On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal
mardi 30 septembre 2008
Court entretien sur la torture
Le petit entretien que j'ai eu hier soir avec Eric Lange, animateur de l'émission, "Allô la planète", sur France Inter, sur la justification de la torture au sein des démocraties libérales :
www.radiofrance.fr
Psychologie du vote, suite
Pour revenir, un instant, sur un précédent billet et rebondir sur une remarque que m'a faite mon ami le philosophe Jacques Dewitte.
Pas plus que tout autre science, la neurobiologie ne nous fait connaître de vérités "absolues". Du moins, en l'occurrence, nous permet-elle de mieux comprendre et d'apporter un élément d'explication à un phénomène que nous expérimentons quotidiennement : une certaine obstination de l'esprit - au sens où l'on parle d'un esprit "fermé" - qui rend incapable de s'ouvrir à la réflexion critique et à la possibilité de revenir sur ses opinions. C'est d'abord de cela que le travail philosophique s'efforce de nous délivrer, réclamant de nous cette constante "disposition sceptique" qui était le propre de Socrate et qui constitue son legs le plus précieux : l'ouverture à la réfutation, à la critique, au doute sur ses propres idées, au débat - serait-il purement intérieur, s'exerçant dans un face-à-face avec soi, ce "double en un" qui caractèrise, selon Hannah Arendt, l'exercice de la pensée - où l'argument rationnel doit l'emporter sur l'opinion ou la croyance. C'est précisément cette capacité de "prendre ses distances" avec soi, d'écouter les arguments des autres, et d'entrer dans leur jeu si l'on peut dire, ou encore d'être à soi-même son propre objecteur, que le sentiment, dans son immédiateté et son caractère envahissant, refuse et interdit.
Pas plus que tout autre science, la neurobiologie ne nous fait connaître de vérités "absolues". Du moins, en l'occurrence, nous permet-elle de mieux comprendre et d'apporter un élément d'explication à un phénomène que nous expérimentons quotidiennement : une certaine obstination de l'esprit - au sens où l'on parle d'un esprit "fermé" - qui rend incapable de s'ouvrir à la réflexion critique et à la possibilité de revenir sur ses opinions. C'est d'abord de cela que le travail philosophique s'efforce de nous délivrer, réclamant de nous cette constante "disposition sceptique" qui était le propre de Socrate et qui constitue son legs le plus précieux : l'ouverture à la réfutation, à la critique, au doute sur ses propres idées, au débat - serait-il purement intérieur, s'exerçant dans un face-à-face avec soi, ce "double en un" qui caractèrise, selon Hannah Arendt, l'exercice de la pensée - où l'argument rationnel doit l'emporter sur l'opinion ou la croyance. C'est précisément cette capacité de "prendre ses distances" avec soi, d'écouter les arguments des autres, et d'entrer dans leur jeu si l'on peut dire, ou encore d'être à soi-même son propre objecteur, que le sentiment, dans son immédiateté et son caractère envahissant, refuse et interdit.
lundi 29 septembre 2008
Non assistance à personne en danger
On voudrait croire que plus grand est le nombre de personnes qui assistent à un accident, plus certaine est l'assurance que l'une d'entre elles, au moins, interviendra pour secourir le blessé. Faux ! On sait, par de nombreuses expériences faites en psychologie sociale, que c'est exactement le contraire. Ce à quoi on assiste en pareils cas, c'est à une diffusion de la responsabilité qui fait que chacun reporte sur les autres la charge de la responsabilité. En voici un exemple saisissant qui illustre les analyses que j'ai présentées dans Un si fragile vernis d'humanité (chap. 7 : "Psychologie de la passivité humaine")et qui portent sur un autre cas tragique : le meurtre en 1964 de Kitty Genovese qui se déroula sous les yeux des habitants de son immeuble. Il fallut plus d'une demi-heure pour que l'un des 38 témoins appelle la police, laquelle, serait-elle arrivée plus tôt, aurait pu sauver la jeune fille. Ici, le chauffard ne s'arrête pas, les véhicules continuent de circuler normalement, les passants passent leur chemin comme si de rien n'était, le scooter contourne le vieil homme de 78 ans, Angel Toores, qui a été renversé. L'affaire se passe le 30 mai 2008 aux Etats-Unis, mais ça aurait pu être ici en France.
Petite leçon pratique à en tirer : si l'on est victime d'une agression, il ne faut pas s'adresser à l'ensemble des gens présents, mais à une personne en particulier. Il y aura davantage de chance qu'elle ne puisse se défausser sur les autres.
Petite leçon pratique à en tirer : si l'on est victime d'une agression, il ne faut pas s'adresser à l'ensemble des gens présents, mais à une personne en particulier. Il y aura davantage de chance qu'elle ne puisse se défausser sur les autres.
Dieu fit les lois du marché et Il vit qu'elles étaient bonnes
Le plan présenté par Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, a été rejeté hier après-midi par la Chambre des Représentants, plongeant la bourse américaine dans une chute historique. De tous cotés fusent des critiques contre ce plan qui déplaît à beaucoup de monde, partie pour des raisons techniques - il serait inefficace et aisément contournable - partie pour des raisons de principe. Le journal Le Monde, dans son édition de ce jour, rapporte les propos de Mike Pence, réprésentant républicain de l'Indiana : "La liberté économique recouvre la liberté de réussir et la liberté d'échouer. Donner au gouvernement fédéral la possibilité de nationaliser pratiquement tous les emprunts suspend cette vérité fondamentale de notre économie". Mais cette "vérité fondamentale", qui est au coeur du credo néo-libéral, faut-il s'y tenir coûte que coûte ? C'est au nom du principe de responsabilité que le secrétaire au Trésor et le président de la FED, quelle que soit la qualité de leur tentative désespérée, jugent nécessaire de déroger au principe sacro-saint de l'autocicatrisation du marché et de la non-intervention de l'Etat. Fort bien ! Mais tous ne l'entendent pas de cette oreille. Ainsi notre représentant, ajoute-t-il en bon croyant : "Si vous êtes venus ici parce que vous croyez [eh oui, il s'agit bien d'une croyance !] au gouvernement limité et au libre marché, votez en accord avec vos convictions. Le devoir est le nôtre ; les résultats appartiennent à Dieu". Formidable ! Notre homme aurait pu citer Weber qui définit, en ces termes, la fameuse distinction entre l'éthique de la conviction et l'éthique de la responsabilité. Il existe "une distinction abyssale entre l'attitude de celui qui agit selon les maximes de l'éthique de la conviction - dans un langage religieux nous dirions : "le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat, il s'en remet à Dieu" et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de la responsabilité qui dit : "Nous devons repondre des conséquences prévisibles de nos actes" (Le savant et le politique, La Découverte, 2003, p. 172, souligné par moi).
