On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

vendredi 5 juillet 2013

Notre espoir dans la richesse de la pluralité humaine

Voici la tribune publiée aujourd'hui dans La Croix, en réponse à la montée de l'intolérance. Tel est le sujet que le journal m'avait demandé de traiter, m'offrant ainsi la possibilité d'exprimer certaines idées que j'ai sur le cœur depuis longtemps :

La montée quotidienne des incivilités ordinaires, la violence récente des débats publics, l’exaspération qui se cherche d’absurdes boucs émissaires, les musulmans surtout, l’inquiétante montée de l’extrême droite et la tentation du repli identitaire, les causes immédiates de ces phénomènes sont connues : le chômage de masse, les angoisses de déclassement et de précarisation qui travaillent l’ensemble du corps social, l’échec de l’école et de l’université, qui accroît les inégalités, le délitement de la moralité publique – les «affaires», comme on dit –, le sentiment d’impuissance que donnent les politiques économiques face à la gravité de la crise, la difficulté, l’incapacité même des acteurs sociaux à s’entendre raisonnablement sur des solutions aux problèmes qui se posent à tous.
La société française a toutes les apparences d’une bête blessée, prise de convulsions. Le climat général de radicalisation et d’intolérance s’arrangera, espère-t-on, pour peu que la croissance revienne. Et l’on reste suspendu à l’annonce de cette improbable nouvelle comme la jeune femme éplorée dans le conte de Perrault : «Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?»
La dégradation sur tous les plans de la France, la hausse du PIB faisant défaut, est-elle aussi inévitable que l’exécution de l’épouse de Barbe Bleue, ses frères tardant à arriver ? Entre-temps, notre soleil a cessé de poudroyer et l’herbe de verdir. Notre modèle républicain, issu en grande partie de la construction jacobine de l’unité du corps social, fondé sur les principes abstraits de l’égalité et de l’intégration du citoyen, se transmettant par le récit national avec ses mythes romantiques – Jeanne d’Arc, les soldats de l’an II, de Gaulle –, ce modèle a vécu. La laïcité même s’égare dans une application faite de peurs et de soupçons.
Il est grand temps de s’affranchir de ces fictions et de s’ouvrir aux principes plus modestes d’une démocratie libérale, soucieuse de justice, accueillante – certaines conditions fondamentales étant respectées – aux droits de minorités, introduisant dans tous les domaines qui relèvent de l’intérêt général un débat public laissant place à la libre expression des opinions dissidentes.
À force de vouloir protéger notre identité et nos valeurs, nous avons fermé trop de portes. Être libéral en politique, c’est accepter sans se sentir blessé des modes de vie, des pratiques et des croyances, des tenues vestimentaires, des opinions qui sont différents des nôtres.
Et pourquoi faut-il non seulement les tolérer, mais les accueillir avec bienveillance et amitié dès lors qu’ils ne portent pas atteinte à la liberté des autres, à l’égal respect de chacun et à la sécurité de tous? Parce que ces pratiques et ces croyances comptent de façon essentielle pour les individus qui les partagent et que les respecter, c’est respecter leur dignité, en même temps que leur libre expression est un enrichissement de l’espace public, une manière, dirais-je, de le colorer.
Si nous voulons éviter à l’avenir des aventures politiques et sociales dangereuses, mettons notre espoir dans la richesse de la pluralité humaine plutôt que dans la hausse d’un taux qui ne viendra pas de sitôt. Faisons le pari de la confiance et de l’intelligence. Le repli sur soi et la crainte ne sont jamais les voies du développement humain, personnel et collectif.

  • www.lacroix.com
  • 26 commentaires:

    Dominique Hohler a dit…

    "Colorer l'espace public"

    Permettez-moi d'illustrer ce propos par une expérience que j'ai vécue récemment.

