On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 15 décembre 2018

Gilets jaunes. Que faire ? Qu'en penser aujourd'hui ?

En ces temps de commentaires bavards, voici une analyse remarquable d'Alain Caillé qui fait la synthèse des raisons, anciennes et profondes, de la crise dont le mouvement des Gilets jaunes est l'expression, ouvrant sur l'initiative "convivialiste" pleine de promesse face à l'urgence. Après quoi, entrons dans la ronde du AH !

Gilets jaunes. Que faire ? Qu’en penser aujourd’hui ? par le club des convivialistes.

La crise des formes actuelles de la démocratie que la révolte des gilets jaunes fait éclater au grand jour est si profonde, si complexe, si multidimensionnelle, si lourde d’ambivalences, si riche de belles promesses ou a contraire de lourdes menaces, qu’elle défie toute analyse rapide et à chaud. Personne ne peut raisonnablement se hasarder à prédire comment les choses vont évoluer en France dans les semaines ou les mois qui viennent. Dans cette conjoncture extraordinairement indéterminée, il faut néanmoins essayer de fixer quelques points de repère à peu près assurés, tant sur la nature de la crise que sur son issue souhaitable.
Lénine, on s’en souvient, disait qu’une situation est révolutionnaire lorsque ceux d’en bas ne veulent plus et ceux d’en-haut ne peuvent plus. Ce n’est pas exactement le cas aujourd’hui, ne serait-ce que parce les gilets jaunes n’aspirent pas à une révolution dont il n’existe par ailleurs plus de modèle et plus guère de champions. Il est clair cependant que ceux qui « ne sont rien » n’en peuvent plus, et que les « premiers de cordée » n’ont plus de prise sur le cours des événements. Mais personne n’a plus prise sur rien, c’est là le deuxième trait à retenir. Dans une société désormais totalement atomisée par quarante ans d’hégémonie d’idéologie néolibérale et de règne d’un capitalisme rentier et spéculatif, il n’y a plus guère de collectifs mais uniquement des individus, des particules élémentaires prises dans des mouvements browniens, qui essaient de retrouver un peu de chaleur humaine et de sens en se référant à des communautés mi réelles mi fantasmatiques. Prise dans la course à la mondialisation, toujours plus intense, toujours plus accélérée, la société française, comme les autres, se fragmente en au moins quatre grands blocs de population qui s’ignorent et s’éloignent toujours plus les uns des autres : 1. Les « élites » qui tirent profit de la mondialisation et pourraient aussi bien vivre ailleurs que là ; 2. Les catégories bien intégrées qui jouissent de revenus, d’un statut et d’une position à peu près assurés (fonctionnaires, salariés en CDI dans des entreprises prospères, dirigeants de PME qui marchent, etc.) ; 3. Les marginalisés, souvent issus de l’immigration, qui vivent dans les « cités » et ont le plus grand mal à accéder au marché de l’emploi ; 4. Les précaires, travailleurs au SMIC, petits retraités, petits commerçant incertains de leur avenir, jeunes au RSA, etc. Ces quatre blocs ne forment plus UNE société. C’est dans le quatrième, qui correspond à peu près à la « France périphérique », que se recrute la grande majorité des gilets jaunes. Si l’augmentation des taxes sur les carburants, sur le diesel notamment, est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, la goutte d’essence qui a déclenché l’explosion, c’est à la fois pour des raisons objectives et subjectives. La baisse du pouvoir d’achat des catégories sociales les plus pauvres engendrées (au moins temporairement) par les diverses mesures gouvernementales est attestée par toutes les statistiques. Ajoutée à l’augmentation insolente de celui des plus riches, désormais dispensés d’ISF, elle a provoqué un sentiment d’injustice et une colère qui ne sont pas près de s’apaiser. L’annonce du retrait de cette augmentation ne règle rien. Car ce qu’il faut faire payer au pouvoir actuel, ce n’est pas tant, ce n’est plus tant le montant de la taxe ou d’autres prélèvements, que le mépris qu’il affiche envers les moins bien lotis, rendus responsables de leur sort. Ce déni de reconnaissance, de commune humanité et de commune socialité, n’est pas pardonnable. Face à lui on retrouve le sens du commun. Là où il n’y avait plus qu’isolement et désolation on ressent à nouveau la chaleur et la joie d’être ensemble. Comme dans les mouvements des places, il y a quelques années, c’est aussi ce sentiment qui alimente ce qu’on pourrait appeler le mouvement des carrefours ou de la supposée « plus belle avenue du monde ». Mais une autre dimension, inédite, entre en jeu. Les divers mouvements des places visaient le plus souvent à abattre des dictatures locales. Les gilets jaunes s’en prennent à un pouvoir démocratiquement élu, à l’occasion d’une mesure dont l’enjeu est d’ampleur mondiale : la transition énergétique. À quoi il faut ajouter que se sentant trahis par les élus, étant d’ailleurs massivement abstentionnistes, radicalement « horizontalistes » à l’exact opposé de la verticale du pouvoir affichée par le président Macron, ils refusent toute représentation même issue de leurs rangs. Personne n’est habilité à parler à leur place. Mais face à la multiplicité des problèmes soulevés, comment pourraient-ils parler d’une seule voix et ne pas multiplier des revendications nécessairement contradictoires ?
