Voici un extrait de l'entretien que je viens de donner à Philosophie magazine et et qui sera publié dans le prochain numéro du mois de mars :
La suppression du juge d'instruction serait une menace pour la démocratie française ?
S'il devait être adopté, le projet de réforme ne serait acceptable et ne constituerait un progrès qu'à deux conditions : 1/ que les procureurs soient détachés de tout lien avec le ministère de la Justice et qu'ils jouissent d'une véritable indépendance vis-à-vis du pouvoir politique ; 2/ que la légalité des enquêtes soit contrôlée par les cours d'appel de façon sérieuse et impartiale. D’autre part, il faut qu'en contrepartie soient développés les moyens d'une défense active et que soit mis un terme à l'abus croissant de la garde à vue, sans parler de la détention préventive, qui constitue un véritable scandale en France. Plus de 600 000 mesures de garde à vue ont été ordonnées en 2008, dont plus d'un quart excèdent vingt-quatre heures. Ce n'est pas admissible. Il est clair que toute personne gardée à vue par la police devrait bénéficier, avant tout interrogatoire judiciaire, de l'assistance et des conseils d'un avocat, ayant accès au dossier.
Cette réforme devrait-elle s'accompagner d'une amélioration des droits de la défense ?
Absolument. Il serait nécessaire, afin d'assurer la défense des droits et de la liberté des citoyens, que tout soit mis en oeuvre pour accroître le rôle de l'avocat dans l'investigation des faits et l'administration des preuves, en sorte qu'il puisse exercer de façon efficace et effective son rôle de contre-pouvoir. Ajoutons que les frais de l'enquête, par exemple les contre-expertises, devraient être assurés par le ministère public et non par les citoyens eux-mêmes. Pourquoi ne pas instituer, comme aux Etats-Unis ou au Canada, des bureaux publics de défense pénale, composés d'avocats qui en auraient fait le choix et qui seraient rémunérés par l'Etat ? Il ne s'agit pas, pour l'instant, de changer ouvertement l'esprit de notre système judiciaire inquisitoire et d'adopter le modèle accusatoire anglo-saxon. L'essentiel est de mieux assurer les modalités d'une égalité des armes entre l'accusation et la défense, en particulier durant le procès. Une dernière réforme importante, enfin, serait de supprimer la différence de procédure qui existe entre les tribunaux correctionnels et les cours d'assises, et d'exiger la motivation des verdicts en cas de condamnation (comme c'est le cas en Espagne ou en Italie).
En admettant que le nouveau juge soit indépendant, la France aura-t-elle adopté le modèle accusatoire ?
Nous serions dans un système accusatoire pondéré. Selon le modèle inquisitorial en vigueur, c’est le juge d’instruction pendant l’enquête et le président de la cour d’assises pendant le procès qui mènent les débats. Cela introduit une confusion des pouvoirs, puisque c’est à chaque fois un seul homme qui envisage le pour et le contre. Dans le système accusatoire, les deux fonctions sont séparées : le procureur accuse, l’avocat défend et le juge arbitre sans interroger l’accusé. Il convient de rappeler les principales évolutions dans cette affaire. Entre 1808 et 1897, le juge d’instruction officie seul et l’inculpé n’a pas le droit à la présence d’un avocat. De 1897 à 1993, l’accusé a le droit d’être assisté par un avocat, lequel peut consulter le dossier mais ne participe pas à l’enquête. Depuis la réforme de 1993, l’avocat peut demander au juge d’instruction des actes d’enquête spécifiques. Si en 2009, le juge d’instruction était supprimé, il ne resterait plus face à face que le procureur et l’avocat. Cela marquerait une évolution vers un système accusatoire.
On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
vendredi 30 janvier 2009
jeudi 29 janvier 2009
Les Paradis secrets, en avant première
En avant premiere, quelques photos du somptueux livre que mon frère Ivan publie chez Albin Michel en collaboration avec Robert Murphy, Les paradis secrets d'Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé, qui sera en librairie à partir du 4 février :
Vous pouvez, à cette occasion relire le billet du 26 novembre 2008, "YSL ou la beauté devenue monde", en cliquant sur la rubrique "Réflexions sur l'art" dans les Libellés.
Vous pouvez, à cette occasion relire le billet du 26 novembre 2008, "YSL ou la beauté devenue monde", en cliquant sur la rubrique "Réflexions sur l'art" dans les Libellés.
mercredi 28 janvier 2009
Qui se souvient de Fernand Iveton ?
Le 11 février 1957, Fernand Iveton, trente et un ans, militant communiste, accusé de terrorisme, était guillotiné, après que sa grâce a été refusé par le président René Coty.
Né à Alger le 12 janvier 1926, Fernand Iveton suit l’itinéraire classique du militant communiste. À quatorze ans, le certificat d’études primaires en poche, il quitte l’école pour travailler. À seize ans, il adhère au Parti communiste algérien (PCA). Ouvrier tourneur à l’usine Lebon, puis à l’usine de Gaz d’Alger, délégué CGT, il est de toutes les luttes sociales. Et quand débute la guerre d’indépendance algérienne, il s’engage dans les Combattants de la libération (CDL) mis en place par le PCA.
En 1956, avec quelques amis, il entreprend une "action spectaculaire": ils vont faire sauter le tuyau d'une usine à gaz. Ils prévoient deux bombes qui ne doivent exploser qu'une fois les employés partis. Selon Jacqueline Guerroudj, qui lui a remis l'engin, Iveton avait exigé qu’il ne fasse aucune victime civile. Il voulait seulement des « explosions témoignages » pour faire avancer la cause de l’indépendance. De fait, la bombe, de faible puissance, avait été réglée pour exploser le 14 novembre 1956 à 19 h 30. À cette heure, il n’y avait plus personne sur les lieux de travail, rapporte l’enquête. Au reste, les artificiers l’avaient désamorcée vers 18 heures.
Ce jour-là, Iveton s'aperçoit qu'il ne peut en cacher qu'une. Il la dépose en attendant dans un local désaffecté. Un contremaître qui l'avait à l'oeil, découvre la bombe. Iveton est arrêté. On trouve sur lui un papier où il est question de deux bombes qui doivent exploser à 19h30. Alors commence l'interrogatoire:
"On me déshabilla assez violemment en me déchirant la chemise. L'on me fit passer sur tout le corps, le cou, les parties, etc., le courant (...) la question était: "où se trouve la deuxième bombe?" (...) voyant sûrement qu'il n'y avait plus de place pour le courant car j'étais entièrement brûlé (...) l'on me fit subir le supplice de l'eau." On le fait boire jusqu'à l'étouffement, "quand le ventre est gonflé, mes tortionnaires, assis sur moi, font du tape-cul sur mon ventre et l'eau me sort de partout". Les deux bombes n'ont pas explosé à 19h30, mais F. Iveton a fini, vers 22h, par donner le nom de ses camarades.
Le 24 novembre, rasé, sans moustache, le visage marqué par les actes de torture, Fernand Iveton est présenté devant le tribunal permanent des forces armées d’Alger. Le procès se déroule dans une atmosphère de haine. Quand il fait son entrée dans le tribunal, des insultes fusent à son endroit, le public exige sa mort et ses avocats sont menacés. Le procès est expéditif : il est condamné à mort le jour même pour terrorisme. En vérité, son sort avait été réglé en France. Sur proposition du garde des Sceaux, François Mitterrand, le gouvernement socialiste de Guy Mollet avait décidé que l’examen des recours des militants du FLN serait accéléré et que ceux dont la grâce était refusée par le chef de l’État seraient exécutés au plus vite. Le 10 février 1957, son recours en grâce est rejeté par le président René Coty.
La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir et l’Algérie sera libre demain », déclarait-il au greffe de la prison, quelques minutes avant son exécution. Au pied de la guillotine, il a embrassé ses deux codétenus qui allaient être exécutés avant lui. « Celui-là, fut un condamné à mort modèle, droit, impeccable, courageux jusqu’au couperet », relate son bourreau, Fernand Meissonnier.
(Source: Jean-Luc Einaudi, Pour l'exemple, l'affaire Fernand Iveton, L'Harmattan, 1986).