    Cela se passe en Suisse, non loin de la frontière avec la France. Une grande salle dans un grand hôtel, louée pour l'occasion par le département de l'éducation (l'équivalent du ministère de la culture).
    S'y déroule une cérémonie où l'on remet leurs diplômes aux candidats reçus à ce qui en France serait le bac-pro.
    La salle est pleine à craquer, sur la scène un orchestre de rock, les responsables et éducateurs montent à la tribune, visiblement pris par l'émotion.
    Je suis frappé par la composition de la foule des récipiendaires qui dans la salle attendent anxieux qu'on leur remette leur diplôme sous les projecteurs. Toutes les couleurs sont représentées, l'Asie, l'Afrique, l'Europe du sud. Tandis que chacun avance, on lui remet le précieux document avec une rose et son nom est projeté en grandes lettres sur un écran géant. Ces jeunes gens feront leur carrière dans les métiers de la santé, dans l'informatique, dans la logistique ou dans l'administration. Ils s'appellent Tarik, Donia, Bulent ou Mohamed. Parfois les enseignants ont du mal à prononcer les noms au micro. La proportion entre suisses de souche et étrangers est inférieure à 1 pour 10. Tout le monde est heureux, les africains sont venus avec la famille, les indiennes portent un point sur le front, les turcs font visiblement des efforts touchants pour occidentaliser leurs allures. On parle toutes les langues, les enseignants insistent sur le mérite accru des étrangers par rapport aux suisses de souche. Pas un instant on ne suggère avec l'ombre de la trace d'une allusion que cette luxuriance des origines pourrait poser problème.
    A la fin de la cérémonie est offert un apéritif sur des tables dressées à l'extérieur, vin pétillant, jus d'orange et petits fours.
    Plus d'une centaine de jeunes gens, diplôme en main, quitte les lieux avec le sentiment d'être reconnu, d'être désiré et de faire partie de la communauté du pays où ils sont venus par les aléas de la fortune et de la géopolitique.
    Avec cette reconnaissance, avec cette cérémonie, le pays d'accueil donne acte de l'enrichissement dont il est l'objet par ces compétences nouvelles, par ces énergies venues d'ailleurs. Ces jeunes gens n'iront pas commettre d'actes d'incivilité ; le pays qui les accueille a fait le premier pas en leur direction en leur disant combien ils lui sont précieux, combien ils sont désirés et combien leur place est ici.



    Dominique Hohler

    Dominique Hohler a dit…

    Coquille ou lapsus : en Suisse l'équivalent du département de l'éducation n'est bien évidemment pas le ministère de la culture mais le ministère de l'éducation !

    michel terestchenko a dit…

    Quel magnifique témoignage, cher Dominique. C'est ce genre de choses que j'avais présentes à l'air. Vous les illustrez superbement, merci !

    Anonyme a dit…

    Bonjour,

    Si il faut garder espoir dans la richesse d'une pluralité humaine, cela passe très logiquement aussi par une préservation des identités culturelles (préservation et non défense). Car nous sommes tous témoins en ce début de 21 ème de la disparition accélérée de quantité de "biens" naturels (plantes, animaux, insectes),ainsi que de cultures humaines(effacement inexorable des modes de vie des derniers primitifs de la planète etc.).
    Il faut se battre pour sauver ce patrimoine et cela passe nécessairement par une redéfinition, une réappropriation (non frileuse) des identités. Je repense au beau journal de Fanny et à sa façon très discrète de conforter ses hôtes africains dans l'appréciation de leur culture qu'il déconsidèrent parfois en regardant les 'images du monde'
    La réalité contemporaine humaine et plus largement terrestre a été 'avalée' par ce que Antonio Negri appelle "L'Empire", à savoir la macroéconomie.C'est une sorte d'ogre omnivore qui ne permet plus l'existence d'un 'extérieur' à lui-même. Le français moyen a bien compris que les politiques sont dorénavant des fantoches. Il est loin le temps ou nous pouvions choisir "d'être libéral en politique" ou non, tout simplement parce qu'il n'y a plus de politique comme le rappelaient récemment les philosophes Deleule et B. Bourgeois. Oui ce serait vraiment 'extra' de penser pouvoir vivre encore une belle "aventure politique ou sociale" qu'elle soit dangereuse ou non.
    Voilà le fond du problème, pour le reste : accepter plus ou moins bien la différence, tout un chacun (normalement constitué) reconnaît toujours une part de lui-même en tout autre. Ainsi, hier au soir sur Arte j'ai vu un reportage bouleversant sur la vie du boxeur poids lourds Charly Graf, métis et issu d'un milieu misérable. Le titre de l'émission : "combattant de naissance" (rediffusion le 8/07 à 9h). Il dit : "Les gens se trompent sur mon compte, il pense que je suis idiot et inculte parce que noir...Il fallait se battre pour que les gens comprennent que je suis un être humain...Le préjugé je le brise". Il y est parvenu à coups de poings et de douleurs. Il est toujours 'différent', malgré tout mais sa vie est une œuvre d'art. il l'a façonnée, sculptée sur les rings, en prison et ailleurs telle une caryatide. On l'écoute et on le regarde et on l'aime c'est plus fort que nous...
    MarieEmma sepad

