On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
samedi 27 février 2010
vendredi 26 février 2010
Utilitarisme et théodicée
Devrais-je renouveler le cours que j'ai donné à mes étudiants de Sc-Pô à Aix-en-Provence mercredi dernier, nul doute que je trouverai la semaine prochaine ma salle de classe justement dégarnie. Que s'agissait-il d'expliquer ? Le lien qui unit les grandes théodicées rationnelles au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècles avec la logique sacrificielle de l'utilitarisme classique. Ils avaient beau être polis, faire semblant d'être attentifs, s'efforcer de ne pas perdre le fil, la plupart avaient malgré tout bien du mal à cacher leur ennui, ou leur perplexité. Mais dans quelle galère théologico-philosophique les avais-je donc imprudemment embarqués ?
Il m'apparaît, pourtant, avec une certaine vraisemblance que la légitimation du sacrifice de l'intérêt et du bonheur de quelques individus au nom du bonheur du plus grand nombre - de telle sorte que ces individus-là ne comptent plus, ou ne comptent que dans le grand processus de quantification générale des intérêts où ils se trouvent liquidés - que cette légitimation, donc, peut (également) être entendue comme la sécularisation d'un système de pensée qui s'est d'abord élaboré en vu de justifier Dieu de l'existence du mal.
Pour le dire en substance, on le sait, l'argument principal chez Leibniz, par exemple, est que Dieu agit rationnellement et nécessairement selon le principe du meilleur (de l'optimum) , de sorte que les malheurs que souffrent les hommes ne doivent pas être considérés en eux-mêmes, mais du point de vue de la perfection (relative) de la nature dans son ensemble. Que les hommes protestent de leurs souffrances, de leurs misères, des maux innombrables que leur réserve l'existence – comme chez Voltaire – c'est là l'expression déraisonnable et égoïste d'un individu qui se prend pour le Tout – le centre du monde - et non pour un membre du Tout - chacun compte pour un et pour un seulement, dira Bentham - qui réclame de Dieu qu'il ordonne les choses à son avantage – non mais ! et puis quoi encore ? - au lieu de se soumettre humblement à leur bel ordonnancement. Eh bien, c'est là très exactement la matrice première de ce grand système sacrificiel qu'est l'utilitarisme classique.
Le grand philosophe anglais, Henry Sidgwick, a parfaitement montré dans ses Methods of Ethics (1874) que pour accepter les conséquences éventuellement désastreuses à son endroit du calcul de l'intérêt du plus grand nombre, l'individu doit se placer du point de vue général, non selon la perspective, non moins rationnelle pourtant, de son intérêt « égoïste ». Autrement dit, appliqué à une décision de licenciement, cela signifie que, du point de vue utilitariste, le chômeur n'a pas à se lamenter de son sort si la survie de l'entreprise et l'emploi des autres sont ainsi assurés pour le bien du plus grand nombre. La logique est imparable, dans le même temps qu'elle est insupportable et atroce. Qu'il s'agisse de Dieu, de l'Etat ou de l'entreprise, à quoi a-t-on affaire ? Sinon à un Grand Calculateur qui agissant au nom de la nécessité rationnelle liquide les individus et leur bonheur particulier avec une indifférence inexorable.
Nietzsche n'a eu qu'à prononcer l'acte de décès – le fameux « Dieu est mort » - d'un assassinat en règle qui avait été perpétré de longue date. Par qui donc ? Mais par des philosophes chrétiens, ne le saviez-vous pas ? De fait, ce Dieu abstrait des théodicées, ce « Dieu des échecs » dont parle Leslek Kolakowski dans un son beau livre, Philosophie de la religion, est bel et bien déjà un Dieu mort ! Cela, Pascal le savait parfaitement lorsqu'il oppose, avec une clairoyance qui a les accents du tocsin, le Dieu des philosophes au Dieu vivant d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui est un Dieu d'amour et de miséricorde devant lequel seul, ajoutera Heidegger, il est possible de chanter et de danser.
Mais à quelle divinité pouvons-nous aujourd'hui nous en prendre puisque nous raisonnons désormais en terme de "système" et que le système est sans visage et sans nom ? La rationalité immanente à l'ordre (économique) des choses n'est imputable à personne. Comment donc pourrait-on en faire le procès ? Sauf à montrer qu'il s'agit là d'une gigantesque construction idéologique, non moins fallacieuse que les anciennes constructions théologico-philosophiques. Ce qui est bien le cas.
