Extrait de la longue lettre qu'Oscar Wilde écrivit, début 1897, à son jeune amant, Lord Alfred Douglas, depuis sa prison de Reading. Une admirable et bouleversante méditation qui sera publiée dans sa version intégrale en 1962 seulement, sous le titre, De Profundis. Je dois avouer qu'à l'écouter, dans la beauté simple de la langue du grand écrivain, j'ai éprouvé une profonde émotion :
2 commentaires:
Superbe.Merci Michel T.
De Profundis sont les premiers mots latins du psaume 130 extrait du Livre des Psaumes de la Bible. La formule latine complète “De profundis clamavi ad te, Domine” en français “Du fond de l’abîme j’ai crié vers Toi, Seigneur” a inspiré de nombreux artistes dont le grand écrivain, dramaturge, et poète irlandais de la seconde moitié du XIXe siècle : Oscar Wilde. Peu importe que la vidéo ne soit plus disponible car l’article seul donne envie de se replonger dans ce magnifique texte de 1897, une lettre écrite par Oscar Wilde à son amant Lord Alfred Douglas surnommé Bosie, vers la fin de sa vie alors qu’il est enfermé dans une prison de travaux forcés pour son homosexualité - “the love that dare not speak its name” - revendiquée bien qu’encore illégale en Angleterre à cette époque.
Cette lettre est le résultat de presque deux ans de vie extrêmement rude, surtout pour un homme qui avait l’habitude de vivre dans l'opulence raffinée, l’absence d’activités physiques, célébré par les foules et entouré par le soutien constant d’amis admiratifs. Il se retrouve depuis 1895 complètement isolé, ruiné, épuisé, humilié, et c’est de cette déchéance à la fois psychique et physique, que naît De Profundis, sorte de traité philosophique sur les bienfaits de l’intense douleur, accompagné d’une exploration christique, la majeure partie de la lettre portant sur la nature du Christ.
Ce qui marque le plus dans cette lecture, c’est la nécessité absolue de trouver un sens, une raison, une cause juste et justifiée, une leçon à tirer, une façon de s’améliorer, voire une direction pour le futur, dans toute l’insupportable douleur infligée à Wilde par la cruauté de sa vie carcérale. L’idée de souffrir en vain est intolérable, c’est pourquoi la souffrance doit être appréhendée comme moyen pour atteindre une profonde amélioration de soi, profondeurs auxquelles on n’aurait jamais accès sans les pires difficultés que la vie nous impose. Sa nouvelle perspective à propos de la souffrance, accompagnée de sa fascination pour le Christ qui a souffert plus que quiconque, lui apportent une aide psychologique indispensable. Il veut utiliser sa douleur comme tremplin vers la beauté, la pureté, la connexion avec soi-même et avec les autres, l’amour pour la vie dans tout ce qu’elle nous offre de paradisiaque et d’infernal. Et c’est le propre des grands textes de s’adresser à l’universel en partant du singulier de l’expérience vécue par l’auteur. En effet, est-ce que l’humain n’a pas toujours essayé tant bien que mal de justifier rationnellement les souffrances et les injustices qui envahissent nos vies à tous? Impossible de lire cette lettre sans se demander : “Et moi, qu’aurais-je fait à sa place?” ou “Puis-je m’inspirer de son expérience pour apprendre à mieux sublimer ma souffrance en une chose qui me comblera, au lieu qu’elle se traduise en amertume?”
D’ailleurs, un des aspects les plus touchants du texte, c’est d’abord le manque total d’amertume, de colère, voire de haine qu’un tel changement de vie aurait pu engendrer chez l’écrivain de génie, et ensuite, l’humilité produite par la dégradation totale d’un homme qui prend toutes les responsabilités quant au tournant dramatique qu’a pris sa vie. Rappelons qu’avec cette condamnation Wilde a tout perdu : sa gloire, son argent, sa réputation, ses enfants, il demande même pardon à ses dignes parents pour avoir sali leur nom de famille. On aimerait pouvoir lui dire : “Ne vous inquiétez pas à ce sujet cher monsieur Wilde, non seulement le nom de votre famille sera bientôt de nouveau propre, mais il brillera encore plus qu’avant, tant et si bien qu’il faudra installer des vitres protectrices autour de votre tombe pour qu’on ne puisse plus y déposer des multitudes de baisers au rouge à lèvres!”
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