    Michel Terestchenko a dit…

    Merci, chère Marie Emma. J'essaierai de regarder cette émission.

    Descharmes philippe a dit…

    Pour autant que le libéralisme politique et que la tolérance ont été déjà défendus depuis le siècle des Lumières, je pense à la lettre sur la tolérance de Voltaire, malheureusement si ce libéralisme politique de l'acceptation de l'autre se développe, nous constatons que nous sommes aussi en plein libéralisme économique qui lui brise souvent les hommes. En effet comment reconnaître, les droits, la valeur des hommes et leur dignité, si dans les faits, on accorde des privilèges économiques à certains, et la misère à d'autres? Je pose la question. Et c'est peut être pourquoi certains sont tentés par des choix identitaires (je pense à la préférence nationale), qui ne me paraissent pas sains et en tout cas laissent augurer, s'ils s'accomplissent, d'heures sombres pour nos démocraties.

    Anonyme a dit…

    Bonjour Philippe,

    La spécificité multiséculaire de la culture française c'est précisément l'ouverture et cela est proverbiale "Heureux comme Dieu en France" avaient coutume de dire les gens de l'est de l'Europe. Alors oui, il serait dommage que cet esprit bienveillant, doux mais aussi vindicatif parfois soit altéré du fait de la crise qui s'annonce...
    Marie Emma sepad

    MathieuLL a dit…

    Cher Michel,

    Je vous embrasse à distance car cela faisait très longtemps que j'attendais un billet de cette envergure - je veux dire : une reconnaissance des faits sociaux actuels. Il règne aujourd'hui en France, et en Europe, une puanteur insoutenable. La société se désagrège, les tensions vont croissant et nous sommes prêts, je crois, d'assister à des bouleversements spectaculaires. Je vous reprocherai malgré tout de ne pas identifier les véritables CAUSES de cette dégradation. Je ne crois pas non plus que les musulmans soient de simples "boucs émissaires" et n'aient pas leur part dans ce processus de destruction. C'est là, me semble-t-il, une pensée de gauche un peu trop facile - mais bon, bref !

    Vous parlez ensuite des "extrêmes"... il faut faire attention, je crois, au vocabulaire. Si Marine Le Pen (n'ayons pas peur des mots) tape à l'œil du peuple, c'est parce qu'elle a parfaitement identifié les causes de la dégénérescence actuelle : l'Europe est un échec, c'est le boulet qui va nous conduire tout droit à la catastrophe. De même : l'immigration de masse est la cause d'une dissolution de l'identité nationale car, pour reprendre Zemmour, ce sont les autochtones qui s'intègrent... Bref, je ne suis pas "de droite" pour ceux qui auraient des doutes, mais je suis encore moins de gauche. Je suis "en l'air" et tente, avec l'esprit qui m'est donné, de penser la marche des événements.

