On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

dimanche 26 août 2018

La vraie grandeur de ce que représente la Bible

Vous me suivrez peut-être plus difficilement sur cette voie, il n'empêche...
Voici les lignes, consacrées à la question de Dieu et le mal, sur lesquelles s'achève le beau livre, savant et très instructif, de Jean Bottéro, Naissance de Dieu, La Bible et l'historien [Folio, 1992, p. 177-179]. Il se nourrit des dernières avancées de la recherche scientifique pour faire le récit d'une des plus belles "inventions", conçues par l'esprit humain. Que l'on soit croyant ou non est sans importance, dès lors qu'il s'agit de reconnaître la richesse et l'inépuisable fécondité - notez bien que je ne parle pas de vérité - de ces sources très lointaines. Je fais mon credo de ce principe : rester assez ouverts et accueillants pour ne nous priver de rien de ce qui est beau, noble et profond. C'est par ignorance et préjugé crasse qu'on n'ouvre pas la Bible. Nul ne scandalise qu'on invite à partager Sophocle ou Euripide. Pour quelle raison devrait-on s'inquiéter de la recommandation de lire les Psaumes, les Prophètes ou Le Livre de Job ? Bêtise et ignorance, nulle émancipation là ni liberté de l'esprit, malgré qu'on en ait ! Ce sont des chefs d'oeuvre d'une extraordinaire puissance émotionnelle et beauté poétique.

"La vraie grandeur de ce que représente la Bible

Cette admiration doit grandir encore si l'on s'avise que le problème de la juste rétribution divine s'était déjà posé à Babylone, où dès le haut IIe millénaire, pour le moins, on connait le thème de l' « honnête qui veut savoir pourquoi il est malheureux », lequel thème, sur un millier d'années, s'est trouvé développé et discuté en trois ou quatre œuvres d'un certain souffle. Dans cette civilisation magnifique, peut-être la première au monde à avoir mérité ce titre ; où, étayées par une force politique et militaire par moments colossale, les « inventions » culturelles ne se comptent pas : la métallurgie du bronze, l'écriture, la comptabilité, la jurisprudence, la mise en ordre « scientifique » de l'univers, les recherches « philosophiques » sous le mode de la mythologie, la mathématique, l'astronomie, la médecine, les premiers linéaments d'une logique du savoir, sans parler d'infinies réussites dans tous les domaines – jamais le problème n'a été véritablement saisi dans toute son ampleur et résolu autrement que par un rappel de l'inconstance des dieux et un timide espoir que tout s'arrangerait : réponse dérisoire, indigne de grands esprits, mais bien à la mesure, après tout, d'une pensée religieuse qui, en dépit d'efforts évidents, en est toujours restée, au bout du compte, à un polythéisme et un anthropomorphisme terre à terre.
Et voilà Israël, microscopique à l'échelle du géant mésopotamien ; qui n'a jamais compté véritablement sur la scène politique ; qui n'a jamais vaincu dans de grandes batailles ; qui, lui-même totalement débiteur sur le plan culturel, de ses prédécesseurs et de ses voisins (en particulier Babylone), n'a jamais rien inventé, n'a rien laissé au monde dans le domaine de la technique et de la science – voilà ce peuple exigu, qui, en moins d'un millénaire, parvient, non seulement à poser en vérité, sous toutes ses dimensions, mais à résoudre un des plus hauts problèmes de la pensée religieuse, à peine entrevu et, en somme, laissé pour compte, par ces puissants et immortels Babyloniens ! Voilà cette poignée de fidèles d'un Dieu d'abord obscur, qui, par le seul attachement à Sa personne et la seule force de leur foi en Lui, sans même le secours de la pensée rationnelle, bien avant que cette dernière se soit imposée et ait donné ses preuves chez les Grecs, non seulement fait de ce Dieu le Seul et Unique de tout l'Univers, mais arrive en quelques siècles à une intériorisation, un anoblissement de la religiosité tels que personne ne les a dépassés depuis et qu'il faut bien le reconnaître, bon gré mal gré, les deux millénaires qui nous ont faits ce que nous sommes en ont vécu, et nous-mêmes en vivons toujours, n'ayant rien trouvé de mieux et de plus haut dans ce domaine. Car le christianisme, qui reste, jusqu'à nouvel ordre, au propre cœur de la civilisation occidentale, aujourd'hui conquérante du globe, n'a rien ajouté ni modifié d'essentiel au yahvisme et au judaïsme, ni sur le plan de la théologie proprement dite, ni sur celui du comportement religieux : et même, en se posant comme religion universelle de salut, n'a-t-il, avant tout, voulu réaliser le sublime idéal proposé par le Second-Isaïe ?