Il est heureux qu'il se trouve, dans les présentes circonstances, des hommes de conviction et de foi pour garder la tête froide, et nous rappeler au devoir de rester fidèles à cette vérité dogmatique que c'est Dieu qui a institué les lois du marché auto régulé. Vous n'aviez pas trouvé cela dans les Ecritures ? C'est que vous ignorez que la Révélation se poursuit de jour en jour. Autrement dit : n'ayez pas peur, soyez fidèles, ne soyez pas responsables, la Providence veille ! Je ne sais pas ce que l'auteur de la formule penserait de cette interprétation...
Il est heureux qu'il se trouve, dans les présentes circonstances, des hommes de conviction et de foi pour garder la tête froide, et nous rappeler au devoir de rester fidèles à cette vérité dogmatique que c'est Dieu qui a institué les lois du marché auto régulé. Vous n'aviez pas trouvé cela dans les Ecritures ? C'est que vous ignorez que la Révélation se poursuit de jour en jour. Autrement dit : n'ayez pas peur, soyez fidèles, ne soyez pas responsables, la Providence veille ! Je ne sais pas ce que l'auteur de la formule penserait de cette interprétation...
samedi 27 septembre 2008
La psychologie du vote
Au lendemain du débat entre John McCain et Barak Obama, les électeurs qui appartiennent à un parti et qui ont des convictions partisanes bien ancrées, vont-ils changer leur intention de vote ? A en croire, les réactions des "panels" de citoyens appartenant aux deux camps, réunis par CNN, la réponse est non.
Dans un article, publié récemment sur le site "salon.com", le neurobiologiste Robert Burton revient sur les raisons de la confiance excessive que les individus placent dans leurs propres opinions, nonobstant le fait qu'elles peuvent être contredites par des faits irréfutables et des arguments convaincants.
Les sentiments de conviction, de certitude,et autres états semblables où "nous savons ce que nous savons", explique-t-il, peuvent être éprouvés comme des conclusions logiques, mais sont en fait des sensations mentales involontaires qui fonctionnent indépendamment de la raison."
Les sentiments de certitude et de conviction absolue ne sont pas liés à l'exactitude ou à la qualité de la pensée, et ils ne résultent pas de délibérations rationnelles : ce sont des "sensations mentales involontaires" générées par le cerveau. A l'instar d'autres puissants états mentaux, tels l'amour, la colère ou la peur, ils sont formidablement réfractaires à tout argument rationnel.
Où l'on voit les limites de ce genre d'exercice, propre aux campagnes électorales - en l'occurence, il fut, me semble-t-il, assez décevant. La démocratie prise la délibération, la discussion et le débat - Hannah Arendt, avec d'autres, en a fait la théorie - mais à quoi bon si nos opinions sont déjà arrêtées ? Le débat, aussi sérieux et honnête soit-il, ne serait donc utile et profitable que pour les indécis qui ne savent pas encore à quoi s'en tenir.
www.salon.com
Dans un article, publié récemment sur le site "salon.com", le neurobiologiste Robert Burton revient sur les raisons de la confiance excessive que les individus placent dans leurs propres opinions, nonobstant le fait qu'elles peuvent être contredites par des faits irréfutables et des arguments convaincants.
Les sentiments de conviction, de certitude,et autres états semblables où "nous savons ce que nous savons", explique-t-il, peuvent être éprouvés comme des conclusions logiques, mais sont en fait des sensations mentales involontaires qui fonctionnent indépendamment de la raison."
Les sentiments de certitude et de conviction absolue ne sont pas liés à l'exactitude ou à la qualité de la pensée, et ils ne résultent pas de délibérations rationnelles : ce sont des "sensations mentales involontaires" générées par le cerveau. A l'instar d'autres puissants états mentaux, tels l'amour, la colère ou la peur, ils sont formidablement réfractaires à tout argument rationnel.
Où l'on voit les limites de ce genre d'exercice, propre aux campagnes électorales - en l'occurence, il fut, me semble-t-il, assez décevant. La démocratie prise la délibération, la discussion et le débat - Hannah Arendt, avec d'autres, en a fait la théorie - mais à quoi bon si nos opinions sont déjà arrêtées ? Le débat, aussi sérieux et honnête soit-il, ne serait donc utile et profitable que pour les indécis qui ne savent pas encore à quoi s'en tenir.
jeudi 25 septembre 2008
Les Complaisantes, Jonathan Littel et l'écriture du mal
L'ouvrage critique des Bienveillantes de Jonathan Littel que j'ai coécrit en 2007 avec l'historien Edouard Husson, un des meilleurs spécialistes français du nazisme, et qui était épuisé, sort ces jours-ci dans une nouvelle édition corrigée.
Voici le bref argumentaire de la quatrième de converture :
"Le succès tout à fait hors norme des Bienveillantes de Jonathan Littell constitue un véritable phénomène de société. Deux prix et des éloges innombrables ont été décernés à une œuvre littérairement médiocre et historiquement datée, dont le seul ressort est le voyeurisme permanent. Ce qui fait des Bienveillantes un roman insoutenable, c'est qu'il propose une esthétisation de la violence nazie qui s'inscrit, de Sade à Jünger, dans une longue filiation intellectuelle et littéraire. Il exclut de l'humanité les victimes de la barbarie, en livrant leur cadavre en pâture au regard des lecteurs, sans rien nous faire comprendre des facteurs qui ont conduit les bourreaux SS à participer à l'extermination de six millions de Juifs européens. Un philosophe et un historien unissent leurs voix pour dénoncer énergiquement les complaisances qui ont permis le succès de ce livre. Ils incitent, par la même occasion, à lire ou relire d'autres œuvres littéraires, documents ou récits d'une importance majeure, qui apportent un tout autre regard sur l'écriture du mal."