    Il est donc noble de reconnaître les faits, mais il est préférable d'identifier les causes. Qui ne voit pas que l'Europe est le nouvel état fasciste, la crise le prétexte au renforcement de ce fascisme, et les Etats-Unis la cause de la dissolution de l'Orient et le renforcement de l'Occident ? Cessons donc de nous croire "éclairés", nous autres héritiers de la "démocratie". C'est vers la médiocratie que l'Occident fasciste se dirige.

    Descharmes philippe a dit…

    Bonjour Mathieu
    Je trouve vos propos assez violents et ne pense pas que cela soit une façon sereine d'aborder des questions complexes. Si nous ne sommes pas des gens "éclairés", Kant , lui pensait que faire du commerce, des échanges entre peuples , était le meilleur moyen de ne pas se faire la guerre.
    Il se profile une zone de libre échange avec les Etats Unis et l'Europe, qui reste à défini; ce que je voudrais, c'est que si on y échange des biens, on ne considère pas le travail et les hommes comme des marchandises. Pour ce qui est de l'Orient, les Etats Unis, ne sont pas en train de prendre le dessus sur celui ci, c'était un leader chinois communiste qui avait dit aux chinois "enrichissez-vous" et l'on s'aperçoit que les chinois rachètent les fonds de pension américains, donc que dire alors des autres pays asiatiques qui émergeront.
    Quand à l'Europe, elle même, elle est loin d'être fasciste, car une des conditions pour y entrer est d'être de type démocratique, en effet pour n'évoquer qu'un passé récent nous ne sommes plus sous une Italie mussolinienne, une Espagne franquiste ou encore un Portugal de Salazar ( Pour volontairement passer dans l'oubli l'abomination de la grande europe nazie)
    Alors de grâce, même si vous ne jugez pas les faits parfaits, laissez nous rêver à un monde démocratique qui nous promette encore un avenir!

    Romain a dit…

    Permettez-moi de citer un écrivain peu connu, rappelé à ma mémoire par votre billet — bien que dans un ton assez différent:

    «Aucune nation ne voulant oublier ce qu'elle appelle son histoire et qui n'a rien à démêler le plus souvent avec l'Histoire, il faudra qu'un jour elles y renoncent toutes.
    Le dernier vainqueur désarmera l'espace et le temps, il confisquera les moyens et les idées, les prétentions et les souvenirs, les formes et les contenus, il se déclarera seul légataire de cinquante siècles, il prouvera qu'il est la raison d'être de l'espèce humaine et que le devoir de cent peuples est de s'abdiquer, il exterminera les uns, il déportera la plupart des autres et l'on verra partout une poussière d'hommes, dont il sera l'unique maître. Car la simplicité n'est concevable à moins et malgré le foisonnement des différences, qui se déchaînent sous nos yeux.
    Le futur est à la simplicité. Nous allons de désordres en désordres à l'ordre terminal et de carnages en carnages au désarmement moral. Peu sauveront et peu seront sauvés, la masse de perdition s'éclipsera dans l'intervalle, emportant dans l'abîme les problèmes insolubles.
    Le nationalisme est l'art de consoler la masse de n'être qu'une masse et de lui présenter le miroir de Narcisse: notre avenir rompra ce miroir-là.»

    Albert Caraco, Le Bréviaire du Chaos, L'Âge de l'Homme

    De quoi donc cet avenir iconoclaste sera-t-il fait, c'est cela que l'on voudrait savoir... à moins que nous ne le vivions déjà?

    Anonyme a dit…

    Bonjour à tous,

    Merci Romain pour ce très bel extrait de texte d'un auteur que je ne connaissais pas. Le propos revêt une forme très littéraire et il se veut prophétique. Oui nous ne sommes plus au 18 ème siècle et si Kant revenait aujourd'hui il penserait 'rigoureusement' et 'objectivement' notre temps. Il pourrait augurer au terme de son "Histoire universelle au point de vue cosmopolitique" stipulant que l'histoire est en progrès continu vers une société juridique parfaite, qu'à l'évidence ce progrès n'est pas continu parce que les hommes ne font pas/plus inévitablement bon usage de leur liberté du fait qu'ils sont libres précisément. A mon sens ce que dit Matthieu L est juste de l'ordre du constat pur, il évoque un aspect de la réalité mondiale et hexagonale sans être pour autant dans le jugement. Oui la réalité est complexe mais qui ne voit pas que, pour citer Albert Caraco : "le futur est à la simplicité" ? Les termes du débat ne se situent plus entre les tenants d'une substantification des cultures et les relativistes affirmant une réelle ou supposée égalité des cultures. Le problème c'est le GLOBAL, il a même avalé l'idée d'un universel possible car une fond il y a plusieurs universels possibles car il y a plusieurs idées de l'universel.
    Marie Emma sepad

