Chers et fidèles amis. J'ai été bien silencieux, ces derniers temps et le serai davantage encore dans les semaines à venir. Je pars pour une petite île au loin, sans ordinateur.
Bonnes vacances à tous.
On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
jeudi 29 juillet 2010
vendredi 23 juillet 2010
Répliques
Je vous donne rendez-vous samedi 24 juillet, à 9h15 sur France-Culture. L'émission Répliques d'Alain Finkielkraut; à laquelle je participe, sera consacrée à l'ouvrage admirable d'Anders Nygren, Erôs et Agapè.
L'émission peut être écoutée à l'adresse suivante :
www.franceculture.com
L'émission peut être écoutée à l'adresse suivante :
mardi 13 juillet 2010
Mère Teresa et la nuit de la foi
Lu par hasard sur le site Rue89, cet article, subtil et nuancé, sur les "épreuves spirituelles" qu'aurait connues Mère Teresa. Et l'on comprend dès lors que le vide de la foi - c'est là une expérience bien connue chez les plus grands mystiques - n'a rien à voir avec la croyance que Dieu n'existe pas. L'on devrait aborder ces sujets - mais qui s'en soucie ? - avec bien plus d'intelligence, d'attention et de bienveillance que l'on en témoigne généralement.
Dix ans après la mort de Mère Teresa, plus de quarante de ses lettres, jusqu'alors tenues secrètes, ont été divulguées. Le grand public devrait en prendre connaissance dans un livre à paraître dès cette semaine aux Etats-Unis, et dont le magazine américain Time vient de donner de larges extraits.
Décédée en 1997, la » Madre » sentait sa foi défaillir : "Je regarde et je ne vois pas ; j'écoute et je n'entends pas. " Elle écrivit un jour :
"Où est ma foi ? Tout au fond de moi, où il n'y a rien d'autre que le vide et l'obscurité… Je n'ai pas la foi. "
Béatifiée en 2002, Mère Teresa pourrait être canonisée comme grand mystique. Le postulateur de la cause, le Père Brian Kolodiejchuk, a été profondément troublé par ces lettres. Il était lui-même un proche de la religieuse et ne se serait jamais douté, pas même un instant, de ses tourments. " Je n'ai jamais lu la vie d'un saint où le saint vivait dans une obscurité spirituelle si intense " , confie-t-il à Time.
Ces révélations ne s'opposent pas pour autant à l'avancée de la cause de Mère Teresa. En effet, des doutes lancinants, même aussi intenses, ne constituent pas un péché puisqu'ils ne sont pas volontaires, enseigne la théologie romaine. Au contraire, ils sont souvent considérés comme l'expression redoutable d'une épreuve mystique propre à des âmes vraiment exceptionnelles et très avancées dans la vie spirituelle.
On peut évoquer la nuit de la foi de Saint Jean de la Croix (1542-1591) ou de Thérèse d'Avila. On peut également songer à la petite Thérèse de Lisieux, qui était convaincue d'avoir perdu la foi, et qui est aujourd'hui docteur de l'Eglise !
Les tourments secrets de la Mère de Calcutta ne rassureront pas les fidèles, mais sont comme un camouflet à ceux qui présentent la foi de façon trop arrogante.
"Si un jour je deviens une sainte, je serai sûrement celle des ténèbres "
L'avancée de la cause de Mère Teresa peut rencontrer d'autres obstacles. Il existe en effet à Rome un soupçon selon lequel la religieuse albanaise aurait considéré les autres religions comme canaux de grâce et de salut, et aurait minimisé le caractère exclusif de la vérité chrétienne.
Du vivant même de la religieuse, le cardinal Pietro Palazzini, qui avait justement été préfet de la Congrégation pour les causes des saints, ne faisait pas mystère de ses réticences.
Si cela se confirme, une accusation de "relativisme" au sujet des religions non chrétiennes pourrait lui valoir bien plus d'ennuis post mortem que l'évocation de ses doutes. Il faut savoir que la Curie romaine s'opposa toujours avec la dernière énergie à l'élévation au cardinalat de Monseigneur Henry D'Souza, archevêque de Calcutta et proche ami de la religieuse, accusé de relativisme dans le champ interreligieux.
En tout cas, Mère Teresa écrivait en 1982 :
"Si un jour je deviens une sainte, je serai sûrement celle des ténèbres, je serai continuellement absente du paradis."