Voici le bref argumentaire de la quatrième de converture :
"Le succès tout à fait hors norme des Bienveillantes de Jonathan Littell constitue un véritable phénomène de société. Deux prix et des éloges innombrables ont été décernés à une œuvre littérairement médiocre et historiquement datée, dont le seul ressort est le voyeurisme permanent. Ce qui fait des Bienveillantes un roman insoutenable, c'est qu'il propose une esthétisation de la violence nazie qui s'inscrit, de Sade à Jünger, dans une longue filiation intellectuelle et littéraire. Il exclut de l'humanité les victimes de la barbarie, en livrant leur cadavre en pâture au regard des lecteurs, sans rien nous faire comprendre des facteurs qui ont conduit les bourreaux SS à participer à l'extermination de six millions de Juifs européens. Un philosophe et un historien unissent leurs voix pour dénoncer énergiquement les complaisances qui ont permis le succès de ce livre. Ils incitent, par la même occasion, à lire ou relire d'autres œuvres littéraires, documents ou récits d'une importance majeure, qui apportent un tout autre regard sur l'écriture du mal."
mercredi 24 septembre 2008
Devoir de mémoire : entre l'oubli nécessaire et l'oubli pervers.
L'émission "Du grain à moudre" de Brice Couturier et Julie Clarini abordait hier soir (24 septembre), sur France culture, un sujet difficile et passionnant : "Les guerres de mémoire sont-elles des guerres sans fin ?". Laurence de Cock, professeur agrégé d'histoire, expliqua combien l'assurance qu'il existe une "vertu thérapeutique" de l'enseignement de l'histoire est bien moins certaine qu'on le prétend habituellement. L'effet immédiat de l'enseignement de la Shoah ou du fait colonial par exemple serait d'armer les élèves contre le racisme, l'intolérance, etc. mais c'est là une pétition de principe que l'expérience ne vérifie pas. A quoi s'ajoute le fait, plus grave, que c'est là aussi parfois une manière de susciter un sentiment identitaire, fait de ressentiment, de frustration, de "victimisation", que les jeunes, descendant de populations anciennement colonisées - par exemple en Algérie - n'éprouvaient pas jusqu'à alors. L'effet pervers de l'enseignement est alors de nourrir, non seulement la détestable concurrence des mémoires, mais le communautarisme dans ce qu'il a de plus négatif : l'élève s'identifiera, comme une sorte de victime au second ou a troisième degré, à un passé qui n'est pas le sien mais qui constituera ses droits à rejeter la société - par exemple la société française - à laquelle il appartient et à nourrir une idéologie de la haine et de la vengeance. J'extrapole les propos tenus, mais tel est bien l'effet pervers que souligne, à son tour, l'historien, spécialiste de la guerre d'Algérie, Benjamin Stora.
L'enseignement de la "vérité" historique, comme une vérité neutre ou toujours moralement bienfaisante - le fameux : savoir pour éviter que "ça se reproduise" - laisse de côté les bienfaits également de l'oubli. Encore qu'il convienne de faire une différence essentielle entre les "oublis nécessaires" et les "oublis pervers". Ce ne sont pas seulement les Etats qui dissimulent et falsifient l'histoire, ce sont aussi les sociétés qui sont animées par un "travail de l'oubli", lequel n'a lui rien de négatif en soi, leur évitant de s'enfermer dans ce que Stora appelle une "rumination" permanente du passé et un "ghetto mémoriel". L'oubli est "nécessaire" ou du moins bienfaisant lorsqu'il permet à une société de "pouvoir vivre" et d'avancer vers l'avenir ; il est pervers lorsque porté par les Etats, il vise à construire des récits de type "négationniste". Mais selon Benjamin Stora, qui vient d'écrire un livre sur le sujet, entre les deux, il y a une sorte de va et vient fort complexe. De plus, comment nier qu'il existe une responsabilité, éthique et politique, de l'historien qui le confronte à une question fort délicate : celui-ci peut-il tout "dévoiler" de ce qu'il trouve dans les archives, au risque d'éveiller de nouvelles blessures et de porter atteinte à la cohésion nationale ? A contre-courant des idées reçues, il souligne combien le principe de l'ouverture radicale des archives, au nom de l'exigence de vérité scientifique, doit, pour l'historien conscient des conséquences possibles de ses travaux, être manié avec précaution. Pour recevoir certaines vérités, les sociétés doivent y être préparées, au risque sinon de susciter un esprit de vengeance perpétuelle, d'introduire des violences nouvelles et non d'apaiser les coeurs et les esprits.
Le problème ici abordé est à la fois complexe et fondamental et il porte sur la question plus générale de l'éthique propre à la recherche scientifique.Le savant - qu'il soit historien, physicien ou biologiste - peut-il rester indifférent face aux conséquences et aux applications possibles de ses découvertes ? Jacques Testart a écrit un livre lucide et important sur ce sujet, L'oeuf transparent (Champs, Flammarion, 199ç) où il soutient le principe paradoxal, en certains cas, d'une éthique de la "non recherche" et de la "non découverte".
L'émission peut être réécoutée à l'adresse suivante :
www.radiofrance.fr
L'enseignement de la "vérité" historique, comme une vérité neutre ou toujours moralement bienfaisante - le fameux : savoir pour éviter que "ça se reproduise" - laisse de côté les bienfaits également de l'oubli. Encore qu'il convienne de faire une différence essentielle entre les "oublis nécessaires" et les "oublis pervers". Ce ne sont pas seulement les Etats qui dissimulent et falsifient l'histoire, ce sont aussi les sociétés qui sont animées par un "travail de l'oubli", lequel n'a lui rien de négatif en soi, leur évitant de s'enfermer dans ce que Stora appelle une "rumination" permanente du passé et un "ghetto mémoriel". L'oubli est "nécessaire" ou du moins bienfaisant lorsqu'il permet à une société de "pouvoir vivre" et d'avancer vers l'avenir ; il est pervers lorsque porté par les Etats, il vise à construire des récits de type "négationniste". Mais selon Benjamin Stora, qui vient d'écrire un livre sur le sujet, entre les deux, il y a une sorte de va et vient fort complexe. De plus, comment nier qu'il existe une responsabilité, éthique et politique, de l'historien qui le confronte à une question fort délicate : celui-ci peut-il tout "dévoiler" de ce qu'il trouve dans les archives, au risque d'éveiller de nouvelles blessures et de porter atteinte à la cohésion nationale ? A contre-courant des idées reçues, il souligne combien le principe de l'ouverture radicale des archives, au nom de l'exigence de vérité scientifique, doit, pour l'historien conscient des conséquences possibles de ses travaux, être manié avec précaution. Pour recevoir certaines vérités, les sociétés doivent y être préparées, au risque sinon de susciter un esprit de vengeance perpétuelle, d'introduire des violences nouvelles et non d'apaiser les coeurs et les esprits.