    Descharmes philippe a dit…

    Je ne sais pas si le futur est à la simplicité, mais je voudrai que les échanges entre les peuples, que ce soit culturels ou commerciaux, ou de tolérance religieuse s'améliorent, et comme on me parle de la rigueur d'un E. Kant, je voudrai citer un court extrait de son projet de Paix perpétuelle , Appendice II: "La bienveillance est un devoir aussi bien que le respect pour les droits de l'homme: mais elle n'est qu'un devoir conditionnel, celui ci est absolu et nécessaire. Il faut être assuré de n'avoir jamais blessé ce dernier, pour pouvoir se livrer au doux sentiment de la bienveillance."
    Certes d'autres penseurs ont "revisité" Kant, tel Hegel, et de plus l'histoire l'a contredit (j'habite Verdun , haut lieu de guerre, mais nous y avons un Centre mondial de la Paix, des libertés et des Droits de l'homme), je crois toujours en l'avenir, je vais avoir bientôt 60 ans et vais entreprendre un doctorat de Philosophie, alors comme on dit "qui vivra , verra!".

    Anonyme a dit…

    Bonjour Philippe,

    Qui ne voudrait pas ce que vous espérez ? Qui renoncerait à croire à un avenir meilleur pour lui-même ses enfants et de facto pour le monde entier ? Celui la renoncerait à la vie tout simplement. Les altermondialistes qui à mon sens sont des pragmatiques "idéalistes" pensent qu'il y a une démocratisation possible de la mondialisation économique par l'essor d'une société civile mondiale (c'est plutôt kantien comme option) ; je rêve tout comme vous que cela soit possible... La rigueur kantienne en question (dans mon propos), est celle d'une pensée qui passe au crible tous les éléments du réel, elle ne se réfère pas à ses prises de position...
    Marie Emma sepad

    MathieuLL a dit…

    MERCI Emma,

    Effectivement, je n'opère aucun jugement : je constate. J'ai simplement voulu dire qu'il fallait faire très attention à ne pas prendre les idéaux, les mots et les rêves pour des réalités. J'use d'un langage <> pour réveiller, à ma manière, la tendance à la somnolence. Exemple typique de ce que je dénonce : Hollande voudrait supprimer le mot "race" du dictionnaire... Soit. Mais est-ce que cela supprimera le racisme ? Et d'ailleurs, si l'on supprime ce terme, le racisme n'existera même plus ! Vous voyez : il faut travailler dans le REEL, pas dans l'idéal. J'ai fait du bénévolat pendant 3 ans ; j'ai tenté, à ma manière, de soulager les souffrances de certaines personnes, en particulier issues de milieux très populaires ; j'ai eu l'occasion de voir la misère des gens, et je puis vous assurer que ces personnes-là ne veulent des rêves et autres narcotiques.

    Lorsque je parle de "fascisme", eh bien, nous en avons un bel exemple ! C'est l'économique qui, aujourd'hui domine la politique. La démocratie, pour reprendre l'excellent Michéa, est devenu le prétexte à la médiocrité individuelle. Enfin, que l'on songe aux propos de Hegel sur la guerre... il y a du vrai dans ce qu'il dit : la paix produit la sclérose des individus. Moi, je suis partisan de la guerre "intellectuelle". Aussi, pour reprendre Kant dans Vers la paix perpétuelle : la philosophie ne doit pas se reposer dans une paix dogmatique. Au contraire : elle doit toujours se remettre en question.