Voir également l'article de Hassane Zerrouky auquel j'ai emprunté les principaux éléments de ce billet :
http://djazair.dzblog.com
Merci à Stéphane d'avoir attiré mon attention sur ce cas bien oublié qui ne pourrait sans plus se produire dans la France d'aujourd'hui, ne serait-ce que parce que la peine de mort a été abolie, mais dont il importe que nous conservions le souvenir. Aussi parce que les brutalités d'Etat restent quotidiennes, quoique sous une forme plus bénigne. Les archives du dossier Iveton ne seront consultables qu'en... 2057 !
Né à Alger le 12 janvier 1926, Fernand Iveton suit l’itinéraire classique du militant communiste. À quatorze ans, le certificat d’études primaires en poche, il quitte l’école pour travailler. À seize ans, il adhère au Parti communiste algérien (PCA). Ouvrier tourneur à l’usine Lebon, puis à l’usine de Gaz d’Alger, délégué CGT, il est de toutes les luttes sociales. Et quand débute la guerre d’indépendance algérienne, il s’engage dans les Combattants de la libération (CDL) mis en place par le PCA.
En 1956, avec quelques amis, il entreprend une "action spectaculaire": ils vont faire sauter le tuyau d'une usine à gaz. Ils prévoient deux bombes qui ne doivent exploser qu'une fois les employés partis. Selon Jacqueline Guerroudj, qui lui a remis l'engin, Iveton avait exigé qu’il ne fasse aucune victime civile. Il voulait seulement des « explosions témoignages » pour faire avancer la cause de l’indépendance. De fait, la bombe, de faible puissance, avait été réglée pour exploser le 14 novembre 1956 à 19 h 30. À cette heure, il n’y avait plus personne sur les lieux de travail, rapporte l’enquête. Au reste, les artificiers l’avaient désamorcée vers 18 heures.
Ce jour-là, Iveton s'aperçoit qu'il ne peut en cacher qu'une. Il la dépose en attendant dans un local désaffecté. Un contremaître qui l'avait à l'oeil, découvre la bombe. Iveton est arrêté. On trouve sur lui un papier où il est question de deux bombes qui doivent exploser à 19h30. Alors commence l'interrogatoire:
"On me déshabilla assez violemment en me déchirant la chemise. L'on me fit passer sur tout le corps, le cou, les parties, etc., le courant (...) la question était: "où se trouve la deuxième bombe?" (...) voyant sûrement qu'il n'y avait plus de place pour le courant car j'étais entièrement brûlé (...) l'on me fit subir le supplice de l'eau." On le fait boire jusqu'à l'étouffement, "quand le ventre est gonflé, mes tortionnaires, assis sur moi, font du tape-cul sur mon ventre et l'eau me sort de partout". Les deux bombes n'ont pas explosé à 19h30, mais F. Iveton a fini, vers 22h, par donner le nom de ses camarades.
Le 24 novembre, rasé, sans moustache, le visage marqué par les actes de torture, Fernand Iveton est présenté devant le tribunal permanent des forces armées d’Alger. Le procès se déroule dans une atmosphère de haine. Quand il fait son entrée dans le tribunal, des insultes fusent à son endroit, le public exige sa mort et ses avocats sont menacés. Le procès est expéditif : il est condamné à mort le jour même pour terrorisme. En vérité, son sort avait été réglé en France. Sur proposition du garde des Sceaux, François Mitterrand, le gouvernement socialiste de Guy Mollet avait décidé que l’examen des recours des militants du FLN serait accéléré et que ceux dont la grâce était refusée par le chef de l’État seraient exécutés au plus vite. Le 10 février 1957, son recours en grâce est rejeté par le président René Coty.
La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir et l’Algérie sera libre demain », déclarait-il au greffe de la prison, quelques minutes avant son exécution. Au pied de la guillotine, il a embrassé ses deux codétenus qui allaient être exécutés avant lui. « Celui-là, fut un condamné à mort modèle, droit, impeccable, courageux jusqu’au couperet », relate son bourreau, Fernand Meissonnier.
(Source: Jean-Luc Einaudi, Pour l'exemple, l'affaire Fernand Iveton, L'Harmattan, 1986).
Voir également l'article de Hassane Zerrouky auquel j'ai emprunté les principaux éléments de ce billet :
Merci à Stéphane d'avoir attiré mon attention sur ce cas bien oublié qui ne pourrait sans plus se produire dans la France d'aujourd'hui, ne serait-ce que parce que la peine de mort a été abolie, mais dont il importe que nous conservions le souvenir. Aussi parce que les brutalités d'Etat restent quotidiennes, quoique sous une forme plus bénigne. Les archives du dossier Iveton ne seront consultables qu'en... 2057 !
Frédéric Ferney
J'ai découvert avec bonheur, ce matin, le blog littéraire de Frédéric Ferney, "Le bateau libre", allusion à l'émission qu'il animait sur France 5 et dont il fut brutalement viré l'année dernière. Passionnantes lectures de livres dans cette belle langue qui est la sienne et que je vous recommande vivement de consulter :
http://fredericferney.typepad.fr
mardi 27 janvier 2009
Emission France Culture
L'émission "Du grain à moudre" à laquelle j'ai participé hier soir sur le thème "La politique de sécurité nous met-elle en danger ?" peut être réécoutée à l'adresse suivante :
www.radiofrance.fr
dimanche 25 janvier 2009
Rétention de sûreté
La "loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" promulguée le 26 février 2008 au Journal Officiel prévoit notamment la création de centres fermés dans lesquels les criminels dangereux pourront être enfermés à leur sortie de prison.
La loi précise que les personnes exécutant une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à 15 ans pour les crimes les plus graves (assassinat, torture, viol, enlèvement) pourront être placées en rétention de sûreté "à titre exceptionnel" à la fin de leur peine, si elles présentent "une particulière dangerosité caractérisée" et une "probabilité de récidive".
La décision de placer un condamné en rétention de sûreté sera prise par des juridictions régionales composées d'un président de chambre et deux conseillers de la cour d'appel au terme d'un débat contradictoire. Valable un an, elle pourra être renouvelée indéfiniment.
Saisis par les parlementaires socialistes, le Conseil Constitutionnel a validé la loi tout en refusant qu'elle s'applique aux personnes condamnées avant la publication de la loi ou pour des faits commis antérieurement à sa promulgation. Selon Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil Constitutionnel opposé à la loi, cette décision est juridiquement "bancale" : "Le Conseil Constitutionnel valide la rétention, en expliquant qu'il ne s'agit pas d'une mesure pénale" - c'est-à-dire d'une double peine - "Mais en s'opposant à la rétroactivité, il suggère qu'on est quand même dans la loi. Ce n'est qu'en matière pénale que la non-rétroactivité est un principe constitutionnel".
Au strict plan juridique, la question est aujourd'hui de savoir si la Cour européenne des droits de l'Homme va condamner la France, comme beaucoup le pensent et l'espèrent.
Voir l'intéressante vidéo, "Les dessous de la loi", diffusée sur le site du Sénat :
www.senat.fr
La loi précise que les personnes exécutant une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à 15 ans pour les crimes les plus graves (assassinat, torture, viol, enlèvement) pourront être placées en rétention de sûreté "à titre exceptionnel" à la fin de leur peine, si elles présentent "une particulière dangerosité caractérisée" et une "probabilité de récidive".
La décision de placer un condamné en rétention de sûreté sera prise par des juridictions régionales composées d'un président de chambre et deux conseillers de la cour d'appel au terme d'un débat contradictoire. Valable un an, elle pourra être renouvelée indéfiniment.
Saisis par les parlementaires socialistes, le Conseil Constitutionnel a validé la loi tout en refusant qu'elle s'applique aux personnes condamnées avant la publication de la loi ou pour des faits commis antérieurement à sa promulgation. Selon Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil Constitutionnel opposé à la loi, cette décision est juridiquement "bancale" : "Le Conseil Constitutionnel valide la rétention, en expliquant qu'il ne s'agit pas d'une mesure pénale" - c'est-à-dire d'une double peine - "Mais en s'opposant à la rétroactivité, il suggère qu'on est quand même dans la loi. Ce n'est qu'en matière pénale que la non-rétroactivité est un principe constitutionnel".
