On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 16 décembre 2011

Erbarme dich, mein Gott, Bach

Une des arias les plus poignantes de La Passion selon saint Matthieu de Bach, "Erbarme dich, mein Gott" ("Aie pitié de moi, mon Dieu"), dans l'interprétation sublime et bouleversante de la grande contralto canadienne, Maureen Forrester (1930-2010):



On pourra également écouter la version magnifique de Kathleen Ferrier qui fit verser des larmes à Karayan, mais que je n'ai pas choisie parce que l'enregistrement est médiocre.

9 commentaires:

craindre1989 a dit…

ça ne m'étonnera pas que vous aimez cette pièce, j'ai longtemps hésité de vous en proposer... c'est excellent. Sinon, une autre édition populaire à vous proposer, c'est celle de Kennedy à Leibzig jouée avec un hauboïste au lieu du chant.

craindre1989 a dit…

http://www.youtube.com/watch?v=azhCLgzjLYs

Joyeux Noël !!

Emmanuel Gaudiot a dit…

Merci pour ces beaux moments musicaux, ces moments d'absolu; je crois que c'est schoppernauer qui, dans Le monde comme volonté et comme représentation qui décrit la musique comme la connaissance de l'absolu sans médiation, sans la découpe formalisante des mots. Alors, si on ne connait pas le sens des mots c'est un moment d'absolu...

michel terestchenko a dit…

Merci, chers amis. Je suis heureux que vous ayez trouvé du bonheur à cette oeuvre merveilleuse.

Pauline CARRE a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Pauline CARRE a dit…

L’œuvre de Bach, comme bien souvent la musique classique, bouleverse les sens de l’homme. Tintée de liturgie et d’une profondeur inexplicable qui nous dépasse, elle se fait le reflet d’une écriture mystique, dans laquelle s’articule une grande variété de combinaisons instrumentales et vocales au service de l’argumentaire divin. Comme dans la philosophie mystique, elle tente d’établir une élémentaire percée de l’esprit de l’homme vers son créateur. Créant un effet de synesthésie entre les notes, révélé par la troublante voix de Maureen FORRESTER, dans l’instant où Bach supplie Dieu de le prendre en pitié, cet extrait de la passion selon Saint Matthieu, se présente comme l’aboutissement d’un triptyque sacré, par lequel l’auditeur est frappé par la toute-puissance d’un foudroyant effet théâtral et mélancolique. A la recherche d’un ancestral esprit de communion, de fusion avec la divinité, Bach se fait le témoin d’une quête métaphysique première, d’un cri d’espoir désespéré de l’homme, et du Fils de Dieu, sacrifié au péril de sa vie. Comme lors de sa cantate « actus tragicus » [BWV 106], Bach tente d’illustrer, par la musique, la miséricorde du divin, dans laquelle l’être humain place tout entier son âme pour qu’il devienne enfin son paradis. Reprenant des thèmes chers à la philosophie dictant à l’humanité, pour reprendre Montaigne, « d’apprendre à mourir », il atteste par sa mélodie de la fragilité de l’existence et la persistance de l’angoisse humaine face à la mort. Musicien torturé au service de l’Eglise, explorant les tréfonds de l’âme et accablant Dieu d’une gloire éternelle, il se fait le témoin d’une ultime supplication, passionnée, passionnelle, entre le désir de l’homme et celui de Dieu, qui appellent à se retrouver.

Pauline CARRE a dit…

Sans s’arrêter là. La musique de Bach devient le miroir de la volonté humaine… Comme le dira plus tard Schopenhauer, elle illustre en premier lieu la contemplation esthétique de l’être, qui par l’exercice de sa volonté toute-puissante et libre, s’acharne à élever ses sens par-delà la finitude et l’illusion du monde sensible, vers une transcendance idéale et meilleure. Miroir de la tragédie de l’existence, dans lequel se dissout l’objectivité du monde, elle incarne la possibilité d’un abandon parfait de soi dans l’abîme de Dieu sans pesanteur. Bouleversante, elle témoigne d’une plausible conversion de soi, d’une nudité parfaite de l’âme, vierge, reçue dans le cœur de Dieu, lavée de tous ses péchés. Elle donne à voir, dans un dernier instinct de vie, la relativité du corps au sein de l’éternité, la composition magique, musicale, du Verbe premier et dernier de la Divinité, apaisante, calme, tranquille, garantissant dans instant de communion avec elle, l’extrême-onction, autrement dit la concrétisation symbolique de la médecine universelle, de la paix éternelle et de l’éternité. De sorte que sa beauté consente à anéantir le Principe d’individuation lui-même : l’homme n’est alors plus, à son écoute, hanté par son unique volonté de vivre, habité par son combat perpétuel, imparfait et immédiat contre le devenir du monde, obsédé par une lecture figurative, conceptuelle de ses archétypes, mais s’abandonne sans résistance vers l’envahissement de Dieu. Lancé à corps perdu dans l’abîme d’un Dieu dématérialisé, invisible, premier, non plus anthropomorphique, mais principiel, il ose l’écoute de son désir secret de ne faire qu’un avec son origine. Telle Galatée, qui pris forme et vie sous les mains de Pygmalion, il risque un pari sur l’amour sans travers et infini de Dieu, ainsi que les bienfaits d’une ivresse retrouvée. Non sans sacrifices.

Pauline CARRE a dit…

Car, l’expérience de Dieu, comme l’écoute de Bach est douloureuse… Elle replace l’homme, non sans mélancolie, dans le macrocosme symbolique de l’univers, dans le paradoxal champ archétypique de son inconscient, à la fois ombre et lumière, anima, animus, androgyne, incertain et fragile. Elle dispute le statut du discernement individuel, qui malgré lui se retrouve placé dans le hasard d’un schéma de causalité qui le dépasse. Sur le modèle d’une rencontre synchronique, inattendue, par laquelle l’individu se trouve confronté à l’inexplicable fusion de son caractère avec Autrui, la percée musicale de Bach, se fait comme l’apparition de Dieu lui-même, l’incarnation d’une sagesse aveuglante, d’une faille spatio-temporelle bouleversante, d’un entre deux monde, sensible et intelligible, ouverts respectivement l’un à l’autre. Manifestation harmonique d’un trou noir, dans lequel l’esprit de l’homme s’engouffre pour retrouver instantanément son origine divine, dans l’intuition d’une solitude première, la Passion selon Saint Matthieu traduit le caractère numineux de l’expérience musicale, happant celui qui l’écoute avec attention, dans un étrange tourbillon invisible à l’impact émotionnel surdimensionné. Coïncidences des notes, qui toutes au hasard de leurs accords semblent témoigner de l’osmose première avec une réalité supérieure, intelligible, les mesures de Bach sculptent les émotions de joie et de souffrance des hommes et l’entrelacement des passions et des actions humaines sans hasard. Elles sont celles qui guident l’individu au-delà de lui-même, qui sous la volonté de leur compositeur, devenu démiurge, organise le chaos du monde. Comme un frêle dessin de l’homme sur le sable, qui tôt ou tard s’efface, elle incarne l’éphémère fureur créatrice de l’homme, l’intuitive verticalité de Dieu, qui tentant de rivaliser avec lui, se bat pour laisser, dans son monde, une trace.

Anonyme a dit…

Merci por cette musique magique et solitaire. Quelle version! J'ai cette mélodie dans différents versions, mais celle du Jehudi Menuhin et Eula Beal c'est ma préféré. En tout cas, la musique est ma vie y Bach une dimension cosmique. Merci de nuveau. Luz, une étoile filante.