    MathieuLL a dit…

    Ps : Cher Philipe..., je suis moi-même d'origine portugaise (et même espagnole par ma mère). Oui, Salazar n'était pas un exemple d'humanité. Toutefois (mais cela n'est pas passé dans les médias français... évidemment) il y a eu une grande manifestation à Lisbonne il y a trois ou quatre mois... plus de 500 000 portugais ! Soit un vingtième de la population. Savez-vous pourquoi ? Afin de dénoncer la politique de rigueur du gouvernement. Le Portugal, comme la Grèce, est prêt de s'effondrer. Et savez-vous encore quoi ? Les manifestants avaient chanté en chœur "GRANDOLA, VILA MORENA"... chant révolutionnaire qui avait été composé... contre le régime de SALAZAR.

    MathieuLL a dit…

    Ps 2 : une petite erreur... ce n'était pas 500 000, mais 1 000 000. J'ai demandé confirmation à mon oncle qui vit sur place.

    Anonyme a dit…

    Bonjour à vous tous,

    Oui on ne peut partir que de ce qui EST pour imaginer autre chose. Surtout si on pense qu'in fine, ce qui est, est en partie le produit de ce qui a été conçu préalablement, alors il est malgré tout permis et nécessaire de rêver. Maintenant le problème est que chacun se fait SON idée de la réalité, alors où est le REEL? Il y a quelques années j'ai lu un petit ouvrage d'un constructiviste américain intitulé "La réalité de la réalité" de P. Watzlawick, je le cite : " De toutes les illusions, la plus périlleuse consiste à penser qu'il n'existe qu'une seule réalité. En fait ce qui existe, ce sont différentes versions de la réalité, dont certaines peuvent-être contradictoires et qui sont toutes l'effet de la communication et non le reflet de vérités objectives et éternelles". On comprend alors pourquoi les plus grands génies informaticiens de notre fin de 20 ème siècle étaient pour une bonne part issu au départ de cursus de philosophie. Le seul problème est que 'la réalité de la réalité' n'est pas le rêve mais le virtuel, c'est-à-dire une déformation du réel, je dirais presque une manipulation du réel. D'autre part si Hegel (lui aussi) revenait parmi nous, à l'ère des nouvelles technologies, des médias saturant le champ des interactions, de la désinformation grande échelle, il ne pourrait plus penser 'la Raison dans le réel'. Michel Foucault en écrivant "Histoire de la folie" a bien mis en évidence la fonction de la littérature lorsque le CONCEPT ne suffit plus : révéler l'irrationnel inhérent au réel. Alors ce qui est heureux, c'est qu'une chose n'a pas besoin d'être possible pour exister ni non contradictoire pour être possible...
    Marie Emma Sepad

    MathieuLL a dit…

    Belle réflexion, en effet, mais qui confond, à mon sens, métaphysique et physique. Qu'une banque mondiale dicte sa politique à un pays... cela est réel. A moins que je sois fou ? Certes, vous arguerez que ce phénomène peut se "lire" selon différents plans d'interprétation. Or je ne veux pas le LIRE, je veux le VOIR. Mais le meilleur moyen d'attaquer ces envolées relativistes, c'est d'en montrer le DOGMATISME : "tout dépend de la façon dont on regarde"... mais cette assertion n'est-elle pas déjà une FACON de regarder ? Il n'y a pas de vérité, dit-on pour se dédouaner. Mais n'est-ce pas là affirmer une vérité ? Soit ! Alors ceci n'est pas non plus une vérité ! Mais alors : ne sommes-nous pas encore en train d'affirmer ? Il est donc impossible d'échapper à la vérité qui, toujours, s'impose à notre regard.