Une sonnette d'alarme devrait toujours s'allumer et résonner à nos oreilles, lorsque le monde des hommes se trouve soumis à une (prétendue) nécessité, qu'elle soit historique, biologique ou économique, qui ne peut faire l'objet d'aucun choix, ni d'aucune délibération.
Il m'apparaît, pourtant, avec une certaine vraisemblance que la légitimation du sacrifice de l'intérêt et du bonheur de quelques individus au nom du bonheur du plus grand nombre - de telle sorte que ces individus-là ne comptent plus, ou ne comptent que dans le grand processus de quantification générale des intérêts où ils se trouvent liquidés - que cette légitimation, donc, peut (également) être entendue comme la sécularisation d'un système de pensée qui s'est d'abord élaboré en vu de justifier Dieu de l'existence du mal.
Pour le dire en substance, on le sait, l'argument principal chez Leibniz, par exemple, est que Dieu agit rationnellement et nécessairement selon le principe du meilleur (de l'optimum) , de sorte que les malheurs que souffrent les hommes ne doivent pas être considérés en eux-mêmes, mais du point de vue de la perfection (relative) de la nature dans son ensemble. Que les hommes protestent de leurs souffrances, de leurs misères, des maux innombrables que leur réserve l'existence – comme chez Voltaire – c'est là l'expression déraisonnable et égoïste d'un individu qui se prend pour le Tout – le centre du monde - et non pour un membre du Tout - chacun compte pour un et pour un seulement, dira Bentham - qui réclame de Dieu qu'il ordonne les choses à son avantage – non mais ! et puis quoi encore ? - au lieu de se soumettre humblement à leur bel ordonnancement. Eh bien, c'est là très exactement la matrice première de ce grand système sacrificiel qu'est l'utilitarisme classique.
Le grand philosophe anglais, Henry Sidgwick, a parfaitement montré dans ses Methods of Ethics (1874) que pour accepter les conséquences éventuellement désastreuses à son endroit du calcul de l'intérêt du plus grand nombre, l'individu doit se placer du point de vue général, non selon la perspective, non moins rationnelle pourtant, de son intérêt « égoïste ». Autrement dit, appliqué à une décision de licenciement, cela signifie que, du point de vue utilitariste, le chômeur n'a pas à se lamenter de son sort si la survie de l'entreprise et l'emploi des autres sont ainsi assurés pour le bien du plus grand nombre. La logique est imparable, dans le même temps qu'elle est insupportable et atroce. Qu'il s'agisse de Dieu, de l'Etat ou de l'entreprise, à quoi a-t-on affaire ? Sinon à un Grand Calculateur qui agissant au nom de la nécessité rationnelle liquide les individus et leur bonheur particulier avec une indifférence inexorable.
Nietzsche n'a eu qu'à prononcer l'acte de décès – le fameux « Dieu est mort » - d'un assassinat en règle qui avait été perpétré de longue date. Par qui donc ? Mais par des philosophes chrétiens, ne le saviez-vous pas ? De fait, ce Dieu abstrait des théodicées, ce « Dieu des échecs » dont parle Leslek Kolakowski dans un son beau livre, Philosophie de la religion, est bel et bien déjà un Dieu mort ! Cela, Pascal le savait parfaitement lorsqu'il oppose, avec une clairoyance qui a les accents du tocsin, le Dieu des philosophes au Dieu vivant d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui est un Dieu d'amour et de miséricorde devant lequel seul, ajoutera Heidegger, il est possible de chanter et de danser.
Mais à quelle divinité pouvons-nous aujourd'hui nous en prendre puisque nous raisonnons désormais en terme de "système" et que le système est sans visage et sans nom ? La rationalité immanente à l'ordre (économique) des choses n'est imputable à personne. Comment donc pourrait-on en faire le procès ? Sauf à montrer qu'il s'agit là d'une gigantesque construction idéologique, non moins fallacieuse que les anciennes constructions théologico-philosophiques. Ce qui est bien le cas.
Une sonnette d'alarme devrait toujours s'allumer et résonner à nos oreilles, lorsque le monde des hommes se trouve soumis à une (prétendue) nécessité, qu'elle soit historique, biologique ou économique, qui ne peut faire l'objet d'aucun choix, ni d'aucune délibération.
mardi 23 février 2010
Monisme ou pluralisme
La conclusion générale que l’on peut tirer des recherches contemporaines en psychologie sociale aussi bien que des critiques théoriques de l’égoïsme psychologique, c’est qu’il convient de renverser la charge de la preuve : c’est à l’égoïsme psychologique d’apporter la preuve que l’altruisme n’existe pas et non à l’hypothèse de l’empathie-altruisme.