Le problème ici abordé est à la fois complexe et fondamental et il porte sur la question plus générale de l'éthique propre à la recherche scientifique.Le savant - qu'il soit historien, physicien ou biologiste - peut-il rester indifférent face aux conséquences et aux applications possibles de ses découvertes ? Jacques Testart a écrit un livre lucide et important sur ce sujet, L'oeuf transparent (Champs, Flammarion, 199ç) où il soutient le principe paradoxal, en certains cas, d'une éthique de la "non recherche" et de la "non découverte".
L'émission peut être réécoutée à l'adresse suivante :
lundi 22 septembre 2008
Petit syllogisme simpliste et au-delà
Les démocrates, on le sait, sont plus à gauche de l'échiquier politique américain que les républicains. Et à gauche, c'est bien connu, on est davantage partisan de l'intervention de l'Etat dans divers domaines cruciaux de la vie sociale (santé, éducation, etc.) qu'à droite où l'on se confie aux vertus du marché auto-régulé. Conclusion en forme d'argument électoral : les présidents démocrates sont plus dépensiers et augmentent davantage la dépense publique et la dette de l'Etat, déjà considérable, que ceux de droite. Eh bien, ce préjugé courant, tiré d'un petit syllogisme simpliste, est faux. En voici la preuve graphique.
Faut dire qu'entre le coût de l'intervention en Irak et la mécanique de nationalisation larvée des banques d'affaires dont les folles dérives résultent de la politique de dérégulation tous azimuts - ce grand credo de la politique libérale des Chicago Boys, disciples de Milton Friedman - entreprise depuis les années 80, y avait de quoi faire sauter la banque, comme on dit au casino. Sauf que là les républicains n'ont pas joué gagnant, que ce sont les contribuables américains qui vont payer la note (près de deux mille dollars par ménage) et que les conséquences mondiales de la crise actuelle sont encore totalement imprévisibles et largement à venir.
On voudrait croire que les principes utopiques et abstraits de l'idéologie néo-libérale - une sorte de solution miracle à tous les problèmes économiques et sociaux et qui fut exportée dans le monde entier pour la plus grande destruction des sociétés contraintes de l'adopter, ainsi que l'explique Noami Klein (La stratégie de choc. La montée d'un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008)- aient vécu. La chose reste à prouver. On dira que la critique est "simpliste" et qu'elle est partisane, mais il faut examiner de près combien le modèle repose lui-même sur des postulats théoriques aussi abstraits que simples et combien, appliqués aux sociétés humaines avec la même brutalité innocente que l'idéologie marxiste de l'ancien temps et la même prétendue "scientificité, il montra et continue de montrer ses effets dévastateurs. Au reste, c'est toujours ce qui advient lorsqu'une idéologie, de quelque bord qu'elle soit, entreprend de faire "table rase" de la réalité et de réorganiser une société donnée sur la base de ses principes, prétendument rationnels et scientifiquement vrais.
Historiquement, la pensée libérale classique s'est élaborée comme une critique radicale de cette conception rationaliste, d'essence cartésienne, de l'organisation de la société resultant d'un plan idéal et purement théorique et qui pour s'appliquer exige et appelle de ses voeux une crise sociale totale, telle la Révolution française. Et la critique reposait à l'époque sur le constat qu'une telle conception conduit inévitablement à légitimer les plus grandes violences faites aux hommes. Il est étrange de constater que, sous sa forme contemporaine - telle qu'elle fut théorisée par des hommes comme Friedrich Hayek ou Milton Friedman - la pensée néo-libérale est tombée dans ce funeste travers que dénonçaient pourtant les pères fondateurs du libéralisme. Car, de fait, ce qu'elle demande à son tour, c'est qu'à la faveur d'une crise qui ébranle toutes les structures de la société et de l'Etat - si, à la différence des révolutionnaires marxistes, elle ne la suscitera pas, elle se réjouira comme eux de son advenue - soient implacablement mis en oeuvre les deux principes qui forment son credo et définissent sa martingale magico-rationnelle : restriction de l'Etat à ses tâches assurantielles minimales (sécurité du territoire et administration de la justice) et, pour le reste, confiance absolue dans la vertu d'auto-régulation du marché (comme libre espace d'échanges des biens et des services). Le poète anglais Carlyle avait donné un nom à cet idéal utopique : la "fabrique du diable", the satanic mill, qu'analyse et dénonce Karl Polanyi dans un livre célèbre, La grande transformation (Gallimard, 1983).
Mais je vois que je me suis laissé imprudemment entraîné bien au-delà de mon intention première de montrer ce que certains préjugés ont de faux. Comme si le sujet dont je viens de parler pouvait se résumer à ces quelques considérations générales. Allez plutôt lire ou consulter les différents numéros que la Revue du Mauss consacre à ce thème et dont les analyses sont d'une tout autre ampleur.
Faut dire qu'entre le coût de l'intervention en Irak et la mécanique de nationalisation larvée des banques d'affaires dont les folles dérives résultent de la politique de dérégulation tous azimuts - ce grand credo de la politique libérale des Chicago Boys, disciples de Milton Friedman - entreprise depuis les années 80, y avait de quoi faire sauter la banque, comme on dit au casino. Sauf que là les républicains n'ont pas joué gagnant, que ce sont les contribuables américains qui vont payer la note (près de deux mille dollars par ménage) et que les conséquences mondiales de la crise actuelle sont encore totalement imprévisibles et largement à venir.
On voudrait croire que les principes utopiques et abstraits de l'idéologie néo-libérale - une sorte de solution miracle à tous les problèmes économiques et sociaux et qui fut exportée dans le monde entier pour la plus grande destruction des sociétés contraintes de l'adopter, ainsi que l'explique Noami Klein (La stratégie de choc. La montée d'un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008)- aient vécu. La chose reste à prouver. On dira que la critique est "simpliste" et qu'elle est partisane, mais il faut examiner de près combien le modèle repose lui-même sur des postulats théoriques aussi abstraits que simples et combien, appliqués aux sociétés humaines avec la même brutalité innocente que l'idéologie marxiste de l'ancien temps et la même prétendue "scientificité, il montra et continue de montrer ses effets dévastateurs. Au reste, c'est toujours ce qui advient lorsqu'une idéologie, de quelque bord qu'elle soit, entreprend de faire "table rase" de la réalité et de réorganiser une société donnée sur la base de ses principes, prétendument rationnels et scientifiquement vrais.