C’est ici que les analyses développées depuis quelques années par des centaines d’intellectuels alternatifs, théoriciens ou praticiens, français ou étrangers, qui se réclament du convivialisme, peuvent se révéler utiles. Par delà leurs divergences politiques et idéologiques, unis par le sentiment de l’urgence face aux risques d’effondrement planétaire, climatique, écologique, économique, démocratique et moral, ils ont en partage quatre principes qui devraient servir de cadre à toute revendication politique. Le principe de commune humanité s’oppose à toutes les discriminations. Le principe de commune socialité affirme que la première richesse pour les humains est celle des rapports sociaux qu’ils entretiennent, la richesse de la convivance. Le principe de légitime individuation pose le droit de chaque humain à être reconnu dans sa singularité. Le principe d’opposition maîtrisée et créatrice affirme qu’il faut « s’opposer sans se massacrer » (M. Mauss). Tout ceci ne fait pas à soi seul, et de loin, un programme politique. Mais de ces principes il est possible de dériver au moins deux séries de propositions qui semblent particulièrement pertinentes dans le contexte actuel.
En premier lieu, il est clair que tant l’extrême richesse que la misère rendent impossible l’application de ces quatre principes. Dans la mesure où c’est l’explosion des inégalités qui est le premier facteur du dérèglement climatique et écologique, la transition écologique ne pourra s’effectuer que si - principe de Rawls généralisé - elle préserve, au minimum, les conditions matérielles de vie des moins bien lotis (et les améliore, au contraire dans les pays pauvres) et mette à contribution d’abord les plus riches. Augmenter le prix de l’essence, et en particulier du diesel, est nécessaire mais n’est socialement acceptable que si cette augmentation est compensée par une augmentation au moins proportionnelle des bas revenus. Dès cette année il est possible d’engager 40 milliards d’euros au bénéfice des ménages les plus modestes en réaffectant dans le projet de Loi de Finances pour 2019 une partie des avantages exorbitants dont vont bénéficier les entreprises. En effet, le « crédit d’impôt emploi-compétitivité » (CICE) – égal à 6 % du montant des salaires inférieurs à 2,5 fois le Smic versés par les entreprises en 2018 – sera versé pour la dernière fois en 2019, pour un montant de l’ordre de 20 milliards. Il sera remplacé la même année par une baisse des cotisations sociales patronales du même montant. Si bien que, en 2019, les entreprises recevront deux fois le CICE ou son équivalent : 40 milliards, du jamais vu ! Mais, plus généralement, c’est une véritable politique des revenus, durable, qui garantisse à tous, inconditionnellement, un revenu minimum décent qu’il s’agit d’instaurer dans le cadre d’une politique active de lutte contre l’exode fiscal, ce qui passe sans doute par une substitution progressive d’un impôt sur les patrimoine (sur l’actif net) à l’impôt sur le revenu, trop aisément délocalisable et dissimulable.
Par ailleurs, le mouvement des gilets jaunes rend évident ce que tout le monde ressentait déjà : notre système de démocratie représentative parlementaire est à bout de souffle. Cela n’implique pas qu’il faudrait se passer de toute forme de représentativité, au risque de basculer dans le chaos et l’impuissance collective. Mais il nous faut inventer de nouvelles formes d’équilibre entre démocratie représentative, démocratie d’opinion et démocratie directe. Cette dernière pourrait se déployer dans le cadre d’une généralisation de Conventions de citoyens (ou de Conférences de consensus) ayant pour finalité d’éclairer les décisions majeures en matière de politiques publiques ; complétée éventuellement par le tirage au sort annuel d'une Chambre de 500 citoyens – qui pourrait être une quatrième Chambre en plus de l’Assemblée nationale, du parlement, du Conseil économique, social et environnemental. Cette Chambre serait dotée du pouvoir de convoquer un référendum si le Parlement adopte des décisions contraires aux conclusions des Conventions de citoyens. De telles conventions existeraient au plan local, régional et national. Leurs travaux et discussions seraient relayés par la télévision.
« S’opposer sans se massacrer » énonce le quatrième principe convivialiste. Autant dire qu’il ne pourra y avoir d’évolution sociale et démocratique positive que non violente, ce que revendique très justement la majorité des gilets jaunes. Reste à savoir comment conserver ou alimenter l’unité de ceux qui, comme nombre de gilets jaunes sans doute, se reconnaissent dans les principes et les propositions présentés ici. Une solution, adoptée par tout un ensemble de réseaux civiques et écologiques est d’arborer un badge, un badge avec le mot AH !, un nom qui n’appartient à aucun groupe particulier mais à tous, à tout le monde et à personne. Ah !, comme avancer en humanité, anti-hubris, alter humanisme. Contre la folie des grandeurs, de l’argent, du pouvoir et des idéologies (www.ah-ensemble.org)