L’hypothèse de l’empathie-altruisme (ou encore le don maussien) ne présente aucune interprétation sacrificielle ou relevant d’un désintéressement pur. Comme le montrent de façon éclairante Eliot Sober et David Wilson dans leur ouvrage (Unto Others, The Evolution and Psychology of Unselfish Behavior, Havard University Press, 1998), il convient d’opposer le caractère « absolutiste » ou « moniste » propre à l’hypothèse de l’égoïsme psychologique avec la nature « pluraliste » de l’hypothèse de l’empathie-altruisme. Selon celle-ci, les conduites de bienveillance, de générosité, de secours envers les autres n’ont nullement besoin de se faire au détriment ou au dépens de soi pour qu’on puisse les considérer comme étant authentiquement « altruistes ». Ou pour le dire autrement : il n’est nullement nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si elles ont pour fin le bien d’autrui ou uniquement le bien d’autrui (selon la version du désintéressement pur, de type sacrificiel, propre au système fénelonien du pur amour).
L’hypothèse de l’empathie-altruisme (ou encore le don maussien) ne présente aucune interprétation sacrificielle ou relevant d’un désintéressement pur. Comme le montrent de façon éclairante Eliot Sober et David Wilson dans leur ouvrage (Unto Others, The Evolution and Psychology of Unselfish Behavior, Havard University Press, 1998), il convient d’opposer le caractère « absolutiste » ou « moniste » propre à l’hypothèse de l’égoïsme psychologique avec la nature « pluraliste » de l’hypothèse de l’empathie-altruisme. Selon celle-ci, les conduites de bienveillance, de générosité, de secours envers les autres n’ont nullement besoin de se faire au détriment ou au dépens de soi pour qu’on puisse les considérer comme étant authentiquement « altruistes ». Ou pour le dire autrement : il n’est nullement nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si elles ont pour fin le bien d’autrui ou uniquement le bien d’autrui (selon la version du désintéressement pur, de type sacrificiel, propre au système fénelonien du pur amour).
mardi 16 février 2010
Violence à l'école (1)
Selon une idée intuitive assez généralement admise, des sanctions, éventuellement pénales,sévères sont mieux à même de prémunir les comportements violents qu'une politique s'efforçant d'aider l'adolescent à développer des stratégies lui permettant, lorsque cela est encore possible, de rester lier ou de se relier, de façon positive, avec sa famille, son école et la société. Bien que la réponse « musclée » soit la plus facile à adopter – surtout lorsqu'elle nourrit une rhétorique de l'autorité et de la « tolérance zéro » – en réalité, des décennies de recherche montrent que c'est surtout une politique scolaire d'attention et d'aide aux plus défavorisés et aux plus vulnérables qui peut, à terme, réduire les conduites juvéniles antisociales. Or une pareille approche n'est nullement incompatible, bien au contraire, avec l'apprentissage des règles sociales et le respect de l'autorité, en sorte que rien ne justifie qu'on la taxe de « laxiste ». Ce point mérite d'emblée d'être souligné afin d'éviter tout malentendu ou équivoque.
Un comportement antisocial est décrit comme la violation répétée des normes sociales de comportement en vigueur, « incluant généralement agressions, vandalisme, non respect des règles, défi à l'égard de l'autorité des adultes et violation des normes sociales de la société.» Il ne saurait être question d'exposer ici avec un peu de détails les nombreux facteurs externes (familiaux, économiques, sociaux, également ceux liés aux établissements scolaires) et internes (difficultés d'apprentissage, désordres émotionnels et comportementaux, etc.) des conduites « antisociales » agressives que les chercheurs ont dégagés.
