À quel point cela compte qu'il n'ait pas été éliminé, réduit en poussière par une bombe ou liquidé par les forces spéciales, mais arrêté vivant et que, interrogé aujourd'hui jugé demain, il soit maintenant contraint de se montrer à la face de tous et de s'expliquer. On aura devant soi, non pas une cible, une trace sur un écran, mais un être humain avec son histoire sans doute assez lamentable, ses pauvres raisons et son langage, aussi stéréotypé et mécanique soit-il, avec un visage et un nom que j'ai peine encore à prononcer.
Paroles de la mère d'une des victimes du Bataclan, ce matin sur France Inter : Je voudrais aller le voir, le rencontrer, lui parler, lui montrer les photos de ma fille de 26 ans, qu'il touche du doigt notre souffrance, celle de sa sœur jumelle qui ne s'en remet pas, de son fiancé qui est dévasté et, un jour, qui sait ? peut-être lui pardonner.
"On est parti, on commence". Mais qu'as-tu commencé petit homme ? Le commencement, c'est le miracle de la naissance qui fait venir au monde un être nouveau et unique, avec toutes ses possibilités et ses promesses. Commencer, ce n'est jamais détruire. Répandre la mort et le malheur autour de soi, se peut-il que tu prennes un jour conscience à quel point ce geste était vide de sens et désespérément imbécile ?
Le premier mérite du procès sera de le mettre en face de ses victimes, qu'il voit, et espérons-le, qu'il comprenne et réalise la réalité de ce qu'il a fait, les conséquences effectives des actes qu'il a commis. Début peut-être d'un long processus de construction de soi. Toute la grandeur de la justice, en comparaison de la réponse militaire, est de ne jamais exclure cette possibilité, de ne pas traiter l'accusé en ennemi à abattre mais en homme qui doit répondre de ses actions.
Et, pourtant, beaucoup pensent sans doute qu'il eût mieux valu qu'il soit éliminé, que l'établissement d'un procès donnera une tribune à ses "idées", qu'il fera l'objet d'une attention que rien ne mérite, quelque soit le verdict, jamais assez sévère puisque la peine de mort a, hélas, été abolie, qu'on en a strictement rien à faire de son avenir, qu'il s'ouvre ou non un jour à la souffrance d'autrui et, qui sait ? à la compassion. Je vis trop à l'écart pour entendre ces voix, mais je les devine. Au comptoir des bars, dans les rues, au coin du distributeur pendant la pause café. Que leur répondre ? Seule la justice établit entre les hommes un tiers impartial et met un terme au cycle infernal de la violence mimétique, de la loi du talion "œil pour œil, dent pour dent", auquel nous avons trop souvent cédé au mépris de nos principes. Ce n'est jamais la vengeance que les victimes demandent et que demande leur travail de deuil. La justice, c'est l'humanité traduite en droits. Alors oui, cela compte immensément que ce terroriste ait été arrêté et non pas tué.
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