On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

lundi 6 juillet 2009

Exposition

Lorsque Antoine Roux, Thomas Cristiani et Séraphim Ranson - associés sous le sigle VLF - m'ont demandé de rédiger un texte pour le catalogue de l'exposition, From Outer Space, qu'ils présentent à Aix-en-Provence, malgré l'honneur qui m'était fait, j'ai failli me dérober. Ecrire quelques mots généraux sur l'art abstrait, la sculpture d'inspiration cubiste, la signification de la perception esthétique d'un objet saisi dans ses découpes géométriques, eût été une manière de succomber à la facilité que ce travail interdisait d'emblée. Et cela d'autant plus qu'il s'agit de jeunes artistes, déjà animés par un sérieux, un sens de l'exigence et de la discipline qui imposent le respect. Non, décidément, je ne saurai pas être à la hauteur, me disais-je. Ce monde m'est étranger, comme il le sera sans doute pour nombre de visiteurs, ne serait-ce que parce qu'ils viennent de l'univers du graphisme et qu'ils posent aux outils technologiques dont ils se servent des interrogations théoriques qui ne nous sont pas familières.
Et pourtant... au premier regard, cette étrangeté ne nous laisse ni indifférents ni perplexes, et elle n'est certainement pas faite pour choquer. Ces cubes assemblés en plans complexes et savants se tiennent dans une présence déroutante, énigmatique, qui n'est la représentation d'aucune réalité. Pas plus qu'ils ne font image, ne sont-ils l'expression de quelque subjectivité, abandonnée sans retenue à ses élans. Ils sont là, tout simplement, à la fois massifs et légers, porteurs silencieux d'un message qui nous échappe mais qui ne défie personne. S'adresse-t-il même à nous ? On n'en sait rien. Jouant de la lumière dans leur beauté sobre, comme des blocs tombés d'un ailleurs inexploré - de là le titre de l'exposition - ils nous invitent à une expérience ascétique du dépaysement qui ouvre à la méditation plus qu'au commentaire, pas même à la rêverie. On songe immanquablement aux sombres monolithes de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick. Libre variation des formes, mais pensée et donc tout sauf gratuite et arbitraire. Mettant en mouvement les facultés de l'esprit - la sensibilité, l'imagination et l'entendement - parce qu'on a le sentiment, plus intuitif que raisonné, que tout fait sens, s'ordonne dans une cohérence interne, quoiqu'elle se déploie en expressions diverses et multiples - volumes ou dessins - que les artistes font entrer en résonance et en réseau. Notre perception ordinaire est déplacée par des constructions qui ne désignent aucune réalité connue mais qui nous rappellent que toute perception sensorielle est, de toute façon et toujours, une construction mentale du réel. Cela ne signifie pas que le monde n'existe pas sans nous, mais qu'il ne nous est accessible que par le biais de médiations. Toutes n'ont pas pour fin de rendre le monde plus compréhensible, intelligible ou maîtrisable. L'art obéit à d'autres lois, qui lui sont propres.
Le texte, remarquable, de Kim de Groot qu'on lira dans les pages suivantes du catalogue apporte de précieuses indications pour comprendre ce qui se joue dans ce travail d'une grande sophistication : en quelle manière les hypercubes s'inscrivent dans la tradition cubiste, quoique dans un sens plus radicalement conceptuel ; plus originalement encore, comment des images purement virtuelles et impossibles, produites par un logiciel informatique, se matérialisent dans des volumes concrets qui invitent à repenser le rapport entre réalité et virtualité.
Mais l'oeuvre d'art, on le voit ici, n'est jamais réductible à la fabrication ni même à l'intention dont elle procède. Toujours, elle s'échappe dans une existence autonome qu'il appartient à chacun de saisir, sans jamais pouvoir se l'approprier. On peut ne rien connaître du monde dont proviennent ces jeunes créateurs et se sentir, néanmoins, pleinement à l'aise avec leurs oeuvres simples et impeccables. Si celles-ci nous touchent, nous intéressent, convoquent notre attention et engendrent en nous un véritable plaisir, c'est qu'elles existent en elles-mêmes, indépendamment de toute référence et connotation. Cela suffit !

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