Historiquement, la pensée libérale classique s'est élaborée comme une critique radicale de cette conception rationaliste, d'essence cartésienne, de l'organisation de la société resultant d'un plan idéal et purement théorique et qui pour s'appliquer exige et appelle de ses voeux une crise sociale totale, telle la Révolution française. Et la critique reposait à l'époque sur le constat qu'une telle conception conduit inévitablement à légitimer les plus grandes violences faites aux hommes. Il est étrange de constater que, sous sa forme contemporaine - telle qu'elle fut théorisée par des hommes comme Friedrich Hayek ou Milton Friedman - la pensée néo-libérale est tombée dans ce funeste travers que dénonçaient pourtant les pères fondateurs du libéralisme. Car, de fait, ce qu'elle demande à son tour, c'est qu'à la faveur d'une crise qui ébranle toutes les structures de la société et de l'Etat - si, à la différence des révolutionnaires marxistes, elle ne la suscitera pas, elle se réjouira comme eux de son advenue - soient implacablement mis en oeuvre les deux principes qui forment son credo et définissent sa martingale magico-rationnelle : restriction de l'Etat à ses tâches assurantielles minimales (sécurité du territoire et administration de la justice) et, pour le reste, confiance absolue dans la vertu d'auto-régulation du marché (comme libre espace d'échanges des biens et des services). Le poète anglais Carlyle avait donné un nom à cet idéal utopique : la "fabrique du diable", the satanic mill, qu'analyse et dénonce Karl Polanyi dans un livre célèbre, La grande transformation (Gallimard, 1983).
Mais je vois que je me suis laissé imprudemment entraîné bien au-delà de mon intention première de montrer ce que certains préjugés ont de faux. Comme si le sujet dont je viens de parler pouvait se résumer à ces quelques considérations générales. Allez plutôt lire ou consulter les différents numéros que la Revue du Mauss consacre à ce thème et dont les analyses sont d'une tout autre ampleur.
samedi 20 septembre 2008
Bach par Peter Ustinov
Puisque c'est dimanche, je me suis dit : pourquoi pas une de ces magnifiques cantates de Bach ? Et puis je suis tombé, par hasard, sur cette parodie, franchement hilarante, de Peter Ustinov, qui était un conteur et un acteur de génie. Où l'on voit qu'il avait une parfaite connaissance de la tonalité, reconnaissable entre toutes, des arias et récitatifs des Messes de Bach et que sa maîtrise de l'allemand et du français, entre autres langues, était impeccable. Quelle différence avec la vulgarité de certains de nos comiques, l'un en particulier que je ne nommerai pas, serait-il ami du président de la République et compagnon de voyage au Vatican...
Je ne résiste pas au plaisir de la mettre ici en ligne, histoire de ne pas céder à "l'esprit de sérieux". Mais il n'est pas interdit de cliquer ensuite sur la dernière icône en bas à droite (portrait de Bach) et d'écouter la sublime aria "Ich habe genug", tirée de la Passion selon saint Matthieu (quoique ce ne soit pas cette interprétation que l'on puisse recommander, le chant - la lamentation du Christ avant la croix - étant pour une voix de basse et non pour une soprano). Si, décidémment, vous n'avez pas assez ri, reste deux autres sketches en anglais, également irrésistibles, "Queen Mary" et "African Customs"...
Je ne résiste pas au plaisir de la mettre ici en ligne, histoire de ne pas céder à "l'esprit de sérieux". Mais il n'est pas interdit de cliquer ensuite sur la dernière icône en bas à droite (portrait de Bach) et d'écouter la sublime aria "Ich habe genug", tirée de la Passion selon saint Matthieu (quoique ce ne soit pas cette interprétation que l'on puisse recommander, le chant - la lamentation du Christ avant la croix - étant pour une voix de basse et non pour une soprano). Si, décidémment, vous n'avez pas assez ri, reste deux autres sketches en anglais, également irrésistibles, "Queen Mary" et "African Customs"...
vendredi 19 septembre 2008
Edvige, suite mais pas fin
Le président de la République a ordonné que soient retirées certaines des dispositions les plus contestées et contestables du Fichier Edvige, mais pas toutes : les mineurs de plus de treize pourront toujours être fichés. Fort bien ! Mais les dispositions nouvelles seront toujours prises par décret et non par une loi. Il est impératif pourtant qu'un sujet aussi important et "sensible" comme ont dit, fasse l'objet d'un débat public devant la réprésentation nationale et que soient discutées ouvertement quelles mesures, relatives au renseignement, sont nécessaires à la garantie de la sécurité des citoyens et quelles autres constitueraient des atteintes aux libertés publiques fondamentales à ne pas accepter. Beaucoup le demandent aujourd'hui et ils ont raison.
On se réjouit, bien sûr, qu'en cette affaire la société civile - associations, syndicats, partis politiques, citoyens ordinaires - se soit mobilisée et ait poussé les autorités de l'Etat à revenir sur ses décisions initiales. C'est là un bel exemple de vitalité démocratique qui eût été inconcevable dans tout autre type de régime. Mais le fond n'est que couvert, il n'est pas ôté, pour parler comme Pascal. Reste, en arrière-plan, la philosophie ou plutôt l'idéologie sécuritaire qui anime ce décret et dont je ne vois pas qu'elle soit discutée, ni mise en cause avez assez de publicité et de transparence : le principe que le comportement d'un citoyen peut constituer une atteinte à l'ordre public, en sorte que se met insidieusement en place une exigence d'obéissance, de loyauté et de "civilité, qui n'est pas présupposée d'avance mais dont il appartient à chacun d'apporter la preuve.
Sous couvert de la nécessité d'une politique du renseignement, que justifierait la protection des citoyens contre les nouvelles menaces, en particulier, terroristes, c'est petit à petit, sans qu'on s'en rende tout à fait compte, la tonalité fondamentale de la confiance, sur laquelle nos Etats modernes se sont bâtis, qui est érodée, pour laisser place à une autre tonalité qui est celle du soupçon. La première conduisait l'Etat - et c'est un principe central de la démocratie libérale - à ne pas empiéter sur la vie privée, la seoonde justifie au contraire que cette limite soit franchie et transgressée au nom d'un contrôle de plus en plus étroit de nos actes et de nos comportements. Ajoutons au principe démocratique de confiance, celui du conflit ouvert des intérêts et des opinions qui s'expose sur la place publique et qui se résout par la négociation, serait-elle âpre et rude. Mais le renseignement obéit, par nature, à une autre logique qui, invisible, est celle de la discrétion et du secret. Quoique l'obtention d'informations puisse être régulée - en l'occurence, elle le sera fort peu - cette régulation ne se fait jamais par le contrat, le conflit ou l'accord négocié et ses procédures échappent à l'examen permanent des citoyens et de leurs représentants.