Plus que de simples moments de doute, un malaise récurrent
La quarantaine de lettres, dans lesquelles la religieuse ouvre son coeur, permettent d'exclure la simple crise spirituelle passagère, la simple dépression face aux difficultés et aux tensions que traversait son ordre des Filles de la charité. Mère Teresa était torturée par le doute de façon récurrente, sinon continue.
Ce sont des lettres que la religieuse n'aurait pas voulu voir diffusées au grand jour. Elle avait en effet demandé la destruction de sa correspondance. L'autorité ecclésiastique s'y est opposée, sans doute justement en prévision du procès en canonisation.
Ces lettres établissent que durant au moins un demi-siècle de sa longue vie, Mère Teresa ne ressentait plus la présence de Dieu. Dieu était absent et laissait la place au grand vide. Aussi bien dans son coeur que dans l'eucharistie.
Pendant un demi-siècle, la religieuse a vécu dans un état intense et tragique de déréliction spirituelle, et même de vraie détresse. Elle parle volontiers de "torture" intérieure. Elle compare son expérience à celle de l'enfer et se sent gagnée par l'inquiétude, au point de ne plus croire au ciel, ni même à Dieu. Son sourire, dit-elle, n'est qu'un "masque". Plus encore, elle se sent hypocrite, n'éprouvant aucun amour pour Dieu. L'historien jésuite James Martin, spécialiste éminent de la vie des saints est lui-même étonné et déclare n'avoir jamais lu l'histoire d'un saint avec de tels tourments intérieurs, et sur une si longue durée.
Une forme particulière d'auto-destruction narcissique
Le Père Brian Kolodiejchuk, postulateur de la cause, aussi bien que le Père James Martin notent que le fait de ne pas sentir la présence du Christ ni l'amour à son endroit ne veut pas dire qu'il ne soit pas présent et qu'on ne l'aime pas. Au contraire, cette sécheresse intérieure si douloureuse est le signe d'une vie mystique intense et donc de sa présence mystérieuse.
Des psychanalystes devinent en elle une forme particulière d'auto-destruction narcissique contre-balancée avec un certain succès par son contraire : une offrande positive et "affirmative" aux autres lui assurant une survie à long terme mais sans lui éviter un déchirement épouvantable. Les plus chrétiens parlent d'une humilité inconsciente. D'autant plus que son succès médiatique et sa notoriété mettaient cette humilité à fort rude épreuve.
Son tourment connut une parenthèse plus sereine de cinq semaines en 1958, comme une pause miséricordieuse accordée par le Seigneur avant de nouveaux tourments.
Le Docteur Richard Gottlieb, professeur à la société de psychanalyse de New York, livre une analyse assez fine et convaincante de la personnalité de mère Teresa. Il y avait en elle une profonde tendance à la démesure : " Je veux aimer Jésus comme personne ne l'a jamais aimé auparavant. " Une sorte d'incapacité à accepter ses propres limites et ses propres faiblesses empêchait Mère Teresa de trouver la paix. Il y avait en elle une sorte de déséquilibre, de perfectionnisme absolu, qui lui rendait impossible un chemin d'acceptation de soi et explique les oscillations entre des ambitions exaltées sans limites et des crises de profond découragement, de désespoir et de haine de soi (comment accepter sa propre humanité dans une telle perspective ? ). Si cette analyse se révèle juste, c'est une pierre jetée dans le jardin de la théologie spirituelle.
Un certain dédoublement de la personnalité
Il y a certainement des figures spirituelles humainement épanouies, mais un sens de la perfection qui ne serait pas tempéré fait de la vie intérieure d'une personne un tourment intérieur parfois dévastateur. Cette névrose de perfection surdétermine la rhétorique chrétienne de la culpabilité et de la faute, de l'humilité et de l'humiliation.
Paradoxalement, elle n'empêche pas des fruits extérieurs multiples et admirables, mais au prix d'un certain dédoublement de la personnalité, entre une face offerte à tous, souriante et sereine, et un arrière-fond douloureux et même perpétuellement crucifié. Elle était en permanence obsédée par le péché et les ténèbres. Cet aspect indubitablement névrotique (de grands saints ont été névrosés, à commencer par Thérèse de Lisieux ! ) n'explique cependant pas tout : nous entrons de plain-pied dans une dimension "théologale" qui va bien au-delà de ce qu'un état spirituel peut avoir de profondément malsain.