Que l'on adhère ou non à son message, qu'on le rattache ou non à Dieu, la Bible résume évidemment un des plus hauts moments de l'histoire humaine. Et quand l'homme devrait encore changer beaucoup, on ne pourra jamais arracher de son passé ce glorieux millénaire : qui donc, même après une vie tourmentée et plusieurs fois remise en question, est jamais arrivé à abolir les souvenirs lumineux de son enfance."

3 commentaires:

Hector1995 a dit…

J'ai pu lire dans un ouvrage (La grandeur de l'homme au siècle de Périclès) de Jacqueline de Romilly que la doctrine chrétienne doit beaucoup aux œuvres de la littérature grecque. Surtout dans la manière de concevoir la grandeur de l'homme.

FRANCE DELTENRE a dit…

Cette publication de Michel Terestchenko sur ce que représente la Bible met en exergue la « civilisation magnifique » babylonienne qui rayonna sur tout le Proche-Orient antique. Babylone appartient au domaine du mythe autant qu’à la réalité. Babylone fut perçue comme une ville royale et un centre cosmique, un lieu où « la terre rejoignait le ciel et le monde inférieur », comme l’illustrait la haute tour à étage du sanctuaire de Marduk qui dominait Babylone et atteignait le ciel et qui inspira le Temple de Zeus Belos ou la tour de Babel, que l’on retrouve respectivement dans des récits grecs et dans la Bible. La grandeur de Babylone fut celle de la Mésopotamie, berceau de notre civilisation, qui aujourd’hui est mise en péril par les affrontements locaux qui s’y déroulent.
C’est à Ur, en Mésopotamie, selon la légende décrite dans le premier livre de la Bible que grandit Abram, fils d’un vendeur d’idoles. Il se voit confier une mission par celui que j’appellerai l’Invisible qui s’adresse à lui. Partir vers Canaan sera sa mission et la responsabilité qui s’attache à cette nouvelle fonction se verra renforcée par le changement de nom que l’Invisible opère : de Abram, il deviendra Abraham. l’Invisible lui dit : «Va vers la terre que je te montrerai ». La langue de la Bible s’interprète à différents niveaux selon la volonté du lecteur et l’attention et la profondeur qu’il veut y porter. Ainsi cette expression dans la langue d’origine de la Bible : « Lekh Lekha » se traduit littéralement par « va vers toi ». Pour celui qui reçoit cette injonction et l’écoute, une rupture s’opère en lui, il devient un être en devenir. Il lui appartient de s’arracher de son milieu familial et de s’engager dans un nouveau départ en sortant de lui-même, en se conquérant à nouveau, en allant à la recherche de son fondement.
L’être humain n’est-il pas ce qu’il devient plutôt que ce qu’il est ? Ou ne doit-il pas apprendre à être ce qu’il est sans se dissimuler derrière ce qu’il n’est pas. Apprendre à être soi-même dans la profondeur de son être et non dans la superficialité, dans les apparences. Être soi, c’est une exigence qui ne va pas de soi.
« Deviens qui tu es » : une telle formule se retrouve dans l’œuvre transmise par Pindare, formule qui a fait l’objet de moultes interprétations par les philosophes qui ont suivi.
Socrate en premier lieu : « Connais-toi toi-même » dans une expérience de maïeutique ; apprendre à se connaître soi-même requiert de l’introspection, pour descendre en soi, dans son monde intérieur et accoucher de l’âme, interroger sa propre conscience et se demander « Qui je suis ? ». Sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes figure également la mention « Rien de trop », cette mention n’invite-t-elle pas celui qui cherche à comprendre, à pourfendre la démesure et prendre conscience de ses limites, dans sa quête et sa recherche d’adaptation à son temps ?
Plusieurs siècles plus tard, Kant lance l’injonction à l’homme « Sapere aude ! », tout un programme d’émancipation en exerçant sa raison « n’aie pour maître que ta raison ». Sois ton propre maître et écoute-toi toi-même, écoute ton propre entendement !
La dialectique du devenir que défendra Hegel opère quant à elle par la négativité : le Devenir « qui en étant, n’est pas et qui en n’étant pas, est », l’homme ne serait que conscience de lui-même ; il a à le devenir. Pour cela, il lui appartient de sortir de soi pour revenir à soi et rencontrer un Autre.
Ces éléments épars révèlent la richesse philosophique et inépuisable qui peut surgir et dériver de deux mots de la Bible. La lecture, l’analyse de chaque verset dans sa langue d’origine regorge d’une multitude de sens. Telle est la richesse de l’interprétation qui peut être faite de la Bible et s’inscrire ensuite dans une réflexion philosophique. N’est-ce pas cela « la vraie grandeur de ce que représente la Bible » comme l’indique le titre de la publication de Michel Terestchenko.

