux affaires publiques. Cette participation n'est possible que s'ils s'apparaissent visiblement les uns aux autres pour entrer dans une confrontation réglée par l'art de la rhétorique et de l'argumentation raisonnable. Cet espace s'est constitué une première fois, à l'âge classique, à Athènes, introduisant une distinction sans précédent entre la monarchie ou l'oligarchie et la démocratie. Or pour s'exercer correctement, la démocratie exige l'accès le plus large possible aux informations disponibles, le débat étant lui-même un débat public. Ce qui se cache ou se trame dans le secret est, par nature, opposé à la relation politique et est appelé à être exposé, et parfois dénoncé, au grand jour.
C'est la leçon paradoxale de Machiavel d'avoir reconnu publiquement la nécessité pour le prince bon d'entrer, les circonstances l'exigeant, dans la nécessité du mal. Ce faisant, il prétendait, au chapitre 18 du Prince, n'avoir rien fait d'autre que de dire publiquement « ce que les Anciens avaient enseigné à mots couverts ». En somme, pour le reprendre les mots de Jean Giono, tout le péché de Machiavel est d'avoir « vendu la mèche ». Il existe, sans doute, des limites à ce principe de publicité lequel a suscité des débats véhéments lors de l'affaire Wikileaks ou suite à la révélation par Edward Snowden des méthodes de surveillance généralisée pratiquées par les agences de renseignement américaines. C'est à l'occasion de ces affaires que certains ont pu parler de « tyrannie de la transparence ». Le recours à l'argument de la sécurité intérieure et extérieure (le « secret défense ») ne saurait, toutefois, conduire à faire de l'État démocratique un « Deep State », dirigé par des officines clandestines, n'ayant de compte à rendre à personne. Souvenons-nous de ces lieux de détention secrets que les États-Unis, la CIA en particulier, ont établi en Irak en Afghanistan et à Cuba où, dans la violation du droit, ont été pratiqué au lendemain du 11 septembre 2001 des actes de torture qu'une commission sénatoriale américaine dénoncera, en 2014, dans un rapport porté à la connaissance de tous. Le principe démocratique de publicité est inséparable du principe de responsabilité, lequel signifie par définition que les dépositaires de l'autorité publique doivent rendre compte de leur action devant les citoyens6. Le mot anglais  accountability exprime cette exigence de façon plus explicite que le français. Un des principaux moyens d'accès à la connaissance est assurée par la presse dont les sources d'information sont protégées par la loi. Le point important, c'est que l'action politique a pour vocation à être rendue publique, à entrer dans le monde visible des apparences. De là vient que le secret n'y a pas sa place, ou, du moins, une place aussi restreinte que possible. Seul cet espace d'apparences accorde aux citoyens la confiance qu'ils ne sont pas les dupes de manipulations clandestines (le complotisme se nourrit de cette imagination) ou d'actions contraires à la loi et à l'intérêt général.
Si nous avions le temps, c'est ici qu'il conviendrait d'introduire une réflexion sur le rôle social des lanceurs d'alerte et de la nécessité de leur accorder, dans la législation française, un statut plus protecteur. Alors que certaines relations professionnelles ne peuvent s'exercer avec confiance que si le secret est garanti, la confiance que les citoyens accordent aux institutions requiert que le secret en soit banni. La question principale que pose le secret est donc celle de la confiance et de ses conditions d'exercice.
Certaines relations (professionnelles) posent un interdit sur la divulgation d'informations, alors que d'autres (politiques) exigent que l'information soit portée à la connaissance de tous. On le voit, tout dépend d'où l'on parle et de la situation dont il s'agit.