La lumière de la foi relève sans doute d'un clair-obscur plus que d'un éblouissement. L'entrelacs subtil et mouvant qui tisse l'expérience spirituelle peut sans doute associer des éléments très contrastés et sans doute contradictoires à bien des égards. Cette complexité de l'esprit humain, surtout lorsqu'il s'agit de personnalités d'exception comme l'était sans l'ombre d'un doute Mère Teresa, nous interdit tout jugement rapide, tout diagnostic simpliste, tout portrait superficiel. La coexistence en nous d'opposés est peut-être ce qu'il y a en nous de plus humain.
www.rue89.com
Dix ans après la mort de Mère Teresa, plus de quarante de ses lettres, jusqu'alors tenues secrètes, ont été divulguées. Le grand public devrait en prendre connaissance dans un livre à paraître dès cette semaine aux Etats-Unis, et dont le magazine américain Time vient de donner de larges extraits.
Décédée en 1997, la » Madre » sentait sa foi défaillir : "Je regarde et je ne vois pas ; j'écoute et je n'entends pas. " Elle écrivit un jour :
"Où est ma foi ? Tout au fond de moi, où il n'y a rien d'autre que le vide et l'obscurité… Je n'ai pas la foi. "
Béatifiée en 2002, Mère Teresa pourrait être canonisée comme grand mystique. Le postulateur de la cause, le Père Brian Kolodiejchuk, a été profondément troublé par ces lettres. Il était lui-même un proche de la religieuse et ne se serait jamais douté, pas même un instant, de ses tourments. " Je n'ai jamais lu la vie d'un saint où le saint vivait dans une obscurité spirituelle si intense " , confie-t-il à Time.
Ces révélations ne s'opposent pas pour autant à l'avancée de la cause de Mère Teresa. En effet, des doutes lancinants, même aussi intenses, ne constituent pas un péché puisqu'ils ne sont pas volontaires, enseigne la théologie romaine. Au contraire, ils sont souvent considérés comme l'expression redoutable d'une épreuve mystique propre à des âmes vraiment exceptionnelles et très avancées dans la vie spirituelle.
On peut évoquer la nuit de la foi de Saint Jean de la Croix (1542-1591) ou de Thérèse d'Avila. On peut également songer à la petite Thérèse de Lisieux, qui était convaincue d'avoir perdu la foi, et qui est aujourd'hui docteur de l'Eglise !
Les tourments secrets de la Mère de Calcutta ne rassureront pas les fidèles, mais sont comme un camouflet à ceux qui présentent la foi de façon trop arrogante.
"Si un jour je deviens une sainte, je serai sûrement celle des ténèbres "
L'avancée de la cause de Mère Teresa peut rencontrer d'autres obstacles. Il existe en effet à Rome un soupçon selon lequel la religieuse albanaise aurait considéré les autres religions comme canaux de grâce et de salut, et aurait minimisé le caractère exclusif de la vérité chrétienne.
Du vivant même de la religieuse, le cardinal Pietro Palazzini, qui avait justement été préfet de la Congrégation pour les causes des saints, ne faisait pas mystère de ses réticences.
Si cela se confirme, une accusation de "relativisme" au sujet des religions non chrétiennes pourrait lui valoir bien plus d'ennuis post mortem que l'évocation de ses doutes. Il faut savoir que la Curie romaine s'opposa toujours avec la dernière énergie à l'élévation au cardinalat de Monseigneur Henry D'Souza, archevêque de Calcutta et proche ami de la religieuse, accusé de relativisme dans le champ interreligieux.
En tout cas, Mère Teresa écrivait en 1982 :
"Si un jour je deviens une sainte, je serai sûrement celle des ténèbres, je serai continuellement absente du paradis."
Plus que de simples moments de doute, un malaise récurrent
La quarantaine de lettres, dans lesquelles la religieuse ouvre son coeur, permettent d'exclure la simple crise spirituelle passagère, la simple dépression face aux difficultés et aux tensions que traversait son ordre des Filles de la charité. Mère Teresa était torturée par le doute de façon récurrente, sinon continue.
Ce sont des lettres que la religieuse n'aurait pas voulu voir diffusées au grand jour. Elle avait en effet demandé la destruction de sa correspondance. L'autorité ecclésiastique s'y est opposée, sans doute justement en prévision du procès en canonisation.