Au strict plan juridique, la question est aujourd'hui de savoir si la Cour européenne des droits de l'Homme va condamner la France, comme beaucoup le pensent et l'espèrent.
Voir l'intéressante vidéo, "Les dessous de la loi", diffusée sur le site du Sénat :
samedi 24 janvier 2009
Du grain à moudre
Julie Clarini et Brice Couturier ont eu la gentillesse de m'inviter à l'émission, "Du grain à moudre", qu'ils animent sur France culture, lundi 26 janvier (de 18h30 à 19h15), et qui sera consacré au thème : "La lutte contre l'insécurité nous met-elle en danger ?"
Mon ami, Jean-François, à qui j'ai demandé quelques documents pour préparer mon intervention m'envoie les informations suivantes, concernant deux exemples concrets et très actuels de restriction des libertés au nom de la lutte contre la déliquance :
- La garde à vue: "En 2008, on a recensé 577 816 gardes à vue contre 562 083 l’année précédente, soit une augmentation de 2,8 % : 477 223 de vingt-quatre heures au maximum contre 461 417 en 2007 (+ 3,4 %) et 100 593 de plus de vingt-quatre heures contre 100 666 ( - 0,1 %)" (chiffres cités par Pierre-Victor Tournier dans sa lettre hebdomadaire n° 120 "Arpenter le champ pénal", du 23 janvier 2009). "En sept ans, de 2000 à 2007, leur nombre a gonflé de moitié" (Le Monde, 23 avril 2008).
- Les fichiers: "En janvier 2009, à raison de 25 000 saisies nouvelles par mois, selon le service central d'identité judiciaire, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), qui comportait au 1er décembre 978 261 profils ADN, devrait franchir le cap symbolique du million d'empreintes. Et ce, moins de dix ans après la mise en route de cette base de données" (Le Monde, 9 décembre 2008) (Le Fnaeg concerne toute personne impliquée dans une procédure judiciaire et non seulement les délinquants sexuels qui sont fichés de plus sur un autre fichier). La Cour européenne des droit de l'homme a été saisie du cas des fichiers britanniques; elle a condamné la Grande-Bretagne, par un arrêt du 4 décembre 2008, pour sa législation qui autorise la conservation illimitée des échantillons et profils ADN des individus. Dans son arrêt rendu par la Grande Chambre, saisie dans les affaires particulièrement graves, la Cour a estimé, à l'unanimité, que le droit au respect de la vie privée et familiale de deux plaignants avait été violé.
Il faut également lire l'entretien de Robert Badinter publié dans le dernier n° de Télémara, qui dénonce les récentes atteintes à nos libertés en raison des impératifs (prétendus) de sécurité.
Je suis ouvert à toutes vos réflexions, suggestions sur ce thème...
Mon ami, Jean-François, à qui j'ai demandé quelques documents pour préparer mon intervention m'envoie les informations suivantes, concernant deux exemples concrets et très actuels de restriction des libertés au nom de la lutte contre la déliquance :
- La garde à vue: "En 2008, on a recensé 577 816 gardes à vue contre 562 083 l’année précédente, soit une augmentation de 2,8 % : 477 223 de vingt-quatre heures au maximum contre 461 417 en 2007 (+ 3,4 %) et 100 593 de plus de vingt-quatre heures contre 100 666 ( - 0,1 %)" (chiffres cités par Pierre-Victor Tournier dans sa lettre hebdomadaire n° 120 "Arpenter le champ pénal", du 23 janvier 2009). "En sept ans, de 2000 à 2007, leur nombre a gonflé de moitié" (Le Monde, 23 avril 2008).
- Les fichiers: "En janvier 2009, à raison de 25 000 saisies nouvelles par mois, selon le service central d'identité judiciaire, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), qui comportait au 1er décembre 978 261 profils ADN, devrait franchir le cap symbolique du million d'empreintes. Et ce, moins de dix ans après la mise en route de cette base de données" (Le Monde, 9 décembre 2008) (Le Fnaeg concerne toute personne impliquée dans une procédure judiciaire et non seulement les délinquants sexuels qui sont fichés de plus sur un autre fichier). La Cour européenne des droit de l'homme a été saisie du cas des fichiers britanniques; elle a condamné la Grande-Bretagne, par un arrêt du 4 décembre 2008, pour sa législation qui autorise la conservation illimitée des échantillons et profils ADN des individus. Dans son arrêt rendu par la Grande Chambre, saisie dans les affaires particulièrement graves, la Cour a estimé, à l'unanimité, que le droit au respect de la vie privée et familiale de deux plaignants avait été violé.
Il faut également lire l'entretien de Robert Badinter publié dans le dernier n° de Télémara, qui dénonce les récentes atteintes à nos libertés en raison des impératifs (prétendus) de sécurité.
Je suis ouvert à toutes vos réflexions, suggestions sur ce thème...
lundi 19 janvier 2009
Glenn Gould
Deux passionnantes émissions radiophoniques consacrées à Glenn Gould, diffusées la première le 16 septembre 1984, la seconde le 4 août 1986, sur Radio-Canada :
http://archives.radio-canada.ca
http://archives.radio-canada.ca
Sur Kundera
A tous les amoureux de l'oeuvre romanesque de Kundera, je recommande la lecture du beau livre de François Ricard, Le dernier après-midi d'Agnès. Essai sur l'oeuvre de Milan Kundera, publié dans la collection Arcades chez Gallimard en 2003.
dimanche 18 janvier 2009
Les nuits de Barak Obama
Extrait de l'entretien que Barak Obama a donné au magazine Time, publié par Courrier international :
"Maintenant que vous êtes face à l’énormité de la tâche, y a t-il un problème qui vous paraisse insoluble ?
Je ne pense pas qu’il existe de problèmes insolubles. Mais il y en a quelques-uns qui sont extraordinairement compliqués. Il n’est pas certain que l’économie ait atteint son plus bas niveau. Même si nous adoptons toutes sortes de mesures, il n’est pas dit qu’elle aura totalement récupéré dans deux ans. Je ne doute absolument pas de notre capacité à remettre l’économie sur les rails, mais nous devons commencer par sortir du trou que nous avons creusé. Avant même de pouvoir parler d’un plan de relance efficace, j’hériterai d’un déficit d’au moins 1 000 milliards de dollars. Nous sommes en outre en présence d’un déficit structurel qui imposera des décisions très difficiles. Faire repartir l’économie à court terme et établir une politique budgétaire responsable sur le long terme, à un moment où les foyers américains subissent la crise de plein fouet et où tant de besoins ne sont pas satisfaits, voilà un énorme problème. Je ne pense pas que nous puissions le résoudre d’un coup de baguette magique. Il faudra équilibrer soigneusement les priorités, et nous commettrons certainement des erreurs dans la foulée. Car certains de ces choix se heurteront à des résistances politiques, pas seulement de la part des républicains, mais également dans mon propre camp.
D’autres problèmes m’empêchent de bien dormir. Je pense, par exemple, que l’Afghanistan sera un défi. Je suis certain que le retrait de nos troupes d’Irak est la bonne chose à faire. Je pense que nous pouvons effectuer ce retrait de façon raisonnable et stabiliser la situation en Irak. Nous allons devoir prendre des initiatives militaires, mais aussi diplomatiques, afin d’engager pleinement le Pakistan comme allié dans la région, de désamorcer les tensions entre l’Inde et le Pakistan, pour ensuite impliquer tout le monde dans l’éradication des mouvements militants sur un territoire, sur un terrain qui est très dangereux – dans un énorme pays qui est l’un des plus pauvres et des moins développés du monde. Je pense que ce sera une situation très difficile. La troisième chose qui occupe mes nuits est la question de la prolifération nucléaire. Nous allons devoir prendre des initiatives pour raccommoder un régime de non-prolifération qui a été malmené. Et ce alors qu’Internet a rendu les techniques de fabrication d’armes de destruction massive plus accessibles que jamais, à un moment où de plus en plus de pays chercheront à se doter de programmes d’énergie nucléaire. Ce sera là un défi particulièrement important.