Le club des convivialistes réunit en France deux centaines d’intellectuels, théoriciens et praticiens. Pour en savoir plus, vous pouvez lire Le Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance (Bord de l’eau, 2013) qui a été traduit dans une dizaine de langues.
  • www.lesconvivialistes.org
  • 8 commentaires:

    Anonymous a dit…

    MON MARI SERA TOUJOURS À MOI .... !!!!
    Comment j'ai retrouvé mon mari divorcé avec l'aide du sort d'amour du Dr ODION ... Je m'appelle Lilibeth Hernandez. Quand j'ai lu un témoignage en ligne sur la façon dont le Dr ODION, le grand et le plus puissant lanceur de sorts, aide à ramener le mari du divorce EX LOVER. Je me demandais comment cela pouvait être vrai, parce que beaucoup m'ont échoué dans le passé sans aucun résultat de leur part. Je laisse juste passer le message et je passe sur le forum. À mon avis encore une fois, une personne a posté et dit lanceur de sorts testé et fiable. Après avoir lu le courrier, c'était de ce même homme, le Dr ODION, dont elle parlait. Je n'ai donc pas d'autre choix que de vraiment vérifier comment il travaille. J'étais totalement dévasté lorsque mon mari bien-aimé m'a quitté. C'était comme si mon monde entier disparaissait dans le chagrin et la douleur. Je sais que ça semble bizarre mais de tous les lanceurs de sorts que j'ai contactés, il était le seul à me donner cette impression d'être si vrai et si confiant. Plus que ses paroles, il a ramené mon mari et il a réalisé tous mes souhaits. Il est maintenant fidèle, fait attention à moi, il m'offre des fleurs tous les dimanches, et nous sortons souvent au cinéma et au restaurant. mon mari est venu me voir et s'est excusé pour les torts qu'il a commis et a promis de ne plus jamais recommencer. Depuis lors, tout est revenu à la normale. Ma famille et moi vivons à nouveau heureux ensemble. Je serai éternellement reconnaissant d'avoir transformé ma vie de l'enfer au paradis! je crois que qui a besoin d'aide devrait lui demander de l'aide. Que Dieu continue de vous utiliser pour sauver une relation brisée. Pour tous ceux qui ont des problèmes conjugaux, des problèmes de divorce, des amants perdus ou des problèmes liés aux relations, vous pouvez le contacter (drodion60@yandex.com) le lanceur de sorts ultime via l'adresse e-mail: ou WhatsAPP lui sur son numéro de téléphone mobile +2349060503921

