On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 29 décembre 2012

Jérôme d'Egine

Presbytera Anna, tel est le nom de plume de cet admirable écrivain, publie en édition numérique peut-être le plus beau, le plus profond, livre de spiritualité chrétienne que j'aie lu depuis longtemps, Vie et Propos Spirituels de Jérôme d'Egine. Dans la lignée des grands startsi du monastère d'Optina, que Dostoïevski a immortalisés dans Les Frères Karamazov, le père Jérôme, à l'instar du staretz Zosime, a été pour des milliers et des milliers de fidèles l'incarnation de l'amour inconditionnel, une source de consolation dans les peines et la détresse. Ce livre, lumineux, merveilleusement écrit et d'une très grande justesse spirituelle, est une source de joie comparable aux chants des moines de Valaam. C'est la voix d'un homme que l'on entend, et cet homme est un grand maître. Ne craignez pas d'y trouver de pesants préceptes de morale ni rien de ce qui nous rebute tant dans les textes dits "religieux" et qui est souvent, il est vrai, exaspérant. L'auteur nous rend merveilleusement présents l'homme, la profondeur et l'authenticité de son expérience, et les leçons simples qu'il dispensait à ceux qui de partout se rendaient à son ermitage.
Ce n'est pas, vous l'aurez compris, que je fasse œuvre de prosélytisme. Rien de mes convictions personnelles ne s'exprime dans le désir de partager avec vous la beauté de ces œuvres. C'est simplement que je suis convaincu que la sensibilité spirituelle est une dimension de l'être humain qu'il faut tout autant développer que la sensibilité esthétique ou que la sensibilité morale. Si, comme je le pense, nous devons rester intellectuellement "ouverts" à ce qui nous est étranger, ce livre magnifique et tellement touchant est une précieuse voie d'entrée dans un monde que nous n'avons aucune raison d'ignorer, moins encore de mépriser, tant il recèle de beautés véritables et sublimes. En faire l'éloge est aussi une manière joliment décalée d'entrer dans la nouvelle année !
  • www.amazon.fr
    Petite note technique : Pour lire un livre numérique, il n'est pas nécessaire de posséder une liseuse ou une tablette. Il suffit de télécharger le logiciel (gratuit) Kindle sur le site Amazon et vous pourrez accéder au texte depuis votre ordinateur.
  • 11 commentaires:

    Emmanuel Gaudiot a dit…

    Vous prenez de nombreuses précautions pour nous présenter cet article, cher Michel.
    Cependant je pense que vous ne devriez pas vous en faire car sommes des lecteurs confiants et éclairés. Confiants, nous le sommes parce que nous savons que nous trouverons dans les articles que vous présentez et dans les références que vous faites des objets philosophiques, même si parfois il faut savoir les déshabiller : et là, votre rôle de professeur joue en plein ; éclairés, nous le sommes car nous savons, justement, mettre à jour les vrais objets philosophiques en les dépouillant de leurs formes subjectives.
    Ainsi, losrque vous proposez les chants des moines de Valaam, comme ce livre sur Jérôme d'Egine, vous proposez un point de vue subjectif à partir duquel jamais je n'aurais l'idée d'originer mon propre point de vue subjectif ; d'où l'importance de votre démarche : vous déplacez mes préjugés (ou non) et vous proposez un angle d'attaque particulier mais celui-ci débouche sur une vue générale, universelle, bref philosophique.
    Je pense que les autres amis philosophes qui interviennent sur ce blog partagent mon enthousiasme...
    Ne changez rien, vous êtes pleinement dans votre rôle. Personnellement, je n'oublierez jamais que vous m'avez fait découvrir Vaclav Havel!
    Mille mercis et bonne fin d'année à vous et à tous les participants à nos discussions.

    michel terestchenko a dit…

    Merci, cher Emmanuel, pour votre belle confiance qui me touche beaucoup. Je vous souhaite, à mon tour, une heureuse année 2013.

