On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 27 mai 2021

Svetlana Alexievitch, La guerre n'a pas un visage de femme

De la méthode qui inspire l'ensemble de son œuvre, Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015, dit :"Je n'écris pas l'histoire des faits mais celle des âmes". Voici un extrait de son admirable premier livre, La guerre n'a pas un visage de femme* :
"Tout ce que nous savons, cependant, de la guerre nous a été conté par des hommes. Nous sommes prisonniers d'images "masculines" et de sensations "masculines" de la guerre. De mots "masculins". Les femmes se réfugient toujours dans le silence, et si d'aventure elles se décident à parler, elles racontent non pas leur guerre, mais celle des autres. Elles adoptent un langage qui n'est pas le leur. Se conforment à l'immuable modèle masculin. Et ce n'est que dans l'intimité de leur maison ou bien entourées d'anciennes camarades du front, qu'après avoir essuyé quelques larmes elles évoquent devant vous une guerre (j'en ai entendu plusieurs récits au cours de mes expéditions journalistiques) à vous faire défaillir le cœur. Votre âme devient silencieuse et attentive : il ne s'agit plus d'événements lointains et passés, mais d'une science et d'une compréhension de l'être humain dont on a toujours besoin. Même au jardin d'Eden. Parce que l'esprit humain n'est si fort ni si protégé qu'on le croit, il a sans cesse besoin qu'on le soutienne. Qu'on lui cherche quelque part de la force. Les récits des femmes ne contiennent rien ou presque rien de ce dont nous entendons parler sans fin et que sans doute d'ailleurs, nous n'entendons plus, qui échappe désormais à notre attention, à savoir comment certaines gens en ont tué héroïquement d'autres et ont vaincu. Ou bien ont perdu. Les récits des femmes sont d'une autre nature et traitent d'un autre sujet. La guerre "féminine" possède ses propres couleurs, ses propres odeurs, son propre éclairage et son propre espace de sentiments. Ses propres mots enfin. On n'y trouve ni héros ni exploits incroyables, mais simplement des individus absorbés par une inhumaine besogne humaine. Et ils (les humains !) n'y sont pas seuls à en souffrir : souffrent avec eux la terre, les oiseaux, les arbres. La nature entière. Laquelle souffre sans dire mot, ce qui est encore plus terrible...
[...] Nous croyons tout savoir de la guerre. Mais moi qui écoute parler les femmes - celles de la ville et celles de la campagne, femmes simples et intellectuelles, celles qui sauvaient des blessée et celles qui tenaient un fusil - je puis affirmer que c'est faux. C'est même une grande erreur. Il reste encore une guerre que nous ne connaissons pas.
Je veux écrire l'histoire de cette guerre... Une histoire féminine..."
_____________
* "La guerre n'a pas un visage de femme", in Oeuvres, traduit du russe par Galia Ackerman et Paul Lequesne, Thesaurus, Actes Sud, 2015, p. 20-21.

11 commentaires:

chellali setti a dit…

Merci vous savez pourquoi ! EnVoyez moi votre mail en MP FACEBOOK parce que j'ai plus accès à celle de la fac.

Bien à vous,
Cordialement
Serri Chellali

chellali a dit…

Je regarde votre dernière vidéo sur la bonté MERCI

Anonyme a dit…

Bonjour Monsieur, dans cet extrait « La guerre n’a pas un visage de femme » de Svetlana Alexievitch, pouvons-nous dire que ce texte est purement féministe ? Tout en essayant de donner une place et une importance aux femmes, qui sont trop souvent oubliées ou bien mise de côté même durant la guerre, alors que nous savons pertinemment qu’elles ont aussi aidé leur pays au péril de leurs vies.

J’ai essayé de faire quelques recherches sur cet ouvrage et dites-moi si je me trompe mais a-t-il été écrit par rapport à la guerre froide ? Même si l’auteur était très jeune durant ce moment, souhaite-t-elle rétablir une certaine vérité par rapport à cette époque ?

C’est intéressant de constater que les humains s’entretuent seulement pour s’entretuer et même s’ils souffrent, la nature, les animaux souffrent en même temps par leur faute. « Je veux écrire l'histoire de cette guerre... Une histoire féminine… » Cette citation fait elle allusion au féminisme ainsi qu’au combat des femmes pour être enfin l’égal des hommes ?