    Oleg a dit…

    Je veux partager un témoignage sur la façon dont le service de financement de Le_Meridian m'a aidé avec un prêt de 2,000,000.00 USD pour financer mon projet de ferme de marijuana, je suis très reconnaissant et j'ai promis de partager cette société de financement légitime à quiconque cherche un moyen de développer son entreprise projet.l'entreprise est une société de financement. Toute personne recherchant un soutien financier doit les contacter sur lfdsloans@outlook.com Ou lfdsloans@lemeridianfds.com M. Benjamin est également sur Whatsapp 1-989-394-3740 pour faciliter les choses pour tout demandeur.

    jacquesmggg a dit…

    Le principe d’opposition maîtrisée et créatrice fait écho aux éminemment pertinents travaux de Philippe Petit ou encore Chantal Mouffe sur la démocratie. Si Philippe Petit lutte en faveur d'une inconditionnelle contestabilisation des décisions politiques (plus exactement via une démocratie contestative sur la base d'un débat - aussi écrit-il dans "Républicanisme" : "Les contestations avancées sur la base d'un débat ont en revanche ceci de séduisant qu'elles sont accessibles à tous ceux qui sont en mesure d'avancer des arguments plausibles à l'encontre de l'orientation prise par le processus de décisions politiques."), Chantal Mouffe, prône pour sa part, une mise en avant du dissensus. Mouffe souhaite que l'actuelle politique du consensus (qui génèrerait d'après elle un refoulement d'antagonismes à même de ressurgir de façon dangereuse par la suite - notamment sous les formes du populisme et du terrorisme) soit remplacée par celle du dissensus et ainsi qu'un modèle de démocratie "agonistique" (avec des relations entre adversaires et non plus entre antagonistes) émerge. Aussi écrit-elle dans "L'illusion du consensus" (2005) : "Dans l'affrontement agonistique, il s'agit d'une lutte entre des projets hégémoniques différents qui ne pourront jamais être réconciliés rationnellement. Cette dimension antagonistique ne disparaît jamais. C'est une vraie confrontation mais qui se déploie dans un cadre régulé par un ensemble de procédures démocratiques acceptées de part et d'autre par les adversaires."


    En outre, quant aux limites du mouvement des Gilets Jaunes cette fois, j'ajouterais celles décelées par Samuel Hayat (https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/24/les-gilets-jaunes-et-la-question-democratique/) :
    1. La reproduction d'une technocratisation de la politique
    Le mouvement reproduirait la technocratie (idéologie inconsciente et qui réduit la politique à une résolution technique et gestionnaire des affaires publiques) qu'il combat en masquant les rapports de force, le poids des normes et du social dans la vie de chacun. Tout un faisceau de discriminations sociales, d'exploitations économiques & d'oppression serait placé sous le tapis de la figure du citoyen ou de l'expert abstrait et prétendument impolitique. Hayat écrit ainsi : "On les imagine aller lors des référendums exprimer leurs préférences politiques comme les économistes imaginent les consommateurs aller sur le marché exprimer leurs préférences, sans considération pour les rapports de pouvoir dans lesquels ils sont pris, les antagonismes sociaux qui les façonnent."
    2. La reproduction d'une division idéologique
    Le mouvement reproduirait ainsi une division partisane en dissociant les "citoyens et leur bon sens" des "élites déconnectées, souvent corrompues, surpayées et privillégiées".