Le point important qu'il convient de retenir, c'est la relation dynamique qui existe entre l'individu et l'ensemble de ces facteurs, lesquels interagissent également les uns avec les autres, pour former à un moment t le « caractère » d'un individu particulier, c'est-à-dire tout à la fois l'état de développement de ses capacités affectives, morales et intellectuelles, les valeurs et principes auxquels il adhère, et les conduites qui en découlent. Or ce « caractère », pris à un moment t, ne peut être compris dans ce qu'il est et dans ses actes, seraient-ils délinquants ou criminels, qu'à partir du moment où il est envisagé dans la totalité unifiée de l'existence qui est la sienne, c'est-à-dire dans la constance d'une certaine manière d'être, laquelle inclut l'adhésion à un ensemble de croyances et de valeurs L'idée qu'un individu puisse se changer librement, volontairement, lui-même – ses opinions et les passions qui le font agir - dès lors qu'il y serait contraint par les représentants de l'autorité, est encore plus fausse et vouée à l'échec lorsqu'elle s'adresse à un enfant ou à un adolescent en formation que lorsque ce discours est servi à un adulte. Dans ces cas, comme en bien d'autres, la volonté, ainsi que l'a fortement souligné Hume à l'encontre du postulat stoîcien - est d'abord impuissante à produire ce qu'on attend d'elle, lors même qu'elle le voudrait, tout simplement
parce que nous ne sommes pas totalement à disposition de nous-même, du moins pas au sens où notre caractère – l'être que nous sommes devenu avec le temps - pourrait se transformer immédiatement de fond en comble par une simple décision rationnelle de la volonté, serait-ce la nôtre. Nous pouvons certes viser à la progressive restauration d'une identité abîmée – en vue de l'ouvrir à un avenir meilleur -, mais il serait illusoire de croire et d'espérer qu'elle puisse être transformée sur le champ par un simple diktat ou par un commandement, quel qu'en soit l'auteur. Et cette restauration, qui porte sur la personnalité dans son ensemble autant que sur les opinions, passions, croyances et principes qui sont les siennes, ne peut se faire sans un patient travail sur soi qui demande souvent aide et médiations. C'est là la limite que rencontrent inévitablement les pratiques pédagogiques qui obéissent à une temporalité (relativement) courte, et non à la difficile prise en charge de l'enfant dans la longue durée. Or il est notoire que les enseignants ne sont nullement formés à cette tâche.
Les difficultés que l'institution scolaire rencontre face à la violence des plus vulnérables est une conséquence inaperçue de l'idée de contrat sur laquelle elle repose plus ou moins implicitement.
Or le défaut principal des doctrines du contrat, c'est qu'elles n'admettent pour protagonistes que des individus déjà adaptés aux normes sociales et capables d'agir conformément à ce qu'elles exigent de chacun (comme sujets rationnels, responsables, autonomes, etc.) Or ce présupposé a des conséquences sacrificielles considérables envers ceux – certains élèves par exemple - qui ne sont pas en mesure ou qui refusent, pour des raisons conscientes ou non, de « jouer le jeu » et qui, dès
lors, ne peuvent que se trouvés exclus du système. N'y a-t-il pas quelque chose de profondément injuste à faire de cette capacité d'adaptation et de l'autonomie un préalable, et non une fin à viser quelles qu'en soient les difficultés et le prix sans doute élevé à payer ?
La suite est à venir...
Un comportement antisocial est décrit comme la violation répétée des normes sociales de comportement en vigueur, « incluant généralement agressions, vandalisme, non respect des règles, défi à l'égard de l'autorité des adultes et violation des normes sociales de la société.» Il ne saurait être question d'exposer ici avec un peu de détails les nombreux facteurs externes (familiaux, économiques, sociaux, également ceux liés aux établissements scolaires) et internes (difficultés d'apprentissage, désordres émotionnels et comportementaux, etc.) des conduites « antisociales » agressives que les chercheurs ont dégagés.