Je me demande s'il ne serait pas pertinent de voir dans cette opposition le critère d'une distinction fondamentale entre deux types de sociétés, l'une exotérique, qui, depuis Athènes, est consubstantielle à l'espace ouvert de la démocratie, l'autre, ésotérique, qui est le propre des régimes non-démocratiques où l'information et la prise de décision sont réservées aux "initiés" qui ont seuls droit d'accéder au secret et d'agir en conséquence. Il serait infiniment dangereux que, sous couvert de la sécurité, nous entrions progressivement dans cette logique "gnostique" qui est contraire à l'essence même de la relation politique et qui ébranle les principes fondateurs de notre idéal démocratique. C'est sur ce point que notre vigilance, éveillée par le fichier Edvige, doit continuer, ou commencer tout simplement, de s'exercer.
On se réjouit, bien sûr, qu'en cette affaire la société civile - associations, syndicats, partis politiques, citoyens ordinaires - se soit mobilisée et ait poussé les autorités de l'Etat à revenir sur ses décisions initiales. C'est là un bel exemple de vitalité démocratique qui eût été inconcevable dans tout autre type de régime. Mais le fond n'est que couvert, il n'est pas ôté, pour parler comme Pascal. Reste, en arrière-plan, la philosophie ou plutôt l'idéologie sécuritaire qui anime ce décret et dont je ne vois pas qu'elle soit discutée, ni mise en cause avez assez de publicité et de transparence : le principe que le comportement d'un citoyen peut constituer une atteinte à l'ordre public, en sorte que se met insidieusement en place une exigence d'obéissance, de loyauté et de "civilité, qui n'est pas présupposée d'avance mais dont il appartient à chacun d'apporter la preuve.
Sous couvert de la nécessité d'une politique du renseignement, que justifierait la protection des citoyens contre les nouvelles menaces, en particulier, terroristes, c'est petit à petit, sans qu'on s'en rende tout à fait compte, la tonalité fondamentale de la confiance, sur laquelle nos Etats modernes se sont bâtis, qui est érodée, pour laisser place à une autre tonalité qui est celle du soupçon. La première conduisait l'Etat - et c'est un principe central de la démocratie libérale - à ne pas empiéter sur la vie privée, la seoonde justifie au contraire que cette limite soit franchie et transgressée au nom d'un contrôle de plus en plus étroit de nos actes et de nos comportements. Ajoutons au principe démocratique de confiance, celui du conflit ouvert des intérêts et des opinions qui s'expose sur la place publique et qui se résout par la négociation, serait-elle âpre et rude. Mais le renseignement obéit, par nature, à une autre logique qui, invisible, est celle de la discrétion et du secret. Quoique l'obtention d'informations puisse être régulée - en l'occurence, elle le sera fort peu - cette régulation ne se fait jamais par le contrat, le conflit ou l'accord négocié et ses procédures échappent à l'examen permanent des citoyens et de leurs représentants.
Je me demande s'il ne serait pas pertinent de voir dans cette opposition le critère d'une distinction fondamentale entre deux types de sociétés, l'une exotérique, qui, depuis Athènes, est consubstantielle à l'espace ouvert de la démocratie, l'autre, ésotérique, qui est le propre des régimes non-démocratiques où l'information et la prise de décision sont réservées aux "initiés" qui ont seuls droit d'accéder au secret et d'agir en conséquence. Il serait infiniment dangereux que, sous couvert de la sécurité, nous entrions progressivement dans cette logique "gnostique" qui est contraire à l'essence même de la relation politique et qui ébranle les principes fondateurs de notre idéal démocratique. C'est sur ce point que notre vigilance, éveillée par le fichier Edvige, doit continuer, ou commencer tout simplement, de s'exercer.
jeudi 18 septembre 2008
Pour tout comprendre de la crise financière
Le site Rue89 met en ligne une petite BD qui circulait depuis des mois dans les bureaux des grandes banques de New-York. Pour tout comprendre en quelques dessins de la crise des Subprimes...
www.rue89.com
mardi 16 septembre 2008
La preuve et l'intime conviction
La Cour de cassation examine aujourd'hui mercredi le pourvoi de Maurice Agnelet, condamné par la cour d'assises des Bouches-du Rhône en 2007, vingt ans après les faits, pour l'assasinat de sa maîtresse, Agnès Le Roux (il avait été acquitté au terme d'un premier procès à Nice en 2006).
A cette occasion, je republie ici l'article que j'avais rédigé à l'époque, mais qu'aucun journal n'avait voulu prendre, et qui, au-delà de cette affaire retentissante, porte sur le problème posé par la notion d'"intime conviction".
"Un homme de soixante-dix ans bientôt, Maurice Agnelet, vient d’être condamné à 20 ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Au terme d’un procès qui aura duré près d’un mois, et dont j’ai suivi les audiences, aucune preuve matérielle de son implication, moins encore de sa culpabilité dans la disparition d’Agnès Le Roux n’a pu être apportée. Personne n’est en mesure de savoir ce qu’il est advenu de cette jeune femme de 29 ans, dont Maurice Agnelet était l’amant, ce jour de fin octobre ou début novembre 1977 où elle a quitté son domicile niçois. Crime, fuite volontaire sans retour, suicide, accident ? Il a été objectivement et matériellement impossible de savoir laquelle de ces hypothèses correspond à une réalité qui, à ce jour, reste une totale énigme. Qu’il y ait eu meurtre, cela même n’a pu être établi, puisque Agnès Le Roux n’est jamais réapparue et que son corps n’a pas été retrouvé. La question du où, quand, comment ? le crime aurait-il été commis est restée sans réponse.
Sur quoi les jurés ont-ils pu se fonder pour arriver à un tel verdict, qui contredit l’acquittement dont Maurice Agnelet avait bénéficié en première instance ? L’intime conviction. La notion n’appelle pas au sentiment et à l’appréciation subjective des juges. Elle repose sur une analyse raisonnée des éléments à charge présentés par l’accusation et le ministère public. « L’intime conviction ne signifie pas que l’on peut condamner sans preuves, mais simplement que l’on ne demande pas de compte au juge de la façon dont, à partir de preuves fournies, il est parvenu à une certitude »1.
Or, dans cette affaire, malgré le réquisitoire fleuve de l’avocat général, de preuves, il n’y en a aucune.
