On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
jeudi 25 mai 2017
Seul le Bien est profond
Vous l'aurez compris : l'intention du livre - grosse prétention ! - est de répondre à La littérature et le mal de Georges Bataille et de montrer à quel point est fausse l'affirmation selon laquelle "si la littérature ne s'intéresse pas au mal, elle devient vite ennuyeuse". Tout le contraire : comme l'écrivait Hannah Arendt, le 20 juillet 1963, dans une lettre à Gershom Scholem : "A l’heure actuelle, effectivement, je pense que le mal est seulement extrême, mais jamais radical et qu’il ne possède ni profondeur, ni dimension démoniaque. Il peut dévaster le monde entier, précisément parce qu’il prolifère comme un champignon à la surface de la terre. Seul le Bien est profond et radical." Rien ne montrera davantage la vérité de ces affirmations que l'étude des romans, immenses, que j'ai choisis. Quant à la prolifération du mal, quel jour n'apporte pas la confirmation de son atroce et désespérante "superficialité" ?
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Comme Georges Bataille dans "La littérature et le mal" qui affirme que "si la littérature ne s'intéresse pas au mal, elle devient vite ennuyeuse", le philosophe Colonna en 2015 explique qu'il y a effectivement "une tendance actuelle de l'Art (incluant donc toutes formes d'art) à être dans l’immoralité" et donc à s'intéresser de très près au mal.
Mais pourquoi ?
Le fait que la littérature s'intéresse autant au mal serait liée justement à une amélioration artistique : "plus l'art augmente leur puissance esthétique, plus il se détache de la moralité du bien, flirte avec l'immoralité, avec le mal. C'est un phénomène constant surtout à partir du milieu du XIXème siècle." Pourtant, Colonna déclare aussi que ce point n'est pas fondamental, que "pendant des siècles et des siècles, l'Art a été majoritairement moral, orienté vers le bien" et n'était pas une source d'ennui, bien au contraire.
Ainsi, pour remettre dans le contexte : Gershom Scholem disait, dans une lettre du 23 juin 1963, qu’il n’est pas satisfait par la thèse de la banalité du mal, thèse qui, lui parait moins profonde que le travail mené sur le totalitarisme et sur le mal radical duquel qui en ressort ; d'où la réponse d'Hannah Arendt ci-dessus.
Lors du procès de Eichmann, et alors que tout le monde voit en lui la figure démoniaque et inhumaine du mal, Arendt affirme qu'il n'est pas un monstre, mais un individu ordinaire, terne et insignifiant. Seul le bien est profond, le mal n'est ni absolu ni radical. Plutôt que l'image monstrueuse et démoniaque du mal, le concept de "banalité du mal" fait du mal l'incarnation de "l'absence de pensée" chez l'humain. Ni méchanceté ni stupidité, le mal, c'est plutôt la bêtise et surtout l'absence de la force de juger, l'incapacité de jugement.
Et, en ouverture de son dernier grand opus, "la Vie de l'esprit", Arendt revient sur son analyse : "Les actes étaient monstrueux, mais le responsable était tout à fait ordinaire. Il n'y avait en lui ni convictions idéologiques solides ni motivations spécifiquement malignes, la seule caractéristique notable qu'on décelait dans sa conduite était de nature entièrement négative : ce n'était pas de la stupidité, mais un manque de pensée.". Le mal est donc la bêtise humaine, l'absence de jugement, de pensée. Ni satanisme ni perversion idéologique, le mal est au fond la négation de toute pensée, qui se répand, tel un virus, "un champignon" dans nos sociétés démocratiques parfois bien fragiles.
C'est pourquoi la littérature n'est pas ennuyeuse si elle relate le Bien mais simplement moins mis en avant depuis quelques siècles. Le mal se prolifère chaque jour durant, confirmant son atroce et désespérante "superficialité" un peu plus, comme vous dites. Et d'ailleurs dans une ancienne publication sur votre blog, (vendredi 15 janvier 2016, si quelqu’un souhaite y jeter un coup d’œil), vous expliquez que : "le mal est souvent dit « injustifiable », « indicible », « incompréhensible », « irrationnel », « incommensurable », ou encore, « inhumain », toutes ces expressions tendent à faire oublier la banalité d’un mal beaucoup moins excentrique, et bien plus humain.". On sait alors que ces expressions proviennent d'un mal ordinaire, banal : d'un mal humain. La littérature, s'inspirant un peu plus chaque jour des Hommes, fait de son art un miroir vers notre humanité si complexe et montre, à qui veut le voir et l'entendre, nos multiples facettes, que ce soit en bien ou en mal.
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