    Yvan a dit…

    Maintes fois, depuis que le mouvement des gilets jaunes existe, nous l’avons cité en exemple pour affirmer sa dimension politique certes mais aussi philosophique. Il ouvre en effet bien des perspectives tant sur le plan social que moral.
    Les gilets jaunes répondent à l’atomisation de la société engendrée par le capitalisme libéral par un processus inverse consistant en l’agglomération d’individualités qui trouve dans la création de ce mouvement communautaire un nouveau sentiment d’appartenance ainsi qu’une nouvelle praxis consistant aussi en une nouvelle manière d’occuper l’espace public (marches, rond points, buvettes improvisées, etc…) Cette expression de « France périphérique » retenue par Alain Caillé pourrait toute à fait être mise en relation avec d’autres du même type telles celles de « France d’en bas » et « France qui se lève tôt » par exemple. Et, si l’on sait aujourd’hui que, si notre cher Président ne dort que quatre heure par nuit, sans doute ne se lève-t-il pas si tôt pour les mêmes raisons.
    Car s’agissant des gilets jaunes, il ne s’agit pas tant de chercher à styliser un mode de vie et donc à vivre selon une certaine visée esthétique qu’à survivre. Survivre donc et s’adapter aux dures conditions de vies et de travail que trahit une rhétorique ainsi qu’une éloquence socialement déterminée souvent tournée en dérision insidieusement sur les plateaux tv par les élites dominantes.
    Comme s’il y avait des éléments de langage valides et d’autres non que seul le politiquement où culturellement correct serait en droit de valider.
    Nous ne pouvons ainsi qu’être sensible aux quatre principes formulés par les convivialistes qui pointent de notre point de vue une logique de la socialité que l’étymologie du mot synode pourrait traduire. Car il s’agit bien de cela : « marcher ensemble, franchir ensemble un même cap » au sens propre et figuré.
    Ce phénomène ne se limite pas seulement à la contestation sociale et politique mais gagne aussi le terrain confessionnel puisque le Pape François a ouvert en octobre 2021 un synode sur la synodalité qui va engendrer une consultation horizontale et mondiale sans précédents sur les processus organisationnels et les mécanismes de pouvoirs au sein de l’Eglise catholique. Ce signifiant « synode » donc qui interroge la verticalité à l’aune de l’horizontalité ainsi que la représentativité politique en considération de l’exemplarité qu’elle requiert. Ni le monarque républicain ni le prêtre ne suffisent donc plus à satisfaire les exigences d’une socialité et rationalité que le concept de « maison commune » pourrait peut-être résumer et réactualiser.
    A l’heure où des intellectuels dénoncent l’ignorance et l’indifférence des logiques de marché à l’égard du problème environnemental, à l’heure où d’autres n’acceptent plus que la question climatique soit la dernière d’une série de propositions électorales et quand d’autres encore nous sensibilisent à un changement d’ère géologique ou à un possible effondrement civilisationnel, nous ne pouvons faire autrement que d’entendre ce qu’ils ont à dire. Car ce qu’ils ont à dire a du prix. La parole de leurs contradicteurs aussi car nous sommes bien évidemment d’accord avec ce principe de « s’opposer sans se massacrer ». Car leurs paroles comptent. Comme celle de tout à chacun. Car chaque parole compte. La parole n’est pas seulement à prendre ; elle est immédiatement disponible. Elle est en puissance et en acte dans la temporalité de chacun.
    Quand on rate une séance de psychanalyse ou de psychothérapie convenue à l’avance, le prix de la séance est du. Peut-être peut-on en déduire que parler coûte, certes, mais que se taire coûte plus encore. On ne peut sans doute pas imaginer le Général de Gaule mis en examen. Encore moins le verbe qui ne se fait pas chair.