Priscillia COELHO MOUTINHO a dit…


Pendant de longs siècles, l’invisibilisation de la femme dans les écrits était le résultat d’une Histoire retranscrite par les hommes, et ce dès la Préhistoire. Fort heureusement, l’évolution des mentalités a révélée, au fur et à mesure, des érudites, des guerrières, des contestataires, ou encore des résistantes.

Invisibiliser les femmes, c’est occulter, volontairement ou non, tout un pan de l’Histoire. En effet, sans femmes, l’Histoire aurait-elle été la même ? Il est fort probable, voir certain, que le déroulement des évènements aurait été tout autre.

Voilà, selon moi, la volonté de Sveltana Alexievich.
Ecrire l’ «histoire de cette guerre… une histoire féminine… » c’est remettre la lumière sur une population entière qui, depuis toujours, occupe une place plus ou moins importante, que ce soit dans la société, dans l’Art, ou encore la Science.

Dans le monde scientifique, entre autres, la minimisation systémique et récurrente de la contribution féminine dans la recherche porte un nom : l’effet Matilda. Nombreuses sont les avancées et les découvertes, dont les retombées gratifiantes ne reviennent pas aux femmes savantes dont elles sont le produit, mais à leurs collègues et homologues masculins. Je rejoins donc par cet exemple, le commentaire précédant qui soulignait la dimension féministe de l’œuvre.

Pour reprendre les termes crus de Van Badham, écrivaine et activiste féministe australienne : « le rôle des femmes dans l’histoire a été dissimulé derrière des phallus ».
Le phénomène de mentrification (néologisme créé en 2018 désignant l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire) tend à disparaitre au fur et à mesure que les femmes se font entendre, et se réapproprient une place qui leur revient, dans le but d’obtenir une certaine reconnaissance dans leurs implications et dans leurs apports historiques passés et futurs.

Nomi OTTO a dit…

Ce livre est assez bouleversant, Svetlana Alexievich a recueilli plusieurs témoignages de femmes russes qui se sont engagées volontairement pour combattre l’ennemi nazi. Ces femmes n’ont pas la même vision de la guerre que les hommes. Comme le dit votre article « la guerre nous a été conté par des hommes » Nous n’avions pas la version des femmes alors que la guerre des femmes est belle est bien différente. Par rapport aux hommes, les femmes ne parlent pas de fais héroïque mais elles racontent la guerre comme elles l’ont vécues. C’est pour cela que « nous croyons tout savoir de la guerre » est totalement vrai, il y a pleins d’aspects de la guerre que nous ne connaissons pas. On remarque vraiment que l’auteur ne souhaite pas parler à la place des femmes, ce qu’elle veut c’est la vérité, que les femmes prennent la parole et racontent « la guerre des femmes ». Cet ouvrage révèle des témoignages émouvants, Sveltlana Alexievich raconte ces souvenirs personnels, tout en gardant une impression poignante.

Selon moi, l’auteur a voulu mettre en avant les femmes parce qu’en général elles occupent une place moins importante que les hommes dans la société. Mais est-ce que ce livre bouleversant a-t-il fait réfléchir ? Les témoignages des combattantes ont-ils changé le monde ? « Je veux écrire l’histoire de cette guerre. Une histoire féminine », ces mots amènent t-ils à parler de féminisme ? Les femmes veulent-elles montrer une égalité homme/femme en combattant comme les hommes ? Toutes ces souffrances, sacrifices que ces femmes ont vécus et racontés montrent que les femmes ont joué un rôle très important en participant à cette guerre. En tout cas ce livre, ces témoignages peuvent faire évoluer les mentalités.