Enfin, pour couronner le tout, il y a le changement climatique. Tous les indicateurs montrent qu’il progresse plus vite que ne le prévoyaient il y a encore deux ou trois ans les chercheurs les plus pessimistes. La communauté internationale devra consentir un énorme effort pour s’y attaquer sérieusement. Et cet effort aura un coût. Or mettre en place les conditions de cette transformation – qui présente d’immenses opportunités en termes de croissance économique et de créations d’emplois à long terme, mais coûtera cher dans l’immédiat – est la chose la plus difficile à faire en politique. Cela implique d’engager de lourds investissements qui ne porteront leurs fruits qu’à long terme. J’arrête ici la liste.
(...)
Quel est votre secret pour si bien tenir tête à de grosses organisations et relever aussi rapidement des défis, que ce soit dans la façon dont vous avez mené votre campagne ou maintenant ?
Il n’y a pas vraiment de secret. Je crois que je sais repérer les talents et que j’embauche donc des gens compétents. Ayant un ego assez sain, je n’hésite pas à recruter les gens les plus intelligents, même s’ils le sont plus que moi. Je tolère en revanche très mal les gens qui brassent du vent, cherchent à protéger leur territoire ou se livrent à des petits manèges, et je le fais savoir d’emblée très clairement. C’est pourquoi, au bout d’un moment, des rapports de confiance commencent à s’installer entre les gens, qui se concentrent sur leur mission et non sur les ambitions personnelles ou les conflits. A partir du moment où on a des gens très compétents qui s’investissent tous dans la même mission, on arrive généralement à faire avancer les choses."
www.courrierinternational.com
"Maintenant que vous êtes face à l’énormité de la tâche, y a t-il un problème qui vous paraisse insoluble ?
Je ne pense pas qu’il existe de problèmes insolubles. Mais il y en a quelques-uns qui sont extraordinairement compliqués. Il n’est pas certain que l’économie ait atteint son plus bas niveau. Même si nous adoptons toutes sortes de mesures, il n’est pas dit qu’elle aura totalement récupéré dans deux ans. Je ne doute absolument pas de notre capacité à remettre l’économie sur les rails, mais nous devons commencer par sortir du trou que nous avons creusé. Avant même de pouvoir parler d’un plan de relance efficace, j’hériterai d’un déficit d’au moins 1 000 milliards de dollars. Nous sommes en outre en présence d’un déficit structurel qui imposera des décisions très difficiles. Faire repartir l’économie à court terme et établir une politique budgétaire responsable sur le long terme, à un moment où les foyers américains subissent la crise de plein fouet et où tant de besoins ne sont pas satisfaits, voilà un énorme problème. Je ne pense pas que nous puissions le résoudre d’un coup de baguette magique. Il faudra équilibrer soigneusement les priorités, et nous commettrons certainement des erreurs dans la foulée. Car certains de ces choix se heurteront à des résistances politiques, pas seulement de la part des républicains, mais également dans mon propre camp.
D’autres problèmes m’empêchent de bien dormir. Je pense, par exemple, que l’Afghanistan sera un défi. Je suis certain que le retrait de nos troupes d’Irak est la bonne chose à faire. Je pense que nous pouvons effectuer ce retrait de façon raisonnable et stabiliser la situation en Irak. Nous allons devoir prendre des initiatives militaires, mais aussi diplomatiques, afin d’engager pleinement le Pakistan comme allié dans la région, de désamorcer les tensions entre l’Inde et le Pakistan, pour ensuite impliquer tout le monde dans l’éradication des mouvements militants sur un territoire, sur un terrain qui est très dangereux – dans un énorme pays qui est l’un des plus pauvres et des moins développés du monde. Je pense que ce sera une situation très difficile. La troisième chose qui occupe mes nuits est la question de la prolifération nucléaire. Nous allons devoir prendre des initiatives pour raccommoder un régime de non-prolifération qui a été malmené. Et ce alors qu’Internet a rendu les techniques de fabrication d’armes de destruction massive plus accessibles que jamais, à un moment où de plus en plus de pays chercheront à se doter de programmes d’énergie nucléaire. Ce sera là un défi particulièrement important.
Enfin, pour couronner le tout, il y a le changement climatique. Tous les indicateurs montrent qu’il progresse plus vite que ne le prévoyaient il y a encore deux ou trois ans les chercheurs les plus pessimistes. La communauté internationale devra consentir un énorme effort pour s’y attaquer sérieusement. Et cet effort aura un coût. Or mettre en place les conditions de cette transformation – qui présente d’immenses opportunités en termes de croissance économique et de créations d’emplois à long terme, mais coûtera cher dans l’immédiat – est la chose la plus difficile à faire en politique. Cela implique d’engager de lourds investissements qui ne porteront leurs fruits qu’à long terme. J’arrête ici la liste.
(...)
Quel est votre secret pour si bien tenir tête à de grosses organisations et relever aussi rapidement des défis, que ce soit dans la façon dont vous avez mené votre campagne ou maintenant ?
Il n’y a pas vraiment de secret. Je crois que je sais repérer les talents et que j’embauche donc des gens compétents. Ayant un ego assez sain, je n’hésite pas à recruter les gens les plus intelligents, même s’ils le sont plus que moi. Je tolère en revanche très mal les gens qui brassent du vent, cherchent à protéger leur territoire ou se livrent à des petits manèges, et je le fais savoir d’emblée très clairement. C’est pourquoi, au bout d’un moment, des rapports de confiance commencent à s’installer entre les gens, qui se concentrent sur leur mission et non sur les ambitions personnelles ou les conflits. A partir du moment où on a des gens très compétents qui s’investissent tous dans la même mission, on arrive généralement à faire avancer les choses."
samedi 17 janvier 2009
Chefs de légende
Malheureusement je n'ai pu trouver que ce court extrait de l'interprétation que Carlo Maria Guilini a enregistré de la 3e symphonie, dite "Héroïque", de Beethoven, sans conteste, à mes yeux, plus admirable, puissante et juste que celle d'Abbado, mieux scandée que celle, pourtant également magnifique, de Karajan. On ne peut l'écouter sans être littéralement "saisi au cheveu", comme dit Flaubert. Un disque à se procurer de toute urgence, tout comme son enregistrement, qui reste aujourd'hui encore la référence absolue, du Don Juan de Mozart :
Et puisque nous en sommes à évoquer les grands chefs d'orchestre, voici à l'oeuvre une autre figure de légende : Carlos Kleiber, répétant, en 1970, avec le sens de la perfection qui le caractérisait, l'ouverture du Freischütz de Weber. Cette vidéo est d'autant plus précieuse que Kleiber, que Placido Domingo appelait "le magicien", n'a jamais accordé d'entretien.
Ne manquez pas de voir les autres vidéos disponibles, en cliquant sur une des icônes qui s'affichent, à la fin, au bas de l'écran.
Et puisque nous en sommes à évoquer les grands chefs d'orchestre, voici à l'oeuvre une autre figure de légende : Carlos Kleiber, répétant, en 1970, avec le sens de la perfection qui le caractérisait, l'ouverture du Freischütz de Weber. Cette vidéo est d'autant plus précieuse que Kleiber, que Placido Domingo appelait "le magicien", n'a jamais accordé d'entretien.
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vendredi 16 janvier 2009
Milan Kundera et Denis Diderot
L'hommage de Milan Kundera à Denis Diderot par Václav Richter (18-09-2004) :
"Quand la pesante irrationalité russe est tombée sur mon pays, j'ai éprouvé un besoin instinctif de respirer fortement l'esprit des Temps modernes occidentaux. Et il me semblait n'être concerné avec une telle densité nulle part autant que dans ce festin d'intelligence, d'humour et de fantaisie qu'est Jacques le Fataliste," dit Milan Kundera dans la préface de la pièce de théâtre Jacques et son maître qu'il a écrite en s'inspirant du célèbre roman de Denis Diderot.