La question n’est pas de savoir si Maurice Agnelet est coupable ou non, s’il a dit la vérité ou s’il a menti au cours des dizaines d’années qu’a duré l’instruction, s’il est homme digne de foi ou non, si sa personnalité est sympathique ou détestable. Elle est de savoir si l’on peut légitimement accuser et condamner un homme en l’absence totale de preuves, sur la base de simples conjectures, d’interprétations inévitablement discutables d’obscurs indices et de témoignages peu fiables, surtout à trente ans de distance des faits. Pas de corps, pas d’arme, pas de scène de crime. Rien. Juste la disparition d’une jeune femme, belle, riche et dépressive, qui laisse derrière elle un immense trou noir. C’est au motif de ce défaut de connaissance de ce qui s’est réellement passé, qu’un non-lieu avait tout d’abord été prononcé en 1986, puis, de toute évidence, que Maurice Agnelet avait été acquitté en 2006, par la Cour d’assises de Nice, en première instance, après que l’affaire a été rouverte.
On peut estimer que nous avons affaire là à une des plus graves erreurs judiciaires des dernières décennies. Ou, inversement, que justice a été rendue, comme l’ont proclamé certains à l’issue du verdict. Je ne disputerai pas ce point. Qu’au regard de la vérité insondable des faits, les jurés de la cour d’assises d’Aix-en-Provence aient eu raison, cela se peut. Mais l’on ne saurait en décider que du point de vue de celui qui connaît ce qui nous est caché. Or, ce point de vue nous est à tout jamais inaccessible. La justice des hommes n’est pas le jugement de Dieu. La justice humaine n’a d’autre fondement que ce qui est su et démontré avec assez d’évidence pour autoriser légitimement la société à priver un homme de sa liberté. La sécurité des citoyens dans un Etat de droit repose sur ce principe essentiel et elle se paye du prix qu’il est, en effet, possible qu’un homme coupable échappe à la justice de ses semblables, tout simplement parce que la preuve de sa culpabilité fait défaut et que le doute doit lui bénéficier. Faute de quoi, il n’est personne qui ne puisse un jour ou l’autre se trouver mis en cause et même conduit en prison.
Dans cette affaire, le principe de l’intime conviction des jurés a révélé sa terrible fragilité. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’institution du jury populaire dans notre procédure criminelle. Mais il s’agit de défendre le droit de chacun d’entre nous à être protégé contre une justice qui n’a pas à rendre raison de ses jugements, pas même lorsqu’elle altère le sens philosophique et juridique de l’intime conviction qui n’est pas et ne saurait jamais être un substitut à l’absence de preuves.
On ne peut que se désoler du fait que cette Cour d’assises, composée de douze jurés et de trois magistrats professionnels, ne s’en soit pas tenue – comme il semble - à une interprétation stricte de ce principe. Qu’on le sache : la condamnation de Maurice Agnelet nous fait entrer désormais dans une terrifiante insécurité".
Le pourvoi formé par les avocats de Maurice Agnelet, François Saint-Pierre et Jean-Pierre Versigny-Campigny, repose sur sept «moyens» (motifs). "Selon plusieurs juristes consultés par Le Figaro, le plus solide est le troisième. La défense estime que le rejet de conclusions écrites déposées au tout début du second procès - et affirmant que le droit d'être jugé dans un «délai raisonnable» exigé par la Convention européenne des droits de l'homme était en l'espèce bafoué - pose problème. La phrase suivante de l'arrêt est pointée du doigt : «Les conditions de la disparition d'Agnès Le Roux n'ont pu être déterminées que tardivement et en raison notamment des déclarations mensongères de Maurice Agnelet et de son épouse Françoise Lausseure.» Selon la défense de l'ex-avocat, «en affirmant ainsi avant les délibérations le caractère mensonger des déclarations de l'accusé et de son épouse dans le cadre de la procédure ancienne, la cour a pris parti sur la valeur et la portée du système de défense du requérant dans le présent procès».
Le jugement de la Cour de cassation sera rendu d'ici une à deux semaines. A suivre donc
www.figaro.fr
www.20minutes.fr
A cette occasion, je republie ici l'article que j'avais rédigé à l'époque, mais qu'aucun journal n'avait voulu prendre, et qui, au-delà de cette affaire retentissante, porte sur le problème posé par la notion d'"intime conviction".
"Un homme de soixante-dix ans bientôt, Maurice Agnelet, vient d’être condamné à 20 ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Au terme d’un procès qui aura duré près d’un mois, et dont j’ai suivi les audiences, aucune preuve matérielle de son implication, moins encore de sa culpabilité dans la disparition d’Agnès Le Roux n’a pu être apportée. Personne n’est en mesure de savoir ce qu’il est advenu de cette jeune femme de 29 ans, dont Maurice Agnelet était l’amant, ce jour de fin octobre ou début novembre 1977 où elle a quitté son domicile niçois. Crime, fuite volontaire sans retour, suicide, accident ? Il a été objectivement et matériellement impossible de savoir laquelle de ces hypothèses correspond à une réalité qui, à ce jour, reste une totale énigme. Qu’il y ait eu meurtre, cela même n’a pu être établi, puisque Agnès Le Roux n’est jamais réapparue et que son corps n’a pas été retrouvé. La question du où, quand, comment ? le crime aurait-il été commis est restée sans réponse.
Sur quoi les jurés ont-ils pu se fonder pour arriver à un tel verdict, qui contredit l’acquittement dont Maurice Agnelet avait bénéficié en première instance ? L’intime conviction. La notion n’appelle pas au sentiment et à l’appréciation subjective des juges. Elle repose sur une analyse raisonnée des éléments à charge présentés par l’accusation et le ministère public. « L’intime conviction ne signifie pas que l’on peut condamner sans preuves, mais simplement que l’on ne demande pas de compte au juge de la façon dont, à partir de preuves fournies, il est parvenu à une certitude »1.
Or, dans cette affaire, malgré le réquisitoire fleuve de l’avocat général, de preuves, il n’y en a aucune.