Emmy Breda a dit…


Des impensées des guerres ? 1/4


Ce qui paraît évident du point de vue de la doxa, c'est cette dichotomie qui réside dans la représentation qu'on a faite de l'homme, ainsi que de la femme pendant les guerres. Comme l'affirme Svetlana Alexievitch, ne serait-ce que dans son titre : « La guerre n'a pas un visage de femme », de manière factuelle les guerres n'ont été menées et surtout contées que par les hommes. Les femmes, elles, ont rarement eut leur mot à dire ; bien qu'avec tout le recul dont nous avons dû faire preuve nous avons compris que leur rôle, justement, qui prenait tout son sens principalement dans « les coulisses » des combats, avait une place bien plus éminente qu'il n'y paraissait. Il serait d'ailleurs intéressant de débattre sur ce point particulier, notamment en partant de la mythologie et en retraçant, questionnant, le rôle de ce que je nomme ces « impensées des guerres ». Toujours est-il que les guerres ne prônent jamais un visage aux traits féminins ou un récit à la plume féminine.
À titre d'exemple et pour évoquer un passé suffisamment proche, on se souvient de l'image de la femme pendant la seconde guerre mondiale. Cette pin-up glamour et forte, voire « garçonne », comme elles ont pu être dénommées. Puisque si elles sont fortes elles sont nécessairement « garçonnes », en ce que cette caractéristique est propre au masculin, comme le décrit très bien Michel Tournier dans Le Roi des aulnes, 1970. Pour dire simplement, durant cette période spécifique, nous le savons, nous avions besoin des femmes autrement que par leur soutien moral et leur présence « maternelle » (nous reviendrons sur cette notion plus tard). Nous avions besoin d'elles de manière physique et pratique, autrement dit : sur le terrain. D'ailleurs, cette intégration les a propulsées et permises de s'émanciper de manière fulgurante et inattendue. Par exemple, les Suffragettes ont pris le contre-pied de cette sollicitation, pour manifester de plus bel pour réclamer leurs droits.
L'idée de la femme invisibilisée à la guerre, qui est restée sensiblement la même à travers les siècles, a tout de même connu un essor flagrant au cours de la dernière guerre mondiale et n'a cessé de se développer, ce même au niveau du septième art ; au sein du cinéma. Il me semble intéressant de m'attarder sur la digression suivante concernant la représentation cinématographique de la femme pendant les guerres. C'est avec l’essor du cinéma hollywoodien en commençant par les westerns, que naît cette fascination (fascination au sens de sentiment d'émerveillement et de répulsion tout à la fois) de la représentation du crime à l'écran (précisément avec les guerres). Les scénaristes dédient une place particulière, a priori réaliste, à la femme qui ne changera que très guère au fil de l'évolution de ces représentations. La femme est mise en scène comme l'épouse parfaite, fidèle à son époux qui le suit, le soutiens dans toutes épreuves et lui apporte ce refuge, cette évasion dont il a besoin. Elle s'occupe de lui, du foyer, elle est silencieuse, discrète et soumise au sens ; d'accepter de servir une certaine autorité, à savoir, celle de la guerre. Ce n'est que plus tard, avec les premiers films dits « mafieux » ou, plus généralement, les films noirs (c'est-à-dire à partir de la deuxième moitié du XXème siècle), que la femme deviendra progressivement cette égérie fatale qui s'impose en tant que personne à part entière, qui existe indépendamment de son époux. Les rôles s'inverseront parfois, elle se présentera comme potentiellement aussi redoutable que l'homme. Elle n’est plus soumise comme dans le Casino, à titre d’exemple.

Emmy Breda a dit…

Des impensées des guerres ? 2/4

Ces êtres féminins, autrefois « invisibilisées », offrent un soutien moral et logistique à leur mari, en fait : elles renoncent à une vie normale. Plus encore, au sein de ces représentations du crime (ou de la guerre) à l'écran, la femme deviendra parfois ce dénominateur commun entre les deux partis masculins en guerre. En somme, c'est au cœur même du cinéma que nous retrouvons au mieux cette représentation fidèle à la réalité de la thématique complexe de la place et le rôle qu'occupe la femme pendant les guerres. Les concepts et notions des « gender studies » ont leur intérêt pour mieux considérer ce genre du western que la critique a longtemps perçu comme un univers d’hommes. De surcroît, les jeunes filles, pures mais effrontées, sages mais fortes, sont essentielles au western. Or, si l’on se place dans la perspective de l’anthropologie culturelle pour envisager les femmes dans les guerres, on peut établir, assez aisément, une dichotomie signifiante : d’un côté la fiancée ou l’épouse qui représente l’établissement sur une terre, promettant la fondation d’une famille. De l’autre, l’entraîneuse qui figure l’assurance de l’aventure, au double sens du terme, toujours disposée à rejoindre « l’adventurer » ou le « badman ». Il est même des productions où la femme joue le rôle central comme dans The Quick and the Dead. Or, précisément, le héros est régulièrement appelé à choisir entre ces deux figures de femmes, d’amours, de modes de vie : deux façons de conquérir. Les figures féminines des films de guerres, de ce point de vue, ne seraient ni plus ni moins que des allégories de la Nation, attachées qu’elles sont, d’une part, au territoire et à l’enracinement et, de l’autre, à la Frontière et à la conquête. Elles ne sont pas seulement « la garantie formelle de l’ordre masculin », mais elles assurent un lien, idéologique, entre le passé, le présent et l’avenir. Néanmoins, justement, au contraire de l’homme, la femme ne représente pas l’ennemi et, même, elle humanise ce dernier qui, lui aussi, a femme(s) et enfants. Ces propos nous amènent à une conclusion intermédiaire mais pas des moindres : le monde de l’art tout entier, et pas seulement celui de la littérature, a invisibilisé la femme et son rôle lorsqu’il s’agissait de la représenter.
Pour autant, c'est vers cet être (invisibilisé, impensé, inentendu), qui exerce au mieux son rôle dans les « coulisses des combats », que les hommes se retournent inlassablement pour solliciter son aide ; pourquoi ? Les théories de Joan Tronto peuvent nous aider à dégager une réponse. Joan Tronto est une politologue, professeure de sciences politiques et féministe américaine. Elle soutient sa propre version de l'éthique du « care »: « Une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre « monde » de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités (selves) et notre environnement, que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie. ». Le « care » ou, les « savoir-faire discrets » s'incarnent dans une posture psychologique souvent perçue par les bénéficiaires en termes de gentillesse, de douceur, d'empathie, qualités associées à la féminité ou au maternel. D'ailleurs, Tronto affirme qu'historiquement, les tâches liées à cette thématique du care (c'est-à-dire du soin) ont été dévolues aux femmes. Elle oppose, à ce titre, ce qu'elle nomme « la morale du soin », dédiée aux femmes et « la morale de la justice » dédiée aux hommes. En fait, la question était de savoir pour quelle(s) raison(s) les hommes (dans le contexte des guerres précisément) avait cette tendance à toujours solliciter les services de la femme.