    MathieuLL a dit…

    Je vais même plus loin : ce serait dommage d’éprouver quelques réticences à aborder le sujet religieux (ou ‘théologique’, pour parler plus 'pudiquement') pour la simple raison que la religion est un phénomène humain extrêmement riche. Il est triste de remarquer que, dans l’histoire de la philosophie, rares ont été les « phénoménologie de la religion » honnête et scrupuleuse (mais j'ai aimé Feuerbach, dont j'ai déjà donné une référence). Pas de confusion : je ne parle pas ici de philosophie discutant de la religion (Marx, Nietzsche, Freud pour ne citer qu'eux) et cherchant à en interpréter les mécanismes. Je parle d’une analyse des phénomènes religieux tels qu’ils sont en eux-mêmes. Le phénomène de la croyance est soit stigmatisé pour des raisons triviales (croire n’est pas savoir) ou au contraire valorisé pour son aspect « révélation du Saint Esprit ». En fait, on devrait premièrement se contenter de cette observation de fait : la personne croit. C’est-à-dire : le divin est réel dans son ESPRIT. Ce qui nous mènerait automatiquement à un idéalisme objectif : Oui, Dieu existe… au moins dans l’esprit humain. De là il serait alors possible, moyennent un noble sens anthropologique et psychologique, de reconstituer la généalogie du phénomène religieux (qu’il soit propre à un individu ou une communauté). Mais tant que l’on associera la question religieuse au FAIT religieux, les confusions et la gêne ne diminueront pas…
    Alors merci pour ces chants, ces références et, surtout, ne vous privez pas !

    Passez tous de bonnes fêtes de nouvel an !

    MathieuLL a dit…

    honnêtes et scrupuleuses... philosophies... moyennnant / je ne peux pas laisser de tels fautes d'orthographes. On va mettre ça sur le compte du zèle...

    Michel Terestchenko a dit…

    Chers amis, c'est vrai que je prends des précautions pour aborder les sujets religieux. Je suis heureux de voir que mes précautions sont inutiles.

    Franck a dit…

    Si les lecteurs de ce blog sont avisés, il n'est peut être pas certain que tous, ailleurs, soient parvenus à l'autonomie de pensée... Je trouve votre précaution, plus que précautionneuse ; pudique, ce qui rime bien avec la spiritualité. La fascination pour la question du religieux effleure l'âme dans ce qu'elle a de plus beau et de moins connu. Il me semble que de nombreuses âmes,seules, qui plus est, sont en attente de cet amour... Comment garantir la sécurité intérieure à ces êtres purs et parfois fragiles ? Il suffit de voir ce que peut produire sur les adolescents les "prévisions" de la fin du monde de cette fin d'année 2012 ! Tout le monde n'a malheureusement pas la possibilité de se confronter au discours philosophique ; la prudence, dans sa forme, n'est pas alors un simple procédé rhétorique...
    Bon réveillon à tous !
    Franck NICOLAS

    Michel Terestchenko a dit…

    Chers amis, je serais heureux de connaître vos réactions si vous lisez ce beau livre (ce qui, bien sûr, demande un peu plus d'effort que d'écouter une vidéo de quelques minutes).

    Catherine.Cudicio a dit…

    Bonjour à tous,
    Dans ses entretiens spirituels dont il est possible de consulter gratuitement quelques pages en ligne, Jérôme d’Egine apparaît comme un homme qui accepte sereinement son destin. Il trouve le courage de parler vrai, même face au danger. Son propos s’enracine dans le quotidien, le ressenti. Le père Jérôme révèle, il met son lecteur face à la présence divine en lui, sa foi qui anime les situations les plus banales du quotidien, contamine ceux qui l’approchent. L’homme de foi n’a pas besoin des savantes nuances de la théologie, les preuves de l’existence de Dieu ont un côté blasphématoire pour le croyant. Laissons au philosophe le soin de les critiquer, d’en fabriquer d’autres qui sait? Entre foi et croyance la première l’emporte au moins par respect pour autrui si l’on considère que la foi est expérience, la croyance n’étant pas toujours digne de foi ( si j’ose dire) d’autant que c’est le terme employé pour qualifier les vérités de ceux qui croient en autre chose, qui pratiquent une autre religion ou ne pratiquent pas. Jérôme d’Egine nous reconduit sur terre tout simplement, où j’espère que nous passerons tous une belle année. Catherine

    marcus a dit…

    Très content de vous retrouver ici, cher professeur. Et de prendre le temps, en ce début d’année, de vous laisser quelques bribes de mon esprit sur ce bel espace où l’ « On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations… »

    Je souhaiterais poser quelques réflexions, ou plutôt quelques partages à propos de vos 2 « billets » : «Joyeux Noël avec les moines de Valaam » et « Jérôme d’Egine »…

    … Je ne sais plus exactement comment cela s’est produit. Ni quand a débuté pour moi la résorption de la foi en une précieuse révolution mentale salvatrice : « Aujourd’hui, ma foi est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »

    Ai-je été vraiment croyant ? Ai-je vraiment perdu la foi de ce Dieu chrétien que l’on me « vendait » à coup de liturgies récitées, dans ma belle Vendée natale (trop ?) catholique ? Ai-je décidé de ne plus croire en Dieu ? D’ailleurs, ne déciderions nous pas de l’avoir ou de la perdre si l’on suit les préceptes de la théologie chrétienne. La foi est censée être une grâce : elle ne se choisit pas et/ou elle ne se perdrait pas.

    Il me semble toutefois que c’est à la fin de l’adolescence, et de mes premières lectures « philosophiques » de terminal que j’ai « perdu » la foi, lorsque je me suis aperçu que les arguments allant dans le sens de l’inexistence de Dieu me paraissaient plus forts que ceux allant dans le sens de son existence. Il n’y a pas de preuve que Dieu existe ou que Dieu n’existe pas ; mais les arguments eux existent… Au fond, la philosophie est arrivée dans ma vie de jeune homme et m’a permis d’argumenter sur les questions où aucune preuve ne décide. Avec la preuve on est dans le domaine de la science, qu’elle soit démonstrative ou expérimentale. Quand il n’y a pas de preuve et que les questions sont essentielles à notre existence, on est invité à penser plus loin que ce que l’on sait, c'est-à-dire à faire de la philosophie. Et plus j’avançais dans la philosophie, plus les arguments allant dans le sens de l’athéisme me convainquaient davantage que les arguments religieux.

    (à suivre)

    marcus a dit…

    (la suite)...

    ... Je suis aujourd’hui spirituellement libéré des cultes, dogmes et autres croyances en un Dieu personnel, omniscient et tout puissant … Cependant, dans le même mouvement, je ne consente pas réduire l’homme, la vie et le monde à un paquet d’atomes, de cellules et de neurones. Alors que l’idée d’un au-delà et d’une vie après la mort m’est obscure sinon étrangère, je ne me reconnais pas dans cette affirmation selon laquelle « il n’y aurait rien ». Alors que la communion des croyants en Dieu ou dans leur Eglise, que je fréquente encore, m’est étrangère, j’ai le sentiment que les hommes ne communiquent pas seulement par les gestes et le langage, mais qu’ils sont fondamentalement ouverts les uns sur les autres. Alors que la nature m’apparaît comme un monde objectivable par la science et non habitée par des forces surnaturelles, il m’est arrivé à certaines occasions de me fondre en elle comme dans un tout animé.

    Sortir de soi pour se mettre en rapport avec quelque chose qui nous dépasse et qui fait en même temps notre humanité ! Voilà, sous une modalité pratique le véritable sens des quêtes spirituelles que je semble partager avec ces hommes de foi, ces merveilleux moines de Valaam. C’est d’ailleurs ce que j’admire chez eux : ce mélange de confiance, d’exigence et d’authenticité qui invite à ne pas faire semblant. Et à la limite ça s’entend presqu’à l’oreille, quand on les écoute, même si je ne partage pas ou plus leur « philosophie », je trouve que ça sonne absolument juste. Ces gens-là ne font pas semblant de croire, comme tellement de « phraseurs », mais essaient simplement de sauver leur âme en essayant d’envisager un monde de la manière la plus incroyable, la plus juste, la plus exigeante, la plus belle… C’est enfin de compte, le trait commun de tous ces hommes que j’aime. Mélange d’intelligence, de gravité, de sincérité « philosophique » (si bien sûr on peut parler de philosophie pour des hommes de foi) et parfois d’infini beauté dans une méditation apaisée et confiante.

    Merci, cher professeur d’ouvrir cette nouvelle année par cette belle découverte de l’« étranger », porte ouverte, pour les êtres finis et éphémères que nous sommes, sur l’éternité, sur l’absolu…

    Et merci pour ce bel exercice de spiritualité qui consistait à expérimenter cette ouverture.

    Bonne année à vous aussi cher professeur!

    marcus

    Michel Terestchenko a dit…

    Merci, cher Marcus, de votre témoignage et de cette ouverture d'esprit qui est ce à quoi la philosophie doit nous mener (en dehors de tout dogmatisme).
    Tous mes vœux pour l'année 2013.