On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 8 janvier 2009

Chronique d'Olivier Duhamel

Mercredi 7 janvier, la chronique d'Olivier Duhamel sur France culture revient sur l'article publié dans Le Monde :

L’abus du mot terroriste

"Nos auditeurs n’ont pas tous lu l’article du philosophe Michel Terestchenko dans Le Monde daté d’aujourd’hui, intitulé « Non à la banalisation des législations d’exception ». Pour eux, comme pour ceux qui ont eu connaissance de ce texte, qu’il soit permis d’insister ce matin. Il évoque le traitement infligé aux saboteurs présumés du TGV pour, guillemets, « briser leur résistance psychique ».
Deux personnes, Julien Coupat et Yldune Lévy, sont incarcérées depuis le 16 novembre dernier, parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir saboté des lignes TGV. Cette incarcération a été maintenue par décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris du 26 décembre. Cet emprisonnement prolongé soulève au moins trois questions fondamentales, au moins pour qui considère encore que la préservation des libertés présente quelque importance.
La première renvoie à l’égalité devant la loi. Si Julien Coupat et Yldune Lévy étaient, par exemple, des responsables d’un parti politique établi, même d’extrême gauche, genre LCR d’Olivier Besançenot, nul doute que leur maintien en détention sans preuve formelle soulèverait l’indignation de la classe politique, au moins du côté gauche. S’ils étaient journalistes, nul doute que la tempête médiatique ferait rage. S’ils étaient infirmiers, la ministre de la Santé s’inquiéterait publiquement. Ils ne sont que des anonymes. À de rares voix près, tout le monde s’en fiche.
Deuxième interrogation, celle de la lancinante mais très importante question de la présomption d’innocence. Elle vaut pour tous. Elle devrait interdire l’incarcération, sauf lorsqu’il s’agit du seul moyen d’empêcher la répétition d’actes criminels ou l’organisation de la dissimulation des preuves indispensables à l’établissement de la vérité.
La troisième, au cœur de l’article de Michel Terestchenko, concerne l’abus du mot « terroriste ». Il est utilisé en l’espèce pour justifier non seulement le maintien en prison, mais en plus des traitements inhumains, tels, si l’on en croit les révélations du Canard Enchaîné, la lumière allumée toutes les deux heures dans la cellule de Yldune Lévy à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Terestchenko cite une circulaire du 13 juin 2008 émanant de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice qui s’inquiète de la, je cite « multiplication d’actions violentes… susceptibles d’être attribuées à la mouvance anarcho-autonome » , et de la demande aux parquets, je cite à nouveau, « d’en informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet du tribunal de grande instance de Paris ». Qu’il soit légitime de lutter contre le sabotage de lignes ferroviaires, presque personne n’en doute. Qu’il s’agisse d’actes terroristes, et que l’on puisse du coup leur appliquer un traitement d’ exception, voilà qui devient franchement absurde, condamnable et dangereux.
Notre philosophe appelle à juste titre à la vigilance à l’encontre de ce qu’il appelle la « métaphorisation » de la notion de terrorisme. Ajoutons qu’une telle dérive est favorisée par la définition française du terrorisme. Elle ne s’en tient pas aux types d’actes commis, par exemple, selon la Convention européenne du 10 janvier 2000 pour la répression du financement du terrorisme, un acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toute autre personne. Mais repose sur un critère intentionnel : « troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur les actes suivants : les atteintes à la vie… les vols, les destructions, les dégradations et détériorations , et cetera. D’où la double urgence : changer notre droit, changer l’abus de l’interprétation qui en est faite."

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