La primauté de la lumière

Le secret se pense à l'entrecroisement de la clandestinité et de la publicité, de la parole et du silence, de l'ombre et de la lumière. Mais privilège est donné dans la tradition occidentale, et cela depuis l'origine de la philosophie, à la lumière, à la connaissance, à la vérité, à ce qui se montre à l'oeil et se donne à voir à tous et si ont bel et bien existé, à certaines époques, des courants de pensée ésotériques (comme la gnose), ceux-ci sont toujours restés marginaux en comparaison de la nature oecuménique, universelle et égalitaire, de la contemplation théorétique, de la révélation chrétienne et de la connaissance scientifique. Toutes ont ceci en commun d'apparaître et de se transmettre dans la grande clarté du jour. Il en va de même de l'essence du politique qui ouvre à la pluralité des hommes un espace commun d'apparition, de manifestation et de discussion publique. Tout le malheur du secret vient de là : il n'est pas du côté de la lumière. Il ne se voit pas, il s'entend. Et ceux qui sont voués à communiquer par l'oreille, ce sont les aveugles. Dans notre imaginaire collectif, le monde du secret est celui de la cécité et, tout porte à le craindre, du crime et complot. Dans la nuit, Dieu sait quelle infamie peut se tramer ! Reste – et tout particulièrement à notre époque – qu'il est essentiel de ménager entre les hommes un espace de confidentialité, de promouvoir l'importance de l'intime, du for intérieur, du quant à soi, de ce qui est appelé à rester dissimulé et qui échappe, dans nos vies privées, à la sphère de contrôle de la société et de surveillance de l'État, une zone d'ombre et d'ambiguïté, parce que tout ce qui se montre n'est pas à prendre pour argent comptant (grande leçon des moralistes!). Comme on le sait, toute vérité n'est pas bonne à dire, ni la connaissance toujours sans danger.
Le grand mérite du droit est d'accorder une importance sociale considérable au secret. Ce faisant, volontairement ou non, nous sommes invités à résister au diktat de la transparence et, j'ajouterai de la sincérité (aussi indécidable et invisible que le désintéressement absolu), qui rend l'idée même de secret de moins en moins socialement acceptable. Il n'est pas certain, cependant, on l'a u, que les juristes échappent toujours à l'influence de l'opinion publique et ne soient appelés à accompagner l'évolution des mœurs et des représentations qui regardent cette notion d'un œil toujours plus mauvais.
Néanmoins, ce que l'école du secret nous apprend et qu'il nous faut âprement protéger de tout ce qui aujourd'hui conduit à le réduire et à le mettre en cause, c'est la réserve intérieure nécessaire sans laquelle rien de ce qui est ne peut s'épanouir, et cette leçon métaphysique vaut pour l'être humain également. La lumière et la vie ne peuvent jaillir que de leur fond inaccessible à tout regard – nul ne peut voir le soleil ni la mort de face - à la manière de la libéralité divine qui s'enracine dans le secret du Dieu caché. Moïse ne pouvait voir que le dos de Dieu, mais non son visage. Psychanalytiquement, le secret renvoie à l'invisibilité de l'inconscient qui n'apparaît que par des signes à déchiffrer. Ajoutons que la préciosité de la vie se nourrit de la mortalité assumée qui en est le grand secret, sans quoi, on vit, on meurt et voilà tout ! Oui, le secret mérite qu'on s'y attache et qu'on le préserve, et pas seulement pour des raisons sociales et juridiques.
Je vous remercie de votre attention.

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1. « Secret professionnel et liberté de conscience : l'exemple des ministres des cultes », Recueil Dalloz, 2000 p. 431.
2. Ibid.
3. L’article 434-3 du code pénal punit « le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur […], de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé ». Le secret professionnel introduit, cependant, une exception à cette obligation, laquelle fait, à son tour, l'objet d'exceptions.
4. Voir Claire Roca, « Secret de la confession, secret professionnel et atteintes sexuelles sur mineur », https://www-labase-lextenso-fr.bcujas-ezp.univ-paris1.fr/imprim...
5. Une manière de s'y prendre serait de partir de la distinction pascalienne des ordres, la justice appartenant à l'ordre de la chair, la compassion à l'ordre de l'amour et de la charité, lesquels sont séparés non seulement par un abîme, mais par l'abîme d'un abîme.
6. Cf. l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 : « La Société a droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »