La grande contralto canadienne Maureen Forester chante, avec quel bonheur ! l'aria "Se bramate d'amar chi vi sgena", du Serse (Xerxès) de Haendel (1738):
On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
dimanche 6 janvier 2013
vendredi 4 janvier 2013
Osons imaginer la souffrance de l'autre
Le journal La Croix m'a demandé de rédiger un article porteur d'espoir pour la nouvelle année. Le voici, tel qu'il paraît dans l'édition de ce jour :
Permanence d'un chômage structurel de masse, développement des inégalités et de la précarité, financiarisation de l'économie qui n'a d'autre fin que le profit, impuissance des politiques publiques face aux lois du marché, perturbations climatiques dues aux activités humaines dont les conséquences dévastatrices sont de plus en plus visibles, disparition accélérée de la diversité des espèces, mille raisons, plus graves les unes que les autres, nous font sentir que le modèle sur lequel se sont bâties nos sociétés depuis deux siècles est à bout. Un nombre croissant d'hommes et de femmes de toutes conditions et de tous pays aspire à un autre mode de vie en commun, mais la plupart d'entre nous avons le sentiment d'être soumis aux forces anonymes d'un système dont nous sommes plus serviteurs que maîtres. Considérer que l'état du monde est déterminé par des lois implacables de la rationalité économique, penser que nous sommes soumis à la nécessité d'un système qui s'impose à tous, telles les lois de la physique, serait avouer que nous avons atteint le stade ultime de l'aliénation et que la liberté qu'ont les hommes de faire l'histoire et non de la subir, la liberté de vouloir et de choisir le monde dans lequel nous vivons – cette grande espérance des Lumières - est une pure et simple illusion. Il ne saurait en être ainsi. Soit ! Mais que faire ?
Et si, en ces jours où débute la nouvelle année, nous nous livrions à une petite expérience de pensée, à la façon dont les philosophes ou les scientifiques nous invitent à nous placer dans une situation imaginaire afin d'envisager de nouvelles hypothèses et de bouleverser nos manières habituelles de voir ?
Imaginons que nous soyons, chacun d'entre nous, placés dans un état tel que nous aurions pleinement, intensément, conscience du sens de chacun de nos actes et de leurs conséquences sur les autres, non pas seulement sur nos amis et nos proches, sur nos collaborateurs et nos subordonnés, mais sur tous les êtres humains existants et à venir, sur les espèces animales également, jusqu'au moindre être de la nature. Ferions-nous une telle expérience, éprouvant dans une clarté totale, tout à la fois sensible et intellectuelle, au-delà de l'espace et du temps, dans une dimension quantique, la plus petite souffrance, la plus infime douleur que nos actes infligent au moindre être affecté par eux, le bouleversement de la conscience qui en résulterait transformerait, de façon définitive, l'état du monde. Plus rien ne pourrait plus se perpétuer comme avant. La douleur éprouvée de la souffrance de l'autre, quel qu'il soit, nous serait à ce point insupportable que nous serions désormais tout simplement incapables de l'infliger à quiconque, et nous trouverions de nouvelles solutions aux difficultés de la réalité humaine que nous croyions jusqu'alors être prise dans le réseau de contraintes implacables. Ce que nous appelons le système s'effondrerait à la seconde même et nous comprendrions qu'en réalité sans notre participation il n'aurait pu s'exercer avec la froide objectivité que nous lui prêtions à tort.
Il ne s'agit, bien sûr, que d'un jeu de l'esprit. Mais qu'il soit dénué de signification et de portée, non tel n'est pas le cas. Hitler aurait-il pu vouloir l'extermination des Juifs s'il avait un millionième de fraction de seconde éprouvé, dans la chair de son âme, la souffrance infligée à un seul de ces enfants ? Les pilotes qui ont largué la bombe sur Hiroshima aurait-il pu revenir à leur base avec la conscience du devoir accompli s'ils avaient connu la douleur qui résulta de leur obéissance aux ordres ? On pourrait multiplier à l'infini les exemples, bien plus ordinaires, qui montrent que c'est l'incapacité de se représenter les conséquences effectives de nos actes qui est à l'origine du mal.