Emmy Breda a dit…

Des impensées des guerres ? 3/4

C'est justement là où la thématique du « care » entre en jeu ; si l'on prend en compte les analyses de Joan Tronto (ou de Carol Gilligan), la réponse semble formelle : c'est parce que les femmes sont ces êtres qui, de manière innée, ont cette capacité à prendre soin des autres comme le suggère la maternité. Elles seraient cette figure maternelle qui protège, prend soin, dédie son amour et son attention tout en restant effacée dans le coin d'une pièce ou silencieuse dans les débats familiaux. Elles sont impensées, invisibilisées, « inentendues » mais, et surtout, irremplaçables en ce qu'elles sont les seules figures qui puissent incarner ce « care maternel », chose dont tout homme réclame les bienfaits.
En fait, pour revenir au cœur du sujet, pour pouvoir écouter, lire, écrire sur ces guerres que nous ne connaissons pas encore, aux visages féminins et à la voix féminine, il faudrait a priori abolir toute cette idéologie de la femme invisibilisée à la guerre et prendre en compte son influence : voilà où je veux mener mon propos. Il est nécessaire de préciser, par la même occasion, qu'il ne s'agit pas là de créer un débat féministe prouvant quoi que ce soit d'autre que la théorie simple qui est la suivante : les témoignages féminins sont aussi essentiels que les récits historiques, épiques et factuels aux voix masculines. Pour cause, il y a, comme le démontrait Blaise Pascal dans ses Pensées, ces vérités du cœur qu'il mettait au même niveau hiérarchique des vérités scientifiques. Là le principe est, selon moi, sensiblement le même : la délivrance des vérités des femmes ayant vécu les guerres est primordiale à la compréhension totale de l'Histoire, au même titre que les vérités factuelles et historiques des hommes. C’est par ailleurs, une théorie que défend aussi Jacques Bouveresse dans La connaissance de l’écrivain, Sur la littérature, la vérité et la vie. Pour ce faire, il faudrait partir du principe qu'il existe deux grands types de récits relatant des guerres : les récits masculins (factuels ou historiques) et les récits féminins (sensibles). Les premiers évoqueraient des vérités historiques et/ou scientifiques (pour adapter la thèse de Blaise Pascal) ; les seconds, a contrario, énonceraient des vérités du cœur. Le « sensible », dans ce contexte et comme le décrit parfaitement Svetlana Alexievitch dans cet extrait par exemple : « La guerre « féminine » possède ses propres couleurs, ses propres odeurs, son propre éclairage et son propre espace de sentiments. », est ce qui est susceptible d'être perçu par les sens, ou, plus largement, l'ensemble des impressions et des représentations. N’est-ce pas là tout le problème que de pas trouver ces éléments primordiaux dans les récits de type historiques ? D’emblée s’impose un problème absolument éminent et incontournable ; comment, en tant qu'être sensible et donc doué de sens, pouvons-nous comprendre ce qu'a été la guerre si on ne nous informe d'aucun sentiment, émoi, impressions, enfin, d'aucune « vérités du cœur » ? C'est exactement ce en quoi la littérature se distingue de l'histoire. Pour pousser l'analyse littéraire, on pourrait dire que dans ce cas précis, la femme, serait la personnification de la littérature ; à l'inverse, l'homme celle de l'histoire. La femme, serait justement celle qui pourrait délivrer cette vérité sensible, aussi appréciable que cette vérité historique (déléguée par les hommes). Mieux encore, elles formeraient à elles deux, un tout complémentaire et juste dans la réalité du passé et dans la constitution de l'Histoire. Selon Svetlana Alexievitch, ces impensées, invisibilisées, inentendus des guerres, sont dotées d'une vérité autre que celle des hommes et c'est ce en quoi il semble véritablement fondamental d'en retracer les témoignages.