    Anonyme a dit…

    Exact Matthieu !
    Simplement j'ai voulu en quelque sorte 'noyer le poisson' du pseudo débat entamé, recadrer, 'l'apaiser' en épousant une perspective 'artistique' disons. "Que la banque mondiale dicte sa politique à un pays cela est réel...", c'est la réalité oui, et elle se lit telle qu'elle se donne. Point n'est besoin de verser dans une herméneutique hasardeuse et je dirais malhonnête du point de vue intellectuel. En revanche, et c'était là l'idée vectrice de mon propos énoncé précédemment : je pense tout comme vous, en pleine lucidité que nous nous avançons mondialement vers une sorte de chaos inédit dans l'histoire de l'Humanité, seulement, tel l'œil de la Méduse cherchant à aimanter et annihiler tout espoir, je répudie à l'occasion la trop évidente image désastreuse de l'état du monde actuel. Les plus grands artistes et les plus grands génies, les plus grands aventuriers étaient tous un peu 'déconnectés', résultat ? : ils ont offert à l'humanité un peu plus que ce qu'il était permis d' en espérer. C'est un bon exemple selon moi. C'est là une façon salutaire de 'relativiser'.
    Marie Emma Sepad

    MathieuLL a dit…

    Entendu ! Mais vous pouvez tous me tutoyer. Après tout, je n'ai que 22 ans.

    Anonyme a dit…

    Bonjour à vous tous,

    22ans Matthieu ! Je suis plus âgée et c'est pourquoi je me permets de 'te' dire la chose suivante : je trouve que tu as une réflexion très aboutie, très mûre pour ton âge. Je suis impressionnée...
    Marie Emma sepad

    Anonyme a dit…

    Bonjour à tous,
    C'est "chouette" ce dialogue philosophique que vous nous offrez quasiment en direct. On a l'impression d'être une abeille qui assiste à une discussion passionnée entre grands esprits ... des Lumières, par exemple. "Les penseurs des Lumières avancent toujours comme sur un fil, en équilibre entre deux précipices et n'hésitent pas à critiquer leurs propres positions. De plus les idées des Lumières peuvent facilement être détournées de leur sens..." J'habite Grenoble (Réunion des Etats généraux à Vizille en 1788, vous savez ?). En ce moment une Rencontre du jeune théâtre européen interroge les Lumières en Europe au XVIII et de nos jours, via le prisme de la situation faite au théâtre, donc à la culture et aux valeurs humanistes. Et samedi, la parade de clôture avec 200 comédiens dans les rues s'appelle : Révolution ! Le journal des Rencontres évoque le livre de Todorov sur l'esprit des Lumières. Les descriptions de l'époque me font tellement penser à la nôtre.
    En contrepoint aux vôtres ce message se veut résolument optimiste et proposer un pas de côté. Vous savez qu'une crise est autant un danger qu'une opportunité (cf Augusto Boal, fondateur du théâtre de l'opprimé et le caractère chinois pour crise qui signifie les deux).
    Par rapport à l'état des lieux que vous décrivez, j'ai envie de vous inciter à lire Edouard Glissant qui reprend toute l'histoire de l'humanité en la relisant de manière puissante et incitatrice : comme l'opposition entre les pensées de système(l'âge classique, la mondialisation) et les pensées de la multiplicité (le Moyen-âge, les Lumières sans doute aussi, l'ère d'un certain numérique ? de la transition , des Indignés?). Il met en avant la créolisation (les différences créeront toujours plus de différences imprévisibles et fécondes). Il estime aussi que la division en continents est dépassée et même contraire aux connaissances scientifiques en ethnologie...etc...Une sérieuse révolution de la pensée est nécessaire. Du coup, si on pose les problèmes différemment (autre que de manière bêtement économique), de nouvelles solutions apparaîtront...
    Il y aurait tant d'autres choses à échanger mais je me réjouis du haut de quelques 20 années de plus que Mathieu et de moins que Philippe, de ce dialogue intergénérationnel si riche sur ce blog philosophique et ... Mathieu a réussi le défi de nous sortir de cette somnolence politique et estivale. Chapeau bas !
    Merci aussi de susciter puis d'accueillir ici et de permettre ce foisonnement de pensées,de rencontres,de jeunesse et de richesse intellectuelles, M. Terestchenko.
    Ingrid