Cultiver l'imagination, c'est nourrir en soi les capacités à la sympathie. Nous n'avons pas besoin de plus de morale, nous avons besoin de plus de conscience ou, ce qui est la même chose, de compassion Il ne dépend que de nous de la développer. Cela seul suffirait à rendre le monde infiniment meilleur.
Permanence d'un chômage structurel de masse, développement des inégalités et de la précarité, financiarisation de l'économie qui n'a d'autre fin que le profit, impuissance des politiques publiques face aux lois du marché, perturbations climatiques dues aux activités humaines dont les conséquences dévastatrices sont de plus en plus visibles, disparition accélérée de la diversité des espèces, mille raisons, plus graves les unes que les autres, nous font sentir que le modèle sur lequel se sont bâties nos sociétés depuis deux siècles est à bout. Un nombre croissant d'hommes et de femmes de toutes conditions et de tous pays aspire à un autre mode de vie en commun, mais la plupart d'entre nous avons le sentiment d'être soumis aux forces anonymes d'un système dont nous sommes plus serviteurs que maîtres. Considérer que l'état du monde est déterminé par des lois implacables de la rationalité économique, penser que nous sommes soumis à la nécessité d'un système qui s'impose à tous, telles les lois de la physique, serait avouer que nous avons atteint le stade ultime de l'aliénation et que la liberté qu'ont les hommes de faire l'histoire et non de la subir, la liberté de vouloir et de choisir le monde dans lequel nous vivons – cette grande espérance des Lumières - est une pure et simple illusion. Il ne saurait en être ainsi. Soit ! Mais que faire ?
Et si, en ces jours où débute la nouvelle année, nous nous livrions à une petite expérience de pensée, à la façon dont les philosophes ou les scientifiques nous invitent à nous placer dans une situation imaginaire afin d'envisager de nouvelles hypothèses et de bouleverser nos manières habituelles de voir ?
Imaginons que nous soyons, chacun d'entre nous, placés dans un état tel que nous aurions pleinement, intensément, conscience du sens de chacun de nos actes et de leurs conséquences sur les autres, non pas seulement sur nos amis et nos proches, sur nos collaborateurs et nos subordonnés, mais sur tous les êtres humains existants et à venir, sur les espèces animales également, jusqu'au moindre être de la nature. Ferions-nous une telle expérience, éprouvant dans une clarté totale, tout à la fois sensible et intellectuelle, au-delà de l'espace et du temps, dans une dimension quantique, la plus petite souffrance, la plus infime douleur que nos actes infligent au moindre être affecté par eux, le bouleversement de la conscience qui en résulterait transformerait, de façon définitive, l'état du monde. Plus rien ne pourrait plus se perpétuer comme avant. La douleur éprouvée de la souffrance de l'autre, quel qu'il soit, nous serait à ce point insupportable que nous serions désormais tout simplement incapables de l'infliger à quiconque, et nous trouverions de nouvelles solutions aux difficultés de la réalité humaine que nous croyions jusqu'alors être prise dans le réseau de contraintes implacables. Ce que nous appelons le système s'effondrerait à la seconde même et nous comprendrions qu'en réalité sans notre participation il n'aurait pu s'exercer avec la froide objectivité que nous lui prêtions à tort.
Il ne s'agit, bien sûr, que d'un jeu de l'esprit. Mais qu'il soit dénué de signification et de portée, non tel n'est pas le cas. Hitler aurait-il pu vouloir l'extermination des Juifs s'il avait un millionième de fraction de seconde éprouvé, dans la chair de son âme, la souffrance infligée à un seul de ces enfants ? Les pilotes qui ont largué la bombe sur Hiroshima aurait-il pu revenir à leur base avec la conscience du devoir accompli s'ils avaient connu la douleur qui résulta de leur obéissance aux ordres ? On pourrait multiplier à l'infini les exemples, bien plus ordinaires, qui montrent que c'est l'incapacité de se représenter les conséquences effectives de nos actes qui est à l'origine du mal.
Cultiver l'imagination, c'est nourrir en soi les capacités à la sympathie. Nous n'avons pas besoin de plus de morale, nous avons besoin de plus de conscience ou, ce qui est la même chose, de compassion Il ne dépend que de nous de la développer. Cela seul suffirait à rendre le monde infiniment meilleur.
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