En 1972, le jeune metteur en scène français, Georges Werler, rend visite à Kundera à Prague et réussit, malgré les contrôles à la frontière, à faire passer en France le manuscrit de la pièce Jacques et son maître. Dans un pays occupé par l'armée russe le romancier tchèque a rendu hommage à l'écrivain et philosophe français qui l'a aidé à survivre une période difficile. A ce temps-là, la situation de Milan Kundera semble sans espoir. Réduit au silence, il est condamné à vivoter sous un régime qui n'est pas du tout disposé à lui pardonner sa liberté d'esprit. A cette époque, l'écrivain se détourne de la littérature russe, refuse de faire une adaptation théâtrale de L'idiot de Dostoïevski, et éprouve une véritable passion pour Jacques le Fataliste de Diderot et même pour les aspects de ce roman considérés par d'aucuns comme négatifs et critiquables.
Dans cet ouvrage insolite, Diderot a donné libre cours à sa fantaisie sans respecter les lois du récit et de la construction romanesque. Il raconte le voyage du valet Jacques et de son maître d'une façon qui est, en apparence, complètement incohérente. Il n'arrête pas de couper le récit par d'innombrables digressions, il y ajoute des épisodes qui ne sont que vaguement liées à l'histoire principale, il se moque de son lecteur, met à l'épreuve sa patience, le provoque et joue à cache-cache avec lui. Tout ce qui est raconté est mis en doute, rien n'est tout à fait sérieux. Et ce sont justement cette liberté, cette originalité, ce manque de sérieux qui font le bonheur de Milan Kundera : "Je veux le dire impérativement: aucun roman digne de ce nom ne prend le monde au sérieux. Qu'est ce que cela veut dire d'ailleurs "prendre le monde au sérieux" ? Cela veut certainement dire : croire à ce que le monde veut nous faire croire. De Don Quichotte jusqu'à Ulysse, le roman conteste ce que le monde veut nous faire croire." ... "Le roman de Diderot est une explosion d'impertinente liberté sans autocensure et d'érotisme sens alibi sentimental."
Au centre du livre de Diderot, se trouve l'histoire de Mme de la Pommeraye, une histoire célèbre qui, si j'ose dire, a depuis longtemps sa propre vie, histoire qui s'est échappée du livre, qui a été maintes fois interprétée et réinterprétée, portée à l'écran, etc. C'est l'aubergiste, une brave femme ayant accueilli le maître et son valet dans sa maison, qui leur raconte comment Mme de la Pommeraye s'est vengé du marquis des Arcis, l'homme qui avait cessé de l'aimer. Elle lui présente une certaine Mlle d'Aisnon, une prostituée, en prétendant qu'il s'agit d'une vierge immaculée, un miracle de la pureté et de la pudeur. Le marquis tombe amoureux de la fille et l'épouse. Et c'est le moment attendu par Mme de la Pommeraye pour lui révéler la véritable identité de sa jeune femme. Pour le marquis c'est un choc terrible, la séparation lui semble inévitable, mais, après un temps de réflexion il se rend compte des qualités de son épouse et, faisant preuve d'une grande générosité, invite sa femme à commencer une vie nouvelle avec lui.
Bien que cet épisode du roman puisse exister séparément, Kundera se rend compte que son véritable intérêt réside dans la façon dont elle est racontée et incorporée dans la structure complexe du roman. Une femme du peuple raconte des événements qui se passent dans un milieu qui lui est étranger, le récit est sans cesse interrompu par des anecdotes, il est commenté, analysé ce qui rend impossible l'identification mélodramatique avec les personnages, chacun des commentateurs en tire une conclusion différente, car, selon Kundera, l'histoire de Mme de la Pommeraye est une antimoralité.
Il y a encore un autre aspect qui semble prédestiner cette variation sur Diderot à une adaptation théâtrale. C'est un roman en dialogues. Kundera écrit: "Chez Diderot, cinq narrateurs, s'interrompant l'un l'autre, racontent les histoires du roman: l'auteur lui-même (en dialoguant avec son lecteur) ; le maître (en dialoguant avec Jacques); Jacques (en dialoguant avec son auditoire) ; et le marquis des Arcis. Le procédé dominant toutes les histoires particulières est le dialogue (sa virtuosité est sans pareil). Mais les narrateurs racontent ces dialogues en dialoguant (les dialogues sont emboîtés dans un dialogue) de sorte que l'ensemble du roman n'est qu'une immense conversation à haute voix."
Néanmoins, Milan Kundera se rend parfaitement compte des dangers que comporte toute adaptation de grandes oeuvres littéraires. Il sait que dans la majorité des cas les adaptations ne sont que simplifications. "L'adaptation devient ainsi la négation pure et simple de l'originalité du roman, constate-t-il dans la préface. Pour échapper à ce piège, il décide d'écrire sa propre pièce et de prêter à sa comédie "la liberté formelle que Diderot - romancier a découverte et que Diderot - auteur de théâtre n'a jamais connue." Il constate que le récit, assez maigre d'ailleurs, du voyage de Jacques et de son maître, sert de support à trois histoires d'amour, celle du maître, celle de Jacques et celle de Mme de la Pommeraye. Deux de ses histoires font, dans une certaine mesure seulement, partie du récit principal, la troisième n'étant qu'un épisode indépendant. L'écrivain décide d'utiliser donc la technique de la polyphonie, c'est-à-dire entremêler les trois histoires, et aussi la technique des variations, car les trois histoires sont en fait chacune la variation de l'autre. Il explique: "Toute la pièce devient ainsi 'une variation sur Diderot' et en même temps un 'hommage à la technique des variations' de même que l'a été, sept ans plus tard, mon roman Le livre du rire et de l'oubli."
Et le résultat? La comédie de Kundera est plus qu'une adaptation. Etonnement vivante et originale, elle jette une nouvelle lumière sur le roman de Diderot qui l'a inspiré. "Mais si le roman de Diderot, de la pièce de Kundera, reçoit de la lumière et comme un surcroît de signification, écrit l'auteur de la postface de l'édition française de la pièce, François Ricard, le plus beau est peut-être cette confiance faite par Kundera à l'oeuvre de son prédécesseur et dont témoigne l'écriture de Jacques et de son maître: confiance, c'est-à-dire consentement et respect, la conscience, tout en se modelant sur l'autre, de demeurer soi-même, de découvrir son propre visage dans l'évocation des traits de l'autre, et de créer tout en admirant."
www.radio.cz
"Quand la pesante irrationalité russe est tombée sur mon pays, j'ai éprouvé un besoin instinctif de respirer fortement l'esprit des Temps modernes occidentaux. Et il me semblait n'être concerné avec une telle densité nulle part autant que dans ce festin d'intelligence, d'humour et de fantaisie qu'est Jacques le Fataliste," dit Milan Kundera dans la préface de la pièce de théâtre Jacques et son maître qu'il a écrite en s'inspirant du célèbre roman de Denis Diderot.
En 1972, le jeune metteur en scène français, Georges Werler, rend visite à Kundera à Prague et réussit, malgré les contrôles à la frontière, à faire passer en France le manuscrit de la pièce Jacques et son maître. Dans un pays occupé par l'armée russe le romancier tchèque a rendu hommage à l'écrivain et philosophe français qui l'a aidé à survivre une période difficile. A ce temps-là, la situation de Milan Kundera semble sans espoir. Réduit au silence, il est condamné à vivoter sous un régime qui n'est pas du tout disposé à lui pardonner sa liberté d'esprit. A cette époque, l'écrivain se détourne de la littérature russe, refuse de faire une adaptation théâtrale de L'idiot de Dostoïevski, et éprouve une véritable passion pour Jacques le Fataliste de Diderot et même pour les aspects de ce roman considérés par d'aucuns comme négatifs et critiquables.
Dans cet ouvrage insolite, Diderot a donné libre cours à sa fantaisie sans respecter les lois du récit et de la construction romanesque. Il raconte le voyage du valet Jacques et de son maître d'une façon qui est, en apparence, complètement incohérente. Il n'arrête pas de couper le récit par d'innombrables digressions, il y ajoute des épisodes qui ne sont que vaguement liées à l'histoire principale, il se moque de son lecteur, met à l'épreuve sa patience, le provoque et joue à cache-cache avec lui. Tout ce qui est raconté est mis en doute, rien n'est tout à fait sérieux. Et ce sont justement cette liberté, cette originalité, ce manque de sérieux qui font le bonheur de Milan Kundera : "Je veux le dire impérativement: aucun roman digne de ce nom ne prend le monde au sérieux. Qu'est ce que cela veut dire d'ailleurs "prendre le monde au sérieux" ? Cela veut certainement dire : croire à ce que le monde veut nous faire croire. De Don Quichotte jusqu'à Ulysse, le roman conteste ce que le monde veut nous faire croire." ... "Le roman de Diderot est une explosion d'impertinente liberté sans autocensure et d'érotisme sens alibi sentimental."