    Edward a dit…

    L'appréhension d'un mouvement de contestation sociale, telle que celui des Gilets jaunes, est complexe et demande une prise en compte global des faits pour comprendre la portée de celui-ci. En effet, il ne résulte pas seulement du fait générateur à l'origine du mouvement de contestation, car il est bien souvent, déjà, la conséquence de maux bien plus profonds. De fait, pour comprendre l'ampleur du phénomène, il faut envisager une généalogie des causes qui ont poussé à l'explosion des contestations. Toutefois, si on se réfère aux écrits de Nietzsche : "Il n'y a pas de fait , il n'y a que des interprétations." (Fragments posthumes, fin 1886-1887), il sera difficile de conclure sur une conception objective. En effet, même si la formulation de Nietzsche n'induit nullement que les faits n'existent pas, il signifie, cependant, que l'individu n'a pas accès au fait en tant que tel. Il ne peut que l'interpréter au travers de sa propre perception, de ses propres valeurs. Il ne faut pas y voir non plus une relativité des faits, car il existe une hiérarchie dans les interprétations, par le biais d'interprétations plus rigoureuses que d'autres. Ainsi, la compréhension du mouvement des Gilets jaunes nécessitent de s'intéresser à la manière dont ses membres perçoivent leur vie et d'en interroger leurs valeurs.

    La logique présente chez les commentateurs est d'exposer les revendications des Gilets jaunes, de déduire les difficultés qu'ils rencontrent pour ainsi pointer la responsabilité de ceux qui sont à l'origine du problème. La recherche et l'identification du responsable permettent d'évacuer toute la frustration ressentie envers celui-ci, pensant ainsi que le problème sera résolu, pour au final ne jamais le traiter. Par conséquent, intéressons-nous à ce qui a déclenché ledit mouvement. Initialement, la contestation a débuté suite à l'augmentation du prix du carburant (issue de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers). La perception injuste de cette taxe est due essentiellement au fait de la chute du cours du pétrole, rendant son prix à la pompe au plus bas. Pourtant la taxation provoque une flambée des prix qui a pour conséquence de toucher les personnes vivant dans des zones rurales dont la voiture est une nécessité pour les déplacements de la vie de tous les jours. Cette taxe résulte d'une fiscalité énergétique visant à atteindre ceux qui utilisent des véhicules polluants. Ainsi, s'entrechoquent deux positions, celle de la réduction des hydrocarbures et celle qui ne peuvent faire autrement pour se déplacer que d'utiliser leur véhicule. Une énième taxation est dénoncée et met en lumière la croissance des inégalités et un niveau de vie stagnant pour ceux qui sont directement touchés. L'amplification du mouvement a eu pour conséquence le développement et l'accentuation des revendications (l'amélioration du niveau de vie des classes populaires et moyennes, la justice fiscale et sociale, la démission du président de la République, le rétablissement de l'impôt sur la fortune et l'instauration du référendum d'initiative citoyenne). En somme, ledit mouvement apparaît comme la somme des exaspérations d'une certaine classe sociale, s'estimant lésée par le pouvoir étatique.