Le point important qu'il convient de retenir, c'est la relation dynamique qui existe entre l'individu et l'ensemble de ces facteurs, lesquels interagissent également les uns avec les autres, pour former à un moment t le « caractère » d'un individu particulier, c'est-à-dire tout à la fois l'état de développement de ses capacités affectives, morales et intellectuelles, les valeurs et principes auxquels il adhère, et les conduites qui en découlent. Or ce « caractère », pris à un moment t, ne peut être compris dans ce qu'il est et dans ses actes, seraient-ils délinquants ou criminels, qu'à partir du moment où il est envisagé dans la totalité unifiée de l'existence qui est la sienne, c'est-à-dire dans la constance d'une certaine manière d'être, laquelle inclut l'adhésion à un ensemble de croyances et de valeurs L'idée qu'un individu puisse se changer librement, volontairement, lui-même – ses opinions et les passions qui le font agir - dès lors qu'il y serait contraint par les représentants de l'autorité, est encore plus fausse et vouée à l'échec lorsqu'elle s'adresse à un enfant ou à un adolescent en formation que lorsque ce discours est servi à un adulte. Dans ces cas, comme en bien d'autres, la volonté, ainsi que l'a fortement souligné Hume à l'encontre du postulat stoîcien - est d'abord impuissante à produire ce qu'on attend d'elle, lors même qu'elle le voudrait, tout simplement
parce que nous ne sommes pas totalement à disposition de nous-même, du moins pas au sens où notre caractère – l'être que nous sommes devenu avec le temps - pourrait se transformer immédiatement de fond en comble par une simple décision rationnelle de la volonté, serait-ce la nôtre. Nous pouvons certes viser à la progressive restauration d'une identité abîmée – en vue de l'ouvrir à un avenir meilleur -, mais il serait illusoire de croire et d'espérer qu'elle puisse être transformée sur le champ par un simple diktat ou par un commandement, quel qu'en soit l'auteur. Et cette restauration, qui porte sur la personnalité dans son ensemble autant que sur les opinions, passions, croyances et principes qui sont les siennes, ne peut se faire sans un patient travail sur soi qui demande souvent aide et médiations. C'est là la limite que rencontrent inévitablement les pratiques pédagogiques qui obéissent à une temporalité (relativement) courte, et non à la difficile prise en charge de l'enfant dans la longue durée. Or il est notoire que les enseignants ne sont nullement formés à cette tâche.
Les difficultés que l'institution scolaire rencontre face à la violence des plus vulnérables est une conséquence inaperçue de l'idée de contrat sur laquelle elle repose plus ou moins implicitement.
Or le défaut principal des doctrines du contrat, c'est qu'elles n'admettent pour protagonistes que des individus déjà adaptés aux normes sociales et capables d'agir conformément à ce qu'elles exigent de chacun (comme sujets rationnels, responsables, autonomes, etc.) Or ce présupposé a des conséquences sacrificielles considérables envers ceux – certains élèves par exemple - qui ne sont pas en mesure ou qui refusent, pour des raisons conscientes ou non, de « jouer le jeu » et qui, dès
lors, ne peuvent que se trouvés exclus du système. N'y a-t-il pas quelque chose de profondément injuste à faire de cette capacité d'adaptation et de l'autonomie un préalable, et non une fin à viser quelles qu'en soient les difficultés et le prix sans doute élevé à payer ?
La suite est à venir...
mardi 9 février 2010
Plaisir de la lecture
Certains livres, trouvés au hasard de nos lectures, s'imposent, dès les premières pages, dès les premières lignes presque, avec l'évidence que nous tenons là entre nos mains une oeuvre de première importance. Une oeuvre précieuse qui s'adresse à nous et nous convient à la manière dont un vêtement épouse sans retouche les formes du corps. à peine endossé, nous nous disons : oui, celui-ci est vraiment fait pour moi ! Ne me va-t-il pas à merveille ? Mais est-ce bien une affaire de hasard, puisque tels livres nous étions déjà disposé à les accueillir. Ainsi s'établit d'emblée une connivence entre soi-même, lecteur, et l'auteur qui n'est pas seulement intellectuelle mais profondément affective et intime : notre faculté de penser et notre sensibilité se trouvent ébranlées, mis en mouvement avec une joie soudaine, non parce que nos propres opinions se trouveraient confirmées – quel plaisir y a-t-il à cela ? - mais parce que nous découvrons, exprimé par un autre, ce que nous ressentions intuitivement en nous-même comme une vérité profonde mais que nous étions incapable de voir sous cet angle pas plus que n'étions en mesure d'en déduire les conséquences et les aspects inaperçus que l'auteur poursuit et révèle. Dès lors on est pris, embarqué comme malgré soi, dans une aventure dont nous ne savons à l'avance où elle nous conduira, mais que nous sommes disposés à tenter parce que chaque instant du voyage nous fait découvrir des terres humaines familières bien qu'elle nous soient en partie inconnues. Et il importe, au plus haut degré, que ce soit bel et bien un terrain d'humanité commune que l'auteur nous fasse arpenter en nous prenant par la main avec l'autorité qui sied à un bon capitaine. Si nous lui avons accordé bien vite notre confiance, c'est que le monde des hommes tel qu'il nous le donne à le voir et à le comprendre, que ce soit dans une fiction romanesque ou dans la forme plus « intellectuelle » d'un ouvrage philosophique, est envisagé avec un regard empreint d'une intelligence profondément bienveillante. Ce n'est pas seulement l'étendue du savoir ni l'originalité du style de l'auteur qui compte dans ce genre de rencontre. Outre ces qualités, qui sont évidemment requises, ce qui nous touche, c'est sa capacité à mettre son talent et son inventivité créatrice au service, mais de quoi donc ? J'oserai le mot, bien qu'il prête à sourire : de la bonté. Ce n'est pas seulement, ayant lu de tels livres, que notre vision du monde s'en trouve enrichie – tel est le propre de toutes les grandes oeuvres – le sentiment que nous éprouvons est d'une nature plus rare et singulière : ce que nous avons appris nous a rendu, non seulement plus instruit, mais – comment dire ? - moralement meilleur (sans qu'il soit besoin de préciser pour l'instant le sens que nous donnons à cette amélioration).