Au centre du livre de Diderot, se trouve l'histoire de Mme de la Pommeraye, une histoire célèbre qui, si j'ose dire, a depuis longtemps sa propre vie, histoire qui s'est échappée du livre, qui a été maintes fois interprétée et réinterprétée, portée à l'écran, etc. C'est l'aubergiste, une brave femme ayant accueilli le maître et son valet dans sa maison, qui leur raconte comment Mme de la Pommeraye s'est vengé du marquis des Arcis, l'homme qui avait cessé de l'aimer. Elle lui présente une certaine Mlle d'Aisnon, une prostituée, en prétendant qu'il s'agit d'une vierge immaculée, un miracle de la pureté et de la pudeur. Le marquis tombe amoureux de la fille et l'épouse. Et c'est le moment attendu par Mme de la Pommeraye pour lui révéler la véritable identité de sa jeune femme. Pour le marquis c'est un choc terrible, la séparation lui semble inévitable, mais, après un temps de réflexion il se rend compte des qualités de son épouse et, faisant preuve d'une grande générosité, invite sa femme à commencer une vie nouvelle avec lui.
Bien que cet épisode du roman puisse exister séparément, Kundera se rend compte que son véritable intérêt réside dans la façon dont elle est racontée et incorporée dans la structure complexe du roman. Une femme du peuple raconte des événements qui se passent dans un milieu qui lui est étranger, le récit est sans cesse interrompu par des anecdotes, il est commenté, analysé ce qui rend impossible l'identification mélodramatique avec les personnages, chacun des commentateurs en tire une conclusion différente, car, selon Kundera, l'histoire de Mme de la Pommeraye est une antimoralité.
Il y a encore un autre aspect qui semble prédestiner cette variation sur Diderot à une adaptation théâtrale. C'est un roman en dialogues. Kundera écrit: "Chez Diderot, cinq narrateurs, s'interrompant l'un l'autre, racontent les histoires du roman: l'auteur lui-même (en dialoguant avec son lecteur) ; le maître (en dialoguant avec Jacques); Jacques (en dialoguant avec son auditoire) ; et le marquis des Arcis. Le procédé dominant toutes les histoires particulières est le dialogue (sa virtuosité est sans pareil). Mais les narrateurs racontent ces dialogues en dialoguant (les dialogues sont emboîtés dans un dialogue) de sorte que l'ensemble du roman n'est qu'une immense conversation à haute voix."
Néanmoins, Milan Kundera se rend parfaitement compte des dangers que comporte toute adaptation de grandes oeuvres littéraires. Il sait que dans la majorité des cas les adaptations ne sont que simplifications. "L'adaptation devient ainsi la négation pure et simple de l'originalité du roman, constate-t-il dans la préface. Pour échapper à ce piège, il décide d'écrire sa propre pièce et de prêter à sa comédie "la liberté formelle que Diderot - romancier a découverte et que Diderot - auteur de théâtre n'a jamais connue." Il constate que le récit, assez maigre d'ailleurs, du voyage de Jacques et de son maître, sert de support à trois histoires d'amour, celle du maître, celle de Jacques et celle de Mme de la Pommeraye. Deux de ses histoires font, dans une certaine mesure seulement, partie du récit principal, la troisième n'étant qu'un épisode indépendant. L'écrivain décide d'utiliser donc la technique de la polyphonie, c'est-à-dire entremêler les trois histoires, et aussi la technique des variations, car les trois histoires sont en fait chacune la variation de l'autre. Il explique: "Toute la pièce devient ainsi 'une variation sur Diderot' et en même temps un 'hommage à la technique des variations' de même que l'a été, sept ans plus tard, mon roman Le livre du rire et de l'oubli."
Et le résultat? La comédie de Kundera est plus qu'une adaptation. Etonnement vivante et originale, elle jette une nouvelle lumière sur le roman de Diderot qui l'a inspiré. "Mais si le roman de Diderot, de la pièce de Kundera, reçoit de la lumière et comme un surcroît de signification, écrit l'auteur de la postface de l'édition française de la pièce, François Ricard, le plus beau est peut-être cette confiance faite par Kundera à l'oeuvre de son prédécesseur et dont témoigne l'écriture de Jacques et de son maître: confiance, c'est-à-dire consentement et respect, la conscience, tout en se modelant sur l'autre, de demeurer soi-même, de découvrir son propre visage dans l'évocation des traits de l'autre, et de créer tout en admirant."
lundi 12 janvier 2009
Prime Time Torture
L'ONG Human Rights Watch vient de réaliser un court film, Prime Time Torture, dans lequel est dénoncée la pratique de la torture dans les séries télévisées américaines, en particulier dans la série 24 Heures. Où l'on retrouve bien des arguments présentés dans Du bon usage de la torture (le caractère irréaliste de la parabole de la bombe à retardement, l'inefficacité de la torture, etc.)
www.humanrightfirst.ord
dimanche 11 janvier 2009
Souad Massi
Merci à Stéphane de m'avoir fait connaître cette chanson si belle de la chanteuse algérienne, Souad Massi :
samedi 10 janvier 2009
vendredi 9 janvier 2009
Projet de suppression du juge d'instruction
L'avocat, François Saint-Pierre, auteur du Guide de la défense pénale (Dalloz, 2007), répond sur le site 20minutes.fr aux questions des internautes sur le projet de suppression du juge d'instruction. Quelques extraits, les plus saillants, de ces entretiens qui mettent en évidence les points essentiels du débat :
"Chaque fois que l’on a parlé de la suppression du juge d’instruction, depuis vingt ans, ce même argument nous a été objecté: les juges d’instruction seraient les seuls magistrats purs et honnêtes, indépendants et travailleurs, devant lutter contre les méchants procureurs, aux ordres du pouvoir. Permettez-moi de vous dire que les choses sont plus subtiles que cela! C’est vrai, je le redis encore, que la suppression du juge d’instruction implique une nouvelle définition du statut des procureurs de la République et de l’ensemble des magistrats du parquet. C’est une nécessité. Je souligne une fois encore le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà averti la France, l’été dernier, en jugeant qu’en l’état des choses, le procureur est trop dépendant du gouvernement et ne peut donc pas être considéré comme une autorité judiciaire. C’est dire ! Mais pour bien les connaître, je peux vous assurer que les magistrats du parquet, en France, sont de vrais magistrats, animés d’une éthique de l’action publique et du droit des gens. Le procureur Eric de Montgolfier en est le plus bel exemple ! Et contrairement à ce que vous croyez, les juges d’instruction, qui pourtant étaient indépendants, n’est-ce pas, n’ont pas fait de leur indépendance un usage remarquable... Dans la plupart des affaires, leurs ordonnances de règlement, comme l’on dit, c’est-à-dire leurs conclusions finales, sont les copies conformes de celles des procureurs (les réquisitoires définitifs)! C’est cela qui a ruiné la fonction des juges d’instruction: rien, ou si peu, dans leur pratique, les distinguait des magistrats du ministère public... Et n’allez pas croire que les affaires politico-financières, des années 90 jusqu’à maintenant, aient été le signe de leur indépendance: c’est en accord avec le ministère public, que ces affaires ont toujours été menées. Et bien souvent, elles ont été instrumentalisées par le pouvoir politique, ce dont les juges d’instruction étaient bien conscients! Ne soyons pas naïf. Savez-vous ce qui assurerait aux magistrats du siège une authentique indépendance? La séparation de ces deux corps de la magistrature (comme l’a justement souligné Daniel Soulez Larivière dans la presse hier). Aujourd’hui, les carrières d’un magistrat du siège ou du parquet sont en tous points semblables, de l’Ecole de la magistrature à la retraite. Séparez les corps en deux, et les juges seront indépendants! C'est d'ailleurs le souhait qu'expriment ouvertement depuis plusieurs années maintenant de nombreux magistrats du siège, et non des moindres (...)