Ces lettres établissent que durant au moins un demi-siècle de sa longue vie, Mère Teresa ne ressentait plus la présence de Dieu. Dieu était absent et laissait la place au grand vide. Aussi bien dans son coeur que dans l'eucharistie.
Pendant un demi-siècle, la religieuse a vécu dans un état intense et tragique de déréliction spirituelle, et même de vraie détresse. Elle parle volontiers de "torture" intérieure. Elle compare son expérience à celle de l'enfer et se sent gagnée par l'inquiétude, au point de ne plus croire au ciel, ni même à Dieu. Son sourire, dit-elle, n'est qu'un "masque". Plus encore, elle se sent hypocrite, n'éprouvant aucun amour pour Dieu. L'historien jésuite James Martin, spécialiste éminent de la vie des saints est lui-même étonné et déclare n'avoir jamais lu l'histoire d'un saint avec de tels tourments intérieurs, et sur une si longue durée.
Une forme particulière d'auto-destruction narcissique
Le Père Brian Kolodiejchuk, postulateur de la cause, aussi bien que le Père James Martin notent que le fait de ne pas sentir la présence du Christ ni l'amour à son endroit ne veut pas dire qu'il ne soit pas présent et qu'on ne l'aime pas. Au contraire, cette sécheresse intérieure si douloureuse est le signe d'une vie mystique intense et donc de sa présence mystérieuse.
Des psychanalystes devinent en elle une forme particulière d'auto-destruction narcissique contre-balancée avec un certain succès par son contraire : une offrande positive et "affirmative" aux autres lui assurant une survie à long terme mais sans lui éviter un déchirement épouvantable. Les plus chrétiens parlent d'une humilité inconsciente. D'autant plus que son succès médiatique et sa notoriété mettaient cette humilité à fort rude épreuve.
Son tourment connut une parenthèse plus sereine de cinq semaines en 1958, comme une pause miséricordieuse accordée par le Seigneur avant de nouveaux tourments.
Le Docteur Richard Gottlieb, professeur à la société de psychanalyse de New York, livre une analyse assez fine et convaincante de la personnalité de mère Teresa. Il y avait en elle une profonde tendance à la démesure : " Je veux aimer Jésus comme personne ne l'a jamais aimé auparavant. " Une sorte d'incapacité à accepter ses propres limites et ses propres faiblesses empêchait Mère Teresa de trouver la paix. Il y avait en elle une sorte de déséquilibre, de perfectionnisme absolu, qui lui rendait impossible un chemin d'acceptation de soi et explique les oscillations entre des ambitions exaltées sans limites et des crises de profond découragement, de désespoir et de haine de soi (comment accepter sa propre humanité dans une telle perspective ? ). Si cette analyse se révèle juste, c'est une pierre jetée dans le jardin de la théologie spirituelle.
Un certain dédoublement de la personnalité
Il y a certainement des figures spirituelles humainement épanouies, mais un sens de la perfection qui ne serait pas tempéré fait de la vie intérieure d'une personne un tourment intérieur parfois dévastateur. Cette névrose de perfection surdétermine la rhétorique chrétienne de la culpabilité et de la faute, de l'humilité et de l'humiliation.
Paradoxalement, elle n'empêche pas des fruits extérieurs multiples et admirables, mais au prix d'un certain dédoublement de la personnalité, entre une face offerte à tous, souriante et sereine, et un arrière-fond douloureux et même perpétuellement crucifié. Elle était en permanence obsédée par le péché et les ténèbres. Cet aspect indubitablement névrotique (de grands saints ont été névrosés, à commencer par Thérèse de Lisieux ! ) n'explique cependant pas tout : nous entrons de plain-pied dans une dimension "théologale" qui va bien au-delà de ce qu'un état spirituel peut avoir de profondément malsain.
La lumière de la foi relève sans doute d'un clair-obscur plus que d'un éblouissement. L'entrelacs subtil et mouvant qui tisse l'expérience spirituelle peut sans doute associer des éléments très contrastés et sans doute contradictoires à bien des égards. Cette complexité de l'esprit humain, surtout lorsqu'il s'agit de personnalités d'exception comme l'était sans l'ombre d'un doute Mère Teresa, nous interdit tout jugement rapide, tout diagnostic simpliste, tout portrait superficiel. La coexistence en nous d'opposés est peut-être ce qu'il y a en nous de plus humain.
mardi 6 juillet 2010
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