    Edward a dit…

    Les revendications susmentionnées ne sont au final que les conséquences de maux bien plus profonds qu'il convient de rechercher. Pour ce faire, il convient de s'intéresser au travaux de Dany-Robert DUFOUR, notamment au travers de son ouvrage Le Divin Marché. Ce dernier énonce de manière liminaire : "Comme souvent, c'est alors que nous nous croyons libres, libérés vivant dans une société aux accents résolument libéraux, que nous entrons dans une toute nouvelle forme d'aliénation. [...] Certes, le libéralisme nous a affranchis de toutes les oppressions antérieures, il a apporté des bienfaits essentiels en matière de libertés collectives et individuelles, il a permis d'accroître la richesse globale comme jamais. Mais il est peut-être aujourd'hui en proie à un retournement très problématique. Il pourrait bien en être arrivé à ce point critique où les systèmes se mettent à jouer contre eux-mêmes. Ce qui arrive lorsque les effets pervers commencent à l'emporter sur les bienfaits apportés. [...] Bref, il n'est pas impossible que nous soyons en train de devenir malades du libéralisme, exactement comme nous l'avons été de tous les régimes antérieurs." Le libéralisme économique est souvent pointé comme le responsable de la démesure, permis par la société capitaliste, rendant ainsi les plus fragiles toujours plus fragiles et les plus riches toujours plus riches. Pourtant, il ne s'agit pas en l'espèce d'opposer le riche et le pauvre, cette opposition binaire n'apporterait aucun élément de compréhension mais seulement de stigmatiser l'un contre l'autre. La problématique soulevée par Dany-Robert Dufour est celle de notre croyance en la liberté, qui apparaît comme l'élément qui aveugle notre capacité à comprendre, à percevoir et à interpréter les faits avec rigueur. Cette cécité empêche toute prise de conscience et nous réduit à aliénation. Une aliénation guidée par cette "main invisible" du Marché, qui décide et oriente nos vies dans un seul et même but : le profit. Mais une telle chose n'est possible qu'en faisant en sorte de contrôler l'individu. Pour ce faire, il est nécessaire de regrouper les individus en troupeau, de les grégariser afin de les uniformiser. Il est souvent argué que notre époque actuelle se caractérise par l'individualisme alors qu'en réalité, écrit Dany-Robert Dufour, "nous sommes donc dans une époque de promotion de l'égoïsme, de production d'égo d'autant plus aveugles ou aveuglés qu'ils ne s'aperçoivent pas combien ils peuvent être aujourd'hui enrôlés dans des ensembles massifiés. Autrement dit, nous voyons des égo, c'est-à-dire des gens qui se croient égaux et qui, en réalité, sont passés sous le contrôle de ce qu'il faut bien appeler "le troupeau". Vivre en troupeau en affectant d'être libre, cela ne témoigne de rien d'autre que d'un rapport à soi catastrophiquement aliéné puisque cela suppose d'avoir érigé en règle de vie un rapport mensonger à soi-même. [...] Pourquoi faut-il se faire croire qu'on est libre lorsqu'on vit en troupeau ? Et pourquoi faut-il faire croire aux autres qu'ils seront libres lorsqu'on les mettra en troupeau ? La réponse est simple. Il faut que chacun se dirige librement vers les marchandises que le bon système de production capitaliste fabrique pour lui. Je dis bien "librement" car, forcé, il résisterait. Alors que libre, il peut consentir à vouloir ce qu'on lui dit qu'il doit vouloir en tant que citoyen libre. La contrainte permanente à consommer doit donc être redoublée par un discours incessant de liberté, d'une fausse liberté bien sûr, entendue comme permettant de faire "tout ce qu'on veut"."

    Edward a dit…

    L'individu est ainsi réduit à un rôle de consommateurs. Il doit laisser libre cours à ses désirs et si besoin à de nouveaux désirs, créés spécifiquement pour lui. Il est soumis à l'impératif catégorique de consommer et tous les services marketings et publicitaires se chargeront de véhiculer la bonne parole. Pour ce faire, il doit être libre, désinhibé de toute contrainte morale afin qu'il puisse laisser le désir l'envahir. Être libre de désirer, libre de consommer. L'individu fait face, seul, à cette société de consommation. Seul avec ses inclinations et l'injonction de jouir de ses désirs (propres ou créés). Toutefois, cette politique hédoniste a un prix que chacun n'est pas forcément en mesure de pouvoir payer. Mais cela est sans compter sur les organismes de crédit qui sont en mesure de pouvoir aider ceux qui veulent jouir. Le système de la société de consommation est imparable et répond ainsi à tous les besoins et sollicitations. Néanmoins, tout désir ne peut être consommé. Celui-ci est circonscrit aux biens de consommations. L'individu ne peut laisser libre cours à ce qu'il veut, il doit aussi se contraindre à respecter les règles de la société sous peine d'être sanctionné. En réalité, l'individu est soumis à une atmosphère schizophrénique.