laurent BANITZ a dit…

Je ne puis qu'adhérer au propos de cet article. En tenant d'abord à préciser que l'auteur du présent commentaire est tout à fait athée (mot à lire sans y rattacher aucun sens militant ni encore moins acrimonieux: ma position personnelle à l'égard des religions est celle d'un intérêt purement intellectuel). Il me semble inconcevable d'envisager toute réflexion philosophique, historique ou même artistique autour de l'homme et de son inscription dans une histoire culturelle, sans rien connaître du texte biblique.
Non qu'il s'agisse-là de revendiquer la primauté de "racines chrétiennes" de notre culture, comme le font trop souvent ceux qui, par ailleurs ignorants du texte biblique, et dépourvus encore plus de culture historique, les brandissent comme un étendard identitaire.
D'abord parce que la Bible n'appartient à personne, pas plus aux chrétiens qu'aux juifs ni même aux musulmans, si l'on garde à l'esprit que le corpus coranique (sans en nier les spécificités et notamment l'importance capitale qu'y joue la langue arabe) recoupe très largement celui de la bible hébraïque (ou de l'ancien testament, comme on voudra).
Qu'on écoute à ce sujet les cours passionnants que donne Thomas Römer, titulaire de la chaire "Milieux bibliques" au Collège de France. Synthèse magistrale des acquis les plus récents des recherches archéologiques et exégétiques, Thomas Römer nous invite à penser le texte biblique comme une matière à penser et un réservoir inépuisable de questions sur l'homme, aussi actuelles que celles du mal, du sens de la loi morale, de l'amour, de la liberté.
Au moment où j'écris ces lignes, j'ai sous les yeux mon exemplaire de la Bible de Port-Royal, monument de la langue française classique, fruit d'un travail collectif dont le maître d'œuvre fut Lemaître de Sacy et qui compta Blaise Pascal au nombre de ses ouvriers...
Cette édition de la Bible accompagna Arthur Rimbaud tout au long de sa vie. L'homme aux semelles de vent, le mauvais garçon, le météore aveuglant de la poésie française, l'explorateur de l'art total qui mit un terme à sa vie poétique pour se faire marchand d'armes dans les déserts d'Abyssinie, cet homme-là connaissait la valeur de ce livre. N'est-ce pas la plus belle invitation à le lire?