Je n'éprouve, pour être franc, aucune gêne à affirmer que nous sortons de la lecture de certains livres pires qu'avant, comme si nous avions été victimes d'une sorte d'infection et de contamination perverse. Je songe, par exemple, aux Bienveillantes de Jonathan Littell. Quoiqu'on puisse discuter cette affirmation, n'est-il pas vrai inversement que certains livres – ils n'ont pourtant à proprement parler rien d' « édifiant » - nous élèvent et nous éclairent sur le meilleur de nous-même et que c'est pour cette raison que nous nous y attachons avec une reconnaissance et une affection qui se dirigent vers l'auteur lui-même ? Je veux dire : n'est-ce pas une expérience qu'il nous arrive parfois de faire, quoique ce soit très rarement ? Chacun pourrait faire la liste de ces livres et de ces écrivains qu'il chérit tout particulièrement, en raison de la profonde humanité et de l'exigeante compassion dont ils font preuve à l'égard de leurs semblables. Pour ma part, je rangerai en vrac sur cette étagère : Camus, Char, Gary, Havel, Nadejda Mandesltam, Oulitskaïa et bien d'autres.
L'expérience, dira-t-on, est purement subjective et ne garantit en rien la qualité de l'oeuvre ainsi accueillie. N'est-ce pas au fond une sorte d'enthousiasme naïf qui ne saurait tenir lieu de critère ? Peut-être. Mais le fait demeure que certaines lectures nous touchent assez intimement pour que nous les mettions, je ne dis pas au-dessus mais à part des autres qui forment notre petite bibliothèque intérieure.
Je n'éprouve, pour être franc, aucune gêne à affirmer que nous sortons de la lecture de certains livres pires qu'avant, comme si nous avions été victimes d'une sorte d'infection et de contamination perverse. Je songe, par exemple, aux Bienveillantes de Jonathan Littell. Quoiqu'on puisse discuter cette affirmation, n'est-il pas vrai inversement que certains livres – ils n'ont pourtant à proprement parler rien d' « édifiant » - nous élèvent et nous éclairent sur le meilleur de nous-même et que c'est pour cette raison que nous nous y attachons avec une reconnaissance et une affection qui se dirigent vers l'auteur lui-même ? Je veux dire : n'est-ce pas une expérience qu'il nous arrive parfois de faire, quoique ce soit très rarement ? Chacun pourrait faire la liste de ces livres et de ces écrivains qu'il chérit tout particulièrement, en raison de la profonde humanité et de l'exigeante compassion dont ils font preuve à l'égard de leurs semblables. Pour ma part, je rangerai en vrac sur cette étagère : Camus, Char, Gary, Havel, Nadejda Mandesltam, Oulitskaïa et bien d'autres.
L'expérience, dira-t-on, est purement subjective et ne garantit en rien la qualité de l'oeuvre ainsi accueillie. N'est-ce pas au fond une sorte d'enthousiasme naïf qui ne saurait tenir lieu de critère ? Peut-être. Mais le fait demeure que certaines lectures nous touchent assez intimement pour que nous les mettions, je ne dis pas au-dessus mais à part des autres qui forment notre petite bibliothèque intérieure.
lundi 1 février 2010
Alain Caillé, sur le don
Conférence d'Alain Caillé, professeur de sociologie à l'Université de Nanterre, fondateur et directeur de la Revue du Mauss (Mouvement anti utilitariste dans les sciences sociales), au colloque de Cerisy consacré au don en juin 2009.
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