Emmy Breda a dit…

Des impensées des guerres ? 4/4

A fortiori, les femmes, aux yeux de Svetlana Alexievitch s'apparentent être les seules détentrices de ces vérités sensibles de la guerre, en ce qu'elles sont ces êtres sensibles qui ne regardent pas la guerre mais qui la voit. Contrairement à l'homme elle aurait un regard différent sur la guerre, elle serait habitée par une sorte de compassion exacerbée. Je rejoins cette idée en ajoutant la thèse suivante qui part de la définition de la « compassion » au sens « kunderadesque » du terme, qui est de « ressentir avec ». Pour citer Kundera dans L'insoutenable légèreté de l'être : « Dans les langues qui forment le mot compassion non pas avec la racine « passio – souffrance » mais avec le substantif « sentiment », le mot est employé à peu près dans le même sens, mais on peut difficilement dire qu'il désigne un sentiment mauvais ou médiocre. La force secrète de son étymologie baigne le mot d'une autre lumière et lui donne un sens plus large : avoir de la compassion (co-sentiment), c'est pouvoir vivre avec l'autre son malheur mais aussi sentir avec lui n'importe quel autre sentiment : la joie, l'angoisse, le bonheur, la douleur. Cette compassion-là (au sens de soucit, wspolczucie, Mitgefühl, medkänsla) désigne donc la plus haute capacité d'imagination affective, l'art de la télépathie des émotions. Dans la hiérarchie des sentiments, c'est le sentiment suprême. » Plus loin il ajoutera : « Il n'est rien de plus lourd que la compassion. Même notre propre douleur n'est pas aussi lourde que la douleur coressentie avec un autre, pour un autre, à la place d'un autre, multipliée par l'imagination, prolongée dans des centaines d'échos. ». On remarque très nettement cette idée de compassion chez la femme comme l'a décrite Sveltana Alexievitch : « La guerre « féminine » » possède ses propres couleurs, ses propres odeurs, son propre éclairage et son propre espace de sentiments. Ses propres mots enfin. On n'y trouve ni héros ni exploits incroyables, mais simplement des individus absorbés par une inhumaine besogne humaine. Et ils (les humains !) n'y sont pas seuls à en souffrir : souffrent avec eux la terre, les oiseaux, les arbres. La nature entière. Laquelle souffre sans dire mot, ce qui est encore plus terrible… ». Les récits des femmes, dit-elle, sont « d'une autre nature » que ceux des hommes ; ici encore nous retrouvons cette dualité entre la littérature (analogiquement associée au récit sensible des femmes) et l'histoire (analogiquement associée au récit factuel des hommes). Il y a des souvenirs, des vérités du cœur, qui ne demandent pas la permission à la mémoire, on les porte en soi comme un parfum qui nous colle à la peau, tant les notes de cœur et de fonds ont enivrés l'âme, d'une empreinte olfactive à jamais et qui, quand ces femmes font part de ces « vérités du cœur » : « elles évoquent devant vous une guerre […] à vous faire défaillir le cœur. ». En ce sens, se dessine alors une conception sensuelle des lectures des témoignages de guerres, doctrine selon laquelle toutes connaissances proviendraient des sens. En effet, si un récit historique ne fait qu’énoncer les faits d'une guerre, alors il ne pourra rien nous apprendre de plus que certaines dates, sans valeur ni même connaissance réelle de ce à quoi elle rapporte. Néanmoins, et c'est là tout l'enjeu de retranscrire ces témoignages féminins et sensibles ; si un récit littéraire peut narrer ces mêmes faits historiques d'une façon plus perceptible, alors il pourra nous éduquer.