"Donc, si la fonction de juge d'instruction devait être supprimée, elle serait exercée par le procureur de la République. Et dès lors, je ne peux que me répéter: il sera essentiel que la loi organise des recours effectifs pour que la légalité des enquêtes qui seront menées par les parquets soit contrôlée par les cours d'appels d'une manière aussi sérieuse que l'ont été les procédures des juges d'instruction, au minimum. La garantie des libertés individuelles en France est ici en jeu (...)
On ne peut pas soutenir sérieusement que le juge d’instruction est en soi le gardien des libertés individuelles, et que sa suppression serait un grand danger pour la démocratie. Soyons sérieux. En revanche, si le juge d’instruction est supprimé du système judiciaire, c’est le procureur qui exercera ses pouvoirs à sa place. Et dans ce cas, deux conditions sont essentielles pour une bonne Justice: d’une part, un nouveau statut des magistrats du parquet, qui garantisse leur indépendance vis-à-vis du pourvoir politique dans la conduite des enquêtes; et d’autre part, et c’est essentiel, un renforcement considérable des droits de la défense, pour que l’avocat de la défense puisse jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir. Sans ces deux conditions, cette réforme n’aurait aucun sens et serait vouée à l’échec."
www.20minutes.fr
"Chaque fois que l’on a parlé de la suppression du juge d’instruction, depuis vingt ans, ce même argument nous a été objecté: les juges d’instruction seraient les seuls magistrats purs et honnêtes, indépendants et travailleurs, devant lutter contre les méchants procureurs, aux ordres du pouvoir. Permettez-moi de vous dire que les choses sont plus subtiles que cela! C’est vrai, je le redis encore, que la suppression du juge d’instruction implique une nouvelle définition du statut des procureurs de la République et de l’ensemble des magistrats du parquet. C’est une nécessité. Je souligne une fois encore le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà averti la France, l’été dernier, en jugeant qu’en l’état des choses, le procureur est trop dépendant du gouvernement et ne peut donc pas être considéré comme une autorité judiciaire. C’est dire ! Mais pour bien les connaître, je peux vous assurer que les magistrats du parquet, en France, sont de vrais magistrats, animés d’une éthique de l’action publique et du droit des gens. Le procureur Eric de Montgolfier en est le plus bel exemple ! Et contrairement à ce que vous croyez, les juges d’instruction, qui pourtant étaient indépendants, n’est-ce pas, n’ont pas fait de leur indépendance un usage remarquable... Dans la plupart des affaires, leurs ordonnances de règlement, comme l’on dit, c’est-à-dire leurs conclusions finales, sont les copies conformes de celles des procureurs (les réquisitoires définitifs)! C’est cela qui a ruiné la fonction des juges d’instruction: rien, ou si peu, dans leur pratique, les distinguait des magistrats du ministère public... Et n’allez pas croire que les affaires politico-financières, des années 90 jusqu’à maintenant, aient été le signe de leur indépendance: c’est en accord avec le ministère public, que ces affaires ont toujours été menées. Et bien souvent, elles ont été instrumentalisées par le pouvoir politique, ce dont les juges d’instruction étaient bien conscients! Ne soyons pas naïf. Savez-vous ce qui assurerait aux magistrats du siège une authentique indépendance? La séparation de ces deux corps de la magistrature (comme l’a justement souligné Daniel Soulez Larivière dans la presse hier). Aujourd’hui, les carrières d’un magistrat du siège ou du parquet sont en tous points semblables, de l’Ecole de la magistrature à la retraite. Séparez les corps en deux, et les juges seront indépendants! C'est d'ailleurs le souhait qu'expriment ouvertement depuis plusieurs années maintenant de nombreux magistrats du siège, et non des moindres (...)
"Donc, si la fonction de juge d'instruction devait être supprimée, elle serait exercée par le procureur de la République. Et dès lors, je ne peux que me répéter: il sera essentiel que la loi organise des recours effectifs pour que la légalité des enquêtes qui seront menées par les parquets soit contrôlée par les cours d'appels d'une manière aussi sérieuse que l'ont été les procédures des juges d'instruction, au minimum. La garantie des libertés individuelles en France est ici en jeu (...)
On ne peut pas soutenir sérieusement que le juge d’instruction est en soi le gardien des libertés individuelles, et que sa suppression serait un grand danger pour la démocratie. Soyons sérieux. En revanche, si le juge d’instruction est supprimé du système judiciaire, c’est le procureur qui exercera ses pouvoirs à sa place. Et dans ce cas, deux conditions sont essentielles pour une bonne Justice: d’une part, un nouveau statut des magistrats du parquet, qui garantisse leur indépendance vis-à-vis du pourvoir politique dans la conduite des enquêtes; et d’autre part, et c’est essentiel, un renforcement considérable des droits de la défense, pour que l’avocat de la défense puisse jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir. Sans ces deux conditions, cette réforme n’aurait aucun sens et serait vouée à l’échec."
jeudi 8 janvier 2009
Chronique d'Olivier Duhamel
Mercredi 7 janvier, la chronique d'Olivier Duhamel sur France culture revient sur l'article publié dans Le Monde :
L’abus du mot terroriste
"Nos auditeurs n’ont pas tous lu l’article du philosophe Michel Terestchenko dans Le Monde daté d’aujourd’hui, intitulé « Non à la banalisation des législations d’exception ». Pour eux, comme pour ceux qui ont eu connaissance de ce texte, qu’il soit permis d’insister ce matin. Il évoque le traitement infligé aux saboteurs présumés du TGV pour, guillemets, « briser leur résistance psychique ».
Deux personnes, Julien Coupat et Yldune Lévy, sont incarcérées depuis le 16 novembre dernier, parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir saboté des lignes TGV. Cette incarcération a été maintenue par décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris du 26 décembre. Cet emprisonnement prolongé soulève au moins trois questions fondamentales, au moins pour qui considère encore que la préservation des libertés présente quelque importance.
La première renvoie à l’égalité devant la loi. Si Julien Coupat et Yldune Lévy étaient, par exemple, des responsables d’un parti politique établi, même d’extrême gauche, genre LCR d’Olivier Besançenot, nul doute que leur maintien en détention sans preuve formelle soulèverait l’indignation de la classe politique, au moins du côté gauche. S’ils étaient journalistes, nul doute que la tempête médiatique ferait rage. S’ils étaient infirmiers, la ministre de la Santé s’inquiéterait publiquement. Ils ne sont que des anonymes. À de rares voix près, tout le monde s’en fiche.
Deuxième interrogation, celle de la lancinante mais très importante question de la présomption d’innocence. Elle vaut pour tous. Elle devrait interdire l’incarcération, sauf lorsqu’il s’agit du seul moyen d’empêcher la répétition d’actes criminels ou l’organisation de la dissimulation des preuves indispensables à l’établissement de la vérité.
La troisième, au cœur de l’article de Michel Terestchenko, concerne l’abus du mot « terroriste ». Il est utilisé en l’espèce pour justifier non seulement le maintien en prison, mais en plus des traitements inhumains, tels, si l’on en croit les révélations du Canard Enchaîné, la lumière allumée toutes les deux heures dans la cellule de Yldune Lévy à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Terestchenko cite une circulaire du 13 juin 2008 émanant de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice qui s’inquiète de la, je cite « multiplication d’actions violentes… susceptibles d’être attribuées à la mouvance anarcho-autonome » , et de la demande aux parquets, je cite à nouveau, « d’en informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet du tribunal de grande instance de Paris ». Qu’il soit légitime de lutter contre le sabotage de lignes ferroviaires, presque personne n’en doute. Qu’il s’agisse d’actes terroristes, et que l’on puisse du coup leur appliquer un traitement d’ exception, voilà qui devient franchement absurde, condamnable et dangereux.