    L'interprétation délivrée par Dany-Robert Dufour permet d'entrevoir une autre perspective sur les valeurs qu'on considère comme fondamentales. En effet, la liberté n'est pas cette possibilité de choisir ce que la volonté souhaite, mais elle est le voile qui dissimule le désir de consommer. L'égalité n'est pas uniquement cette idée que nous avons les mêmes droits, elle est aussi et surtout cette croyance que nous devons tous obtenir ce que nous désirons. Cependant, comment faire lorsque notre condition ne permet pas de pouvoir réaliser ces valeurs essentielles à notre subsistance dans la société de consommation ? La réalité et nos désirs entrent ainsi en opposition, se développe ainsi une frustration de notre condition, jusqu'à considérer que notre existence est absurde car elle ne répond point à nos attentes. La révolte apparaît alors comme une solution.

    Si nous sommes chacun touchés par la société de consommation, certaines classes sociales sont plus touchées par la frustration qu'elle peut occasionner. Les Gilets jaunes appartiennent à une classe moyenne, celle qui travaille mais dont les revenus ne sont pas suffisant pour jouir comme il souhaiterait pouvoir le faire. Ainsi, le sentiment d'injustice se développe envers ceux qui jouissent et ceux qui ne leur permettent pas de pouvoir le faire, c'est le ressentiment. En somme, la problématique qui résulte de la crise des Gilets jaunes, n'est pas uniquement une question de pouvoir d'achat, de justice sociale ou fiscale, elle est avant tout due aux valeurs véhiculées par la société, qui ne correspondent pas à la réalité du quotidien vécue par ceux qui aspiraient à les vivre. Conditionné par ces valeurs de liberté et l'égalité de consommer, le gilet jaune interprète toute situation à l'aûne de celles-ci. Le sens de ce mouvement est ainsi initié par ces valeurs.

    Après tout, qu'est-ce que le pouvoir d'achat ? si ce n'est la capacité à consommer plus. Qu'est ce que la justice sociale et fiscale ? Si ce n'est la volonté d'être libéré des contraintes qui m'empêchent de laisser libre cours à mes désirs de consommer. Finalement, ces revendications ne sont que le produit de la frustration due à la non consommation du désir.

    Anonyme a dit…

    La commune humanité, la commune socialité, la légitime individuation ainsi que l'opposition maîtrisée et créatrice sont quatre principes sur lesquels repose en effet le convivialisme. Cela fait doucement écho aux idées qu’on put développer Jean-Jacques Rousseau, John Rawls et Jürgen Habermas.
    Rousseau, dans son œuvre Du contrat social publiée en 1762, théorise un contrat social passé entre les Hommes, basé sur la volonté de chacun pour assurer une meilleure harmonie en société. La commune humanité du convivialisme est en parallèle avec cette idée de volonté générale, dans le but d’une égalité et d’une solidarité entre les individus.
    John Rawls, dans son œuvre Théorie de la justice en 1971, développe un concept de justice comme égalitaire. Le principe de différence autorise les inégalités sociales et économiques seulement si celles-ci sont en faveur des citoyens les plus désavantagés dans la société. En accord avec le convivialisme, ce principe de différence permettrait un meilleur partage des ressources, les plus désavantagés seraient alors favorisés, aux détriments peut être de certains devenant désavantagés mais favorisés à leur tour.
    La théorie de l'agir communicationnel et de la démocratie délibérative de Jürgen Habermas consiste en une prise de décisions politiques où la participation des citoyens est plus collaborative et donc plus équilibrée pour les besoins de chacun. Un fonctionnement qui rappelle celui des sociétés scandinaves où chacun peut participer à la politique lors de rassemblements. En accord avec cela, le convivialisme propose des participations citoyennes et alors une prise de décisions plus égalitaire par l’implication citoyenne.
    L’intérêt de se faire « avocat du diable » sur les idées auxquelles on adhère, est de voir l’envers du décor, cependant, après avoir fait des recherches, je ne trouve pas de critiques véritablement fondées faites au convivialisme. Il y aurait un manque de concrétude et un risque d’utopie selon certains critiques, là où il faudrait peut-être voir de la démocratisation.