    Descharmes philippe a dit…

    Je suis aussi professeur depuis 41 ans et j'apprécie cette dernière intervention, qui nous redonne une lueur d'espoir, pour autant qu'avait été développée l'idée d'un chaos possible.
    Je veux croire, excusez-moi du peu en un idéal et en des valeurs républicaines, qui ont été portées suite à des idées post révolutionnaires, et considère que l'école républicaine, qui n'est pas uniquement économique, et qui peut être ne remplit plus complètement son rôle d'ascenseur social, permet encore des échanges culturels, une acquisitions des connaissances et des savoirs et aussi, peut être dans une moindre mesure, des savoirs être: alors permettez moi d'être encore un peu idéaliste!

    Anonyme a dit…

    Bonjour Ingrid, bonjour Philippe,

    Merci d'être là et d'avoir communiquer un peu de votre vision optimiste Ingrid. Je ne connais pas Edouard Glissant et je vais m'empresser de le lire.
    "Une crise est autant un danger qu'une opportunité" en écho à vos propos je citerai le poète Hölderlin : " Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve", schéma tout hégélien du cours de l'Histoire pour lequel une crise sécrète paradoxalement son propre antidote.
    D'autre part, Philippe, je vais encore me faire l'avocat du diable et bousculer certaines de vos belles évidences au sujet de l'école Républicaine cette fois ci. Le problème majeur, puisque vous parlez d'idéaux révolutionnaires, le problème est que Jules Ferry puis nos gouvernants successifs ont TRAHI ces idéaux en ce qui concerne l'école. Relisez Condorcet, et Charles Coutel, philosophe du droit, spécialiste de Condorcet.
    Pourquoi ? Il faut juste réfléchir à la différence entre ce qu'est l'Instruction et ce qu'est l'Education. On a mis de l'éducatif là où il devrait y avoir du scolaire. Or, seule l'Instruction émancipe, car seule elle permet à l'élève ET de s'intégrer (mais pas seulement) Et de contester, de s'affranchir ensuite des liens et des préjugés qui l'ont conditionné.
    C'est désespérant je l'admets, mais nous philosophes, et je rejoins Matthieu sur ce point, nous 'apprentis philosophes', nous sommes des empêcheurs de tourner en rond et puis c'est tout.
    Marie Emma Sepad

    Descharmes philippe a dit…

    Vous n'êtes pas vraiment des empêcheurs de tourner en rond, en ce sens que travaillant dans le secondaire pour le Cned avec des élèves français, mais aussi à l'international (Algérie, Chine, Etats unis, Roumanie {liste non exhaustive}avec des élèves enfants d'expatriés ou étrangers (haiti, Polynésie etc..., mais aussi avec des gens du voyage, ou encore des familles qui font un tour du monde (bateau ou autre), l'Education nationale se doit d'offrir des conditions qui sont aussi bien des connaissances, que des méthodologies et des savoirs être en face de la connnaissance (une sorte d'apprendre à apprendre). Cela c'est aussi l'Education, j'y crois et comme nous sommes aussi réalistes, nous développons l'offre numérique pour les échanges (internet, tablettes, plateformes téléphoniques), c'est pourquoi nous ne pouvons plus nous limiter à de l'instruction pure et simple, mais je ne voudrai pas polémiquer plus avant, je garde ma conviction comme j'avais essayé de vous le faire comprendre.

    Anonyme a dit…

    Oui Philippe vous avez raison de clore en quelque sorte le débat car je le fais un peu exprès(de provoquer)...
    Pourquoi ? Pour exemplifier la belle citation de Pascal que Michel Terestchenko a mis en exergue de ce blog, surtout aussi parce que j'ai bien conscience qu'au fond la conversation ne peut jamais, totalement, s'en tenir aux exigences du vrai, car elle obéit aux usages et il est évident que suivre les exigences du vrai n'est pas dans les usages.
    Maintenant pour le beau métier d'enseignant que vous exercez je n'ai que du respect idem pour vos convictions.
    Marie Emma Sepad