Emmy Breda a dit…

Des impensées des guerres ? 5/4 dernière partie.

C’est ainsi que j’amène une nouvelle notion, tout en revenant sur cette thèse du « care maternel » qui intègre une figure primordiale qui est celle de la nourrice. Depuis l'Antiquité et en partant de l'étymologie du nom : issu du latin, nutrix, nutricis, il désigne la femme ou la mère qui allaite l’enfant. Pourtant, la nourrice développera son rôle et deviendra, en plus, celle qui conte les histoires aux enfants. Attardons-nous sur cette dernière tâche. C'est grâce aux nourrices que ce sont perpétués certains contes traditionnels, elle est porteuse de la mémoire nationale. Pensons aux frères Grimm qui ont œuvrés tant bien que mal pour rassembler les contes traditionnels dans le but de constituer une certaine littérature nationale de leur pays. C'est au cours de cette longue quête, en passant de maisons en maisons, qu'ils se sont rendu compte de ce phénomène de transmission des contes traditionnels par le biais des nourrices qui content les histoires aux enfants, leur transmette des idéologies, enfin : les éduquent. Bref, ce que nous pouvons souligner ici, c'est l’étroit lien qui se forge entre l'idée du « care maternel » à celui du rôle de la nourrice. Il y a en réalité, un véritable enjeu d'écrire, de lire et de conter des récits/témoignages féminins. Afin qu’à travers le rôle de la nourrice, ces témoignages soient d’une part relayés au moyen des contes (ou de la littérature plus généralement), et d’autre part pour qu’ils soient formateurs. De cette façon, ces témoignages féminins auraient pour nature, comme pour les contes, d’éduquer les enfants sur l'histoire de leur nation. En outre, éduquer les enfants c’est forger un futur. Reste que ces récits, qu'ils soient contés aux enfants ou simplement diffusés, participeraient grandement à l'éducation de l'Homme en ce qu'ils viendraient ébranler son âme comme jamais les récits masculins ne le feront. Voilà où toute l’ambition de Svetlana Alexievitch prend son sens : « Je n'écris pas l'histoire des faits mais celle des âmes ».

Anonyme a dit…

« Je n’écris pas l’histoire des faits mais celle des ames », que veut bien vouloir dire Svetlana ALexievitch, par cela ? Voudrait- elle dire qu’elle n’écrit pas l’histoire en un sens véridique, c’est-à-dire une suite d’evenements qui s’enchaine tout au long de l’histoire, mais qu’elle écrit plutôt l’histoire d’un point de vue affectif, l’évolution de l’ame, des vertus, de l’éthique tout au long de l’histoire ?
Son point de vue est intéréssant puisqu’il est coutume de dire que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, mais elle nous dit que ce sont surtout des hommes, que l’histoire est écrite, décrite et raconter selon un point de vue uniquement masculin, et un ressentis de l’histoire qui est sur certains points peut etre uniquement propre à l’homme, meme si certains ressentis doivent rejoindre le ressentit que peut avoir une femme, les ressentit ne sont pas au final, totalement homogène entre un homme et une femme. Les femmes n’ont pas eu leurs mots à dire sur l’histoire selon Svetlana Alexievitch. Cependant le problème est que tout comme les hommes, les femmes étudient la meme histoire que les hommes, bien qu’elles aient été évincé de son écriture.
Une distinction perdure entre la guerre des hommes et la guerre des femmes, dumoins leurs points de vues n’est pas unifier dans le ressentit des Hommes. Et nous sommes tellement coutumier du fait que nous n’y faisont plus attention et continuons naturellement de voir l’histoire de la meme facon, par habitude et car c’est sous cette forme qu’on nous l’a enseigné. Cependant pour écrire une histoire féminine il faudrais reconsidérer différents codes, ce qui bien sur est envisageable de nos jours, mais nous pouvons nous poser la question ; cela est-il pratiquable ? puisque l’histoire par définition traite du passé, or faut-il réécrire l’histoire d’un point de vue féministe, ou fusionner le point de vus homme et le point de vus femme en 1 seul. Pourrait- on alors réécrire l’histoire de manière féministe ou cela n’est-il applicable que dans le présent, c’est-à-dire l’histoire qui s’écrit actuellement et qui sera écrite plus tard !?
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