Notre philosophe appelle à juste titre à la vigilance à l’encontre de ce qu’il appelle la « métaphorisation » de la notion de terrorisme. Ajoutons qu’une telle dérive est favorisée par la définition française du terrorisme. Elle ne s’en tient pas aux types d’actes commis, par exemple, selon la Convention européenne du 10 janvier 2000 pour la répression du financement du terrorisme, un acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toute autre personne. Mais repose sur un critère intentionnel : « troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur les actes suivants : les atteintes à la vie… les vols, les destructions, les dégradations et détériorations , et cetera. D’où la double urgence : changer notre droit, changer l’abus de l’interprétation qui en est faite."
www.radiofrance.fr
L’abus du mot terroriste
"Nos auditeurs n’ont pas tous lu l’article du philosophe Michel Terestchenko dans Le Monde daté d’aujourd’hui, intitulé « Non à la banalisation des législations d’exception ». Pour eux, comme pour ceux qui ont eu connaissance de ce texte, qu’il soit permis d’insister ce matin. Il évoque le traitement infligé aux saboteurs présumés du TGV pour, guillemets, « briser leur résistance psychique ».
Deux personnes, Julien Coupat et Yldune Lévy, sont incarcérées depuis le 16 novembre dernier, parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir saboté des lignes TGV. Cette incarcération a été maintenue par décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris du 26 décembre. Cet emprisonnement prolongé soulève au moins trois questions fondamentales, au moins pour qui considère encore que la préservation des libertés présente quelque importance.
La première renvoie à l’égalité devant la loi. Si Julien Coupat et Yldune Lévy étaient, par exemple, des responsables d’un parti politique établi, même d’extrême gauche, genre LCR d’Olivier Besançenot, nul doute que leur maintien en détention sans preuve formelle soulèverait l’indignation de la classe politique, au moins du côté gauche. S’ils étaient journalistes, nul doute que la tempête médiatique ferait rage. S’ils étaient infirmiers, la ministre de la Santé s’inquiéterait publiquement. Ils ne sont que des anonymes. À de rares voix près, tout le monde s’en fiche.
Deuxième interrogation, celle de la lancinante mais très importante question de la présomption d’innocence. Elle vaut pour tous. Elle devrait interdire l’incarcération, sauf lorsqu’il s’agit du seul moyen d’empêcher la répétition d’actes criminels ou l’organisation de la dissimulation des preuves indispensables à l’établissement de la vérité.
La troisième, au cœur de l’article de Michel Terestchenko, concerne l’abus du mot « terroriste ». Il est utilisé en l’espèce pour justifier non seulement le maintien en prison, mais en plus des traitements inhumains, tels, si l’on en croit les révélations du Canard Enchaîné, la lumière allumée toutes les deux heures dans la cellule de Yldune Lévy à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Terestchenko cite une circulaire du 13 juin 2008 émanant de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice qui s’inquiète de la, je cite « multiplication d’actions violentes… susceptibles d’être attribuées à la mouvance anarcho-autonome » , et de la demande aux parquets, je cite à nouveau, « d’en informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet du tribunal de grande instance de Paris ». Qu’il soit légitime de lutter contre le sabotage de lignes ferroviaires, presque personne n’en doute. Qu’il s’agisse d’actes terroristes, et que l’on puisse du coup leur appliquer un traitement d’ exception, voilà qui devient franchement absurde, condamnable et dangereux.
Notre philosophe appelle à juste titre à la vigilance à l’encontre de ce qu’il appelle la « métaphorisation » de la notion de terrorisme. Ajoutons qu’une telle dérive est favorisée par la définition française du terrorisme. Elle ne s’en tient pas aux types d’actes commis, par exemple, selon la Convention européenne du 10 janvier 2000 pour la répression du financement du terrorisme, un acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toute autre personne. Mais repose sur un critère intentionnel : « troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur les actes suivants : les atteintes à la vie… les vols, les destructions, les dégradations et détériorations , et cetera. D’où la double urgence : changer notre droit, changer l’abus de l’interprétation qui en est faite."
lundi 5 janvier 2009
L'enfer à Gaza
Cinq habitants de Gaza témoignent, dans The Guardian, de l'enfer qu'ils vivent et de la terreur qu'éprouvent leurs enfants :
www.guardian.co.ok
Au-delà des larmes, un père aligne, côte à côte, les cadavres de ces trois petits enfants :
www.guardian.co.uk
Au-delà des larmes, un père aligne, côte à côte, les cadavres de ces trois petits enfants :
Article Le Monde
Sauf imprévu, l'article consacré à Julien Coupat et Yldune Lévy doit paraître dans Le Monde demain.
samedi 3 janvier 2009
Répliques
L'émission Répliques, à laquelle j'ai participé hier avec Philippe Chanial, sur le thème "De l'amour de soi à l'amour des autres", peut être réécoutée à l'adresse suivante :
www.radiofrance.fr
vendredi 2 janvier 2009
2008 : année noire pour les libertés civiques aux Etats-Unis
Un article éclairant du spécialiste américain en droit constitutionnel, Glenn Greenwald, sur le recul des libertés civiques aux Etats-Unis durant l'année 2008, dont se rendit complice le parti démocrate lequel dispose pourtant de la majorité au Congrès. En particulier dans le domaine de la surveillance téléphonique et électronique, et de l'espionnage de la vie privée par la NSA (National Security Agency) qui, selon une disposition législative votée en juillet 2008 (FISA Amendment Act), peut désormais s'exercer, jusqu'à une période d'une semaine, sur tout citoyen en l'absence de mandat judiciaire (au lieu des 48 heures précédemment autorisées) et qui met les compagnies de téléphone à l'abri de toute poursuite - le texte fut voté par les principaux dirigeants du parti démocrate, et par Barak Obama lui-même - concédant à l'administration Bush tout ce qu'elle demandait ; un recul marqué également par le veto présidentiel (en janvier 2008) contre la loi, votée à la fin de l'année précédente, obligeant les agences de renseignement à respecter, en matière d'interrogatoire, les règles beaucoup plus strictes en vigueur dans l'armée américaine (Army Field Manual), et qui aurait conduit à interdire la pratique de la noyade par simulation (warterboarding). Rappelons que John Mc Cain, que l'on présente généralement comme un opposant farouche à la pratique de la torture, avait voté contre cette interdiction. L'auteur revient, ensuite, sur la victoire que représente la décision de la Cour suprême, en juin, jugeant inconstitution-nelle une des dispositions les plus contestées du Military Commission Act de 2006, dite "loi sur la torture", privant les détenus de Guantanamo de la possibilité d'être jugés par un tribunal fédéral. De même que constitue une victoire, encore toute relative, la récente décision de la plus haute juridiction de l'Etat d'examiner le jugement rendu dans l'affaire Ali Saleh Kahlah al-Marri où une cour d'appel avait reconnu l'autorité du président des Etats-Unis de détenir des résidents réguliers, et même des citoyens américains, dans une prison militaire, en tant que "combattants illégaux", plutôt que de les déférer devant une juridiction ordinaire.
Ainsi que le conclut Glenn Greenwald : "Aussi noires et déprimantes ces sept dernières années ont-elles été pour les défenseurs des libertés civiques, culminant dans une année 2008 presque entièrement sinistre, il ne fait pas de doute que l'administration Obama et les démocrates en genéral disposent désormais du pouvoir d'annuler ces abus et de restaurer nos valeurs politiques nationales. Mais, ainsi que le démontrent les événements des douze derniers moins, il y a de sérieuses raisons de se demander s'ils ont vraiment la volonté de le faire."
www.salon.com
Sur le contenu du Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978 Amendments Act of 2008, voir :
en.wikipedia.org
Ainsi que le conclut Glenn Greenwald : "Aussi noires et déprimantes ces sept dernières années ont-elles été pour les défenseurs des libertés civiques, culminant dans une année 2008 presque entièrement sinistre, il ne fait pas de doute que l'administration Obama et les démocrates en genéral disposent désormais du pouvoir d'annuler ces abus et de restaurer nos valeurs politiques nationales. Mais, ainsi que le démontrent les événements des douze derniers moins, il y a de sérieuses raisons de se demander s'ils ont vraiment la volonté de le faire."
Sur le contenu du Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978 Amendments Act of 2008, voir :
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