Il est des jours où vous vous demandez si vous êtes bien éveillé, si vous n'avez pas la berlue ou si vous n'êtes pas entré dans l'ère des grandes régressions.
Qu'on puisse songer à honorer la mémoire du Maréchal Pétain aux côtés des autres héros et maréchaux de la Grande Guerre, dont il fait incontestablement partie, est une idée si étrange - c'est vraiment le moins qu'on puisse dire - qu'on se demande franchement ce qu'il lui prend, à notre président. N'avait-il pas travaillé, et sérieusement paraît-il, aux côtés de Paul Ricoeur et collaboré à la rédaction de La mémoire, l'histoire, l'oubli ? Aurait-il oublié la différence première entre le travail de l'historien, la démarche scientifique qui lui est propre et qui laisse place au sens de la complexité et le travail de la mémoire, qui est social et politique, et, par conséquent, d'une toute autre nature ?
Ici, il ne s'agit pas de connaître, mais de conserver le souvenir, et désormais, hélas, c'est généralement le souvenir du pire, tel qu'il s'incarne dans des actes dont des hommes furent très précisément responsables. L'idée qu'on puisse séparer le héros qu'ils ont pu être à un moment de leur vie des grands crimes qu'ils commirent par la suite, fut-ce dans le déclin de leur grand âge, est politiquement, socialement et mémoriellement, non seulement une erreur, mais surtout une faute - une faute grave de surcroît, dès lors qu'elle conduit à la division, à la polémique et non au rassemblement.
Pour le dire en bref, la politique de la mémoire, avec ses rites, ses commémorations et ses récits, obéit à des raisons éthiques en vu d'unir les citoyens autour d'un socle de valeurs communes indiscutées et qui sont appelées à être transmises. La recherche de la "vérité" historique - en réalité, c'est bien davantage une interprétation - n'a que faire de cette vocation, dès lors que la connaissance est, en sciences humaines, controversée, sujette à discussion et objection.
Si de nombreux historiens protestent ce soir, et je me joins à eux, ce n'est pas pour des raisons morales ni pour s'indigner, mais, et selon des arguments principalement épistémologiques, pour dénoncer une confusion et, là c'est moi qui parle, rétablir la distinction pascalienne des ordres qui est si nécessaire à la paix sociale. Car, au bout du compte, c'est cela qui est en jeu et qui est inutilement ébranlé.
On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
mercredi 7 novembre 2018
samedi 3 novembre 2018
Critique du mérite
A propos d'un article de Anca Mihalache, doctorante en philosophie à la Sorbonne et ancienne élève de l'ENS Ulm, paru sur le site du journal Libération : "Sciences humaines, le jeunes chercheurs à l'épreuve du néolibéralisme académique".
Tout se passe comme s'il était entendu que la réussite n'était qu'une affaire de mérite individuel et ne dépendait pas des formations que la société favorise ou au contraire tolère avec une certaine indifférence. Voilà ce qu'il en est aujourd'hui des "humanités" en général, et de la recherche en sciences humaines en particulier : la loi du marché fait qu'on ne les poursuit qu'au prix d'un engagement, d'un renoncement, d'un dévouement proche du sacrifice. Peut-être n'est-ce pas à proprement parler "injuste", mais c'est infiniment désolant. Nous savons tous comme il est plus aisé de trouver sa place sur le marché du travail, lorsque l'on s'oriente vers les sciences, les technologies ou le commerce. Quiconque bénéficie de cet environnement social favorable (éducation, valorisation de certaines tâches, etc.) est en dette vis-à-vis de la société plus qu'il n'est en droit de retirer uniquement pour lui-même, comme une propriété lui appartenant, les bénéfices (en termes de revenu, de statut) liés à son "mérite". On aura beau faire l'apologie de la méritocratie et de l'ascenseur social, si l'on entend par mérite une qualité qui nous revient en propre, et à nous seul, c'est bel et bien là une illusion.
Notons qu'une telle illusion n'est pas constitutive du libéralisme, du moins de tout libéralisme. John Rawls fait une critique radicale du mérite, et c'est un libéral.
www.liberation.net
Tout se passe comme s'il était entendu que la réussite n'était qu'une affaire de mérite individuel et ne dépendait pas des formations que la société favorise ou au contraire tolère avec une certaine indifférence. Voilà ce qu'il en est aujourd'hui des "humanités" en général, et de la recherche en sciences humaines en particulier : la loi du marché fait qu'on ne les poursuit qu'au prix d'un engagement, d'un renoncement, d'un dévouement proche du sacrifice. Peut-être n'est-ce pas à proprement parler "injuste", mais c'est infiniment désolant. Nous savons tous comme il est plus aisé de trouver sa place sur le marché du travail, lorsque l'on s'oriente vers les sciences, les technologies ou le commerce. Quiconque bénéficie de cet environnement social favorable (éducation, valorisation de certaines tâches, etc.) est en dette vis-à-vis de la société plus qu'il n'est en droit de retirer uniquement pour lui-même, comme une propriété lui appartenant, les bénéfices (en termes de revenu, de statut) liés à son "mérite". On aura beau faire l'apologie de la méritocratie et de l'ascenseur social, si l'on entend par mérite une qualité qui nous revient en propre, et à nous seul, c'est bel et bien là une illusion.
Notons qu'une telle illusion n'est pas constitutive du libéralisme, du moins de tout libéralisme. John Rawls fait une critique radicale du mérite, et c'est un libéral.
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