Puisque Ce bien qui fait mal à l'âme sort en librairie dans un peu plus d'une quinzaine de jours, le 4 janvier, voici un extrait de l'Introduction qui vous dira les raisons du livre :
Savions-nous, je veux dire, savions-nous vraiment, en quelle manière un geste de bonté véritable, de bonté insensée, excessive, peut bouleverser un être, jusqu’à transformer sa vie tout entière, avant d’avoir accompagné Jean Valjean à la rencontre de l’évêque Bienvenu ? Rien ne laisse mieux éprouver les dilemmes de la responsabilité morale que le chapitre « tempête sous un crâne » des Misérables, où les exigences de l’honnêteté et de l’intégrité entrent dans un conflit terrible avec le calcul utilitariste des conséquences. Puisque nous évoquons les dilemmes de la responsabilité morale, aucune œuvre ne nous fait mieux saisir les raisons, toutes machiavéliennes, de cette sombre nécessité voulant que le bon prince doive avancer dans le mal pour conserver son pouvoir que Billy Budd de Melville, et la décision au cœur de l’intrigue que prend le commandant Vere de faire pendre le beau matelot, l’incarnation parfaite de l’innocence, en conséquence d’un crime dont il ne s’est qu’involontairement rendu coupable. Nous ne savions pas quels sont les égarements, les malheurs, les pièges où la pitié peut tomber, du moins pas aussi clairement, avant d’avoir lu La Pitié dangereuse de Stefan Zweig, et nous saisissons alors les dilemmes entre le désir de liberté et les contraintes de l’obligation auxquels la pitié – « maudite pitié », s’écriera à plusieurs reprises Anton Hofmiller, le héros du roman – nous confronte tragiquement. Et que penser de la distinction que Zweig établit entre la « pitié sentimentale » et la « pitié créatrice » ?
Les chapitres qui suivent se proposent d’apporter un pendant au célèbre livre de Georges Bataille La Littérature et le Mal, et prennent le contre-pied de ce qu’il affirmait en 1958 lors d’un entretien télévisé : « Si la littérature s’éloigne du mal, elle devient vite ennuyeuse. » Gageons, au contraire, que lorsque la littérature s’approche du bien, elle est formidablement intéressante. Et cet intérêt n’est pas seulement intellectuel : il nous implique infiniment.
Nous ne dirons rien pour l’heure des conclusions auxquelles nous avons cru devoir aboutir. Qu’il nous suffise d’avancer ceci : nulle expérience plus que l’expérience littéraire ici menée ne confirmera davantage les propos que Hannah Arendt tenait, le 20 juillet 1963, dans une lettre à Gershom Scholem : " À l’heure actuelle, effectivement, je pense que le mal est seulement extrême, mais jamais radical et qu’il ne possède ni profondeur, ni dimension démoniaque. Il peut dévaster le monde entier, précisément parce qu’il prolifère comme un champignon à la surface de la terre. Seul le bien est profond et radical."
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