La question n’est pas de savoir si Maurice Agnelet est coupable ou non, s’il a dit la vérité ou s’il a menti au cours des dizaines d’années qu’a duré l’instruction, s’il est homme digne de foi ou non, si sa personnalité est sympathique ou détestable. Elle est de savoir si l’on peut légitimement accuser et condamner un homme en l’absence totale de preuves, sur la base de simples conjectures, d’interprétations inévitablement discutables d’obscurs indices et de témoignages peu fiables, surtout à trente ans de distance des faits. Pas de corps, pas d’arme, pas de scène de crime. Rien. Juste la disparition d’une jeune femme, belle, riche et dépressive, qui laisse derrière elle un immense trou noir. C’est au motif de ce défaut de connaissance de ce qui s’est réellement passé, qu’un non-lieu avait tout d’abord été prononcé en 1986, puis, de toute évidence, que Maurice Agnelet avait été acquitté en 2006, par la Cour d’assises de Nice, en première instance, après que l’affaire a été rouverte.
On peut estimer que nous avons affaire là à une des plus graves erreurs judiciaires des dernières décennies. Ou, inversement, que justice a été rendue, comme l’ont proclamé certains à l’issue du verdict. Je ne disputerai pas ce point. Qu’au regard de la vérité insondable des faits, les jurés de la cour d’assises d’Aix-en-Provence aient eu raison, cela se peut. Mais l’on ne saurait en décider que du point de vue de celui qui connaît ce qui nous est caché. Or, ce point de vue nous est à tout jamais inaccessible. La justice des hommes n’est pas le jugement de Dieu. La justice humaine n’a d’autre fondement que ce qui est su et démontré avec assez d’évidence pour autoriser légitimement la société à priver un homme de sa liberté. La sécurité des citoyens dans un Etat de droit repose sur ce principe essentiel et elle se paye du prix qu’il est, en effet, possible qu’un homme coupable échappe à la justice de ses semblables, tout simplement parce que la preuve de sa culpabilité fait défaut et que le doute doit lui bénéficier. Faute de quoi, il n’est personne qui ne puisse un jour ou l’autre se trouver mis en cause et même conduit en prison.
Dans cette affaire, le principe de l’intime conviction des jurés a révélé sa terrible fragilité. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’institution du jury populaire dans notre procédure criminelle. Mais il s’agit de défendre le droit de chacun d’entre nous à être protégé contre une justice qui n’a pas à rendre raison de ses jugements, pas même lorsqu’elle altère le sens philosophique et juridique de l’intime conviction qui n’est pas et ne saurait jamais être un substitut à l’absence de preuves.
On ne peut que se désoler du fait que cette Cour d’assises, composée de douze jurés et de trois magistrats professionnels, ne s’en soit pas tenue – comme il semble - à une interprétation stricte de ce principe. Qu’on le sache : la condamnation de Maurice Agnelet nous fait entrer désormais dans une terrifiante insécurité".
Le pourvoi formé par les avocats de Maurice Agnelet, François Saint-Pierre et Jean-Pierre Versigny-Campigny, repose sur sept «moyens» (motifs). "Selon plusieurs juristes consultés par Le Figaro, le plus solide est le troisième. La défense estime que le rejet de conclusions écrites déposées au tout début du second procès - et affirmant que le droit d'être jugé dans un «délai raisonnable» exigé par la Convention européenne des droits de l'homme était en l'espèce bafoué - pose problème. La phrase suivante de l'arrêt est pointée du doigt : «Les conditions de la disparition d'Agnès Le Roux n'ont pu être déterminées que tardivement et en raison notamment des déclarations mensongères de Maurice Agnelet et de son épouse Françoise Lausseure.» Selon la défense de l'ex-avocat, «en affirmant ainsi avant les délibérations le caractère mensonger des déclarations de l'accusé et de son épouse dans le cadre de la procédure ancienne, la cour a pris parti sur la valeur et la portée du système de défense du requérant dans le présent procès».
Le jugement de la Cour de cassation sera rendu d'ici une à deux semaines. A suivre donc
samedi 13 septembre 2008
Sergiu Celidibache, Il Maestro
Sergiu Celibidache (1912-1996), n'est pas le plus connu - du moins du grand public - des musiciens contemporains, d'autant qu'il refusa toujours d'enregistrer des disques, mais c'était l'un des plus grands chefs d'orchestre de l'histoire, et, de son vivant, une véritable légende. Cette vidéo, où on le voit répéter le Requiem de Fauré, donne un aperçu de son extraordinaire personnalité, faite d'exigence totale et sans concessions pour toute autre contrainte que celle qu'impose la musique, d'humour aussi, et d'un sens de la pédagogie qui est le propre des grands maîtres. Et quel magnifique visage dont se dégage la force incontestable de l'autorité et de l'amour, de l'intégrité et de la profondeur. Quelque chose en somme d'absolument juste et vrai.
Du site qui lui est consacré, je tire les informations suivantes :
"Après des études de mathématiques, de musique et de philosophie à Bucarest et à Berlin, Celididache, né en Roumanie, devient en 1945 codirecteur, avec Wilhelm Furtwängler, de l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Il quitte la capitale allemande à la mort de Furtwängler en 1954, et dirige dans le monde entier (notamment en Italie, en Amérique Latine et en Scandinavie), remportant partout des triomphes, et se soustrayant par conviction à l'industrie du disque. Ses deux saisons à la tête de l'Orchestre National de France (1973-1975) restent dans toutes les mémoires et ont fait l'objet de plusieurs enregistrements télévisés. Vers la même époque, il reprend une activité régulière avec l'Orchestre de la Radio de Stuttgart, où il laissera une empreinte profonde. Sa coopération exceptionnellement longue et fertile avec l'Orchestre Philharmonique de Munich à partir de 1979 fera de lui un mythe vivant.
Tout au long de sa carrière musicale, Celibidache a approfondi la réflexion rigoureuse sur son art et infatigablement transmis cet enseignement dans le monde entier, notamment pendant treize années à l'Université de Mayence, mais aussi à Munich et à Paris."- www.celibidache.fr
Une série d'entretiens avec Celididache - Le jardin de Celibidache - sera bientôt disponible en Dvd. Mon ami, le philosophe Jean-Louis Cherlonneix, trop tôt disparu, et qui fréquentait quotidiennement les Anciens - il a laissé, en particulier, une traduction magnifique du Philèbe de Platon, hélas non publiée - voyait en lui un pédagogue semblable à ce qu'avait dû être Socrate et conseillait vivement à ses étudiants d'aller voir ce film. Il avait raison. A écouter Celibidache diriger et à l'entendre parler - si bref soit cet extrait - on comprend ce qu'est l'autorité d'un véritable maître. Quelle différence avec la fabrication médiatique artificielle de nos pauvres "stars" !
Si la "culture" - oh, le vilain mot, si prétentieux ! - nous enrichit, c'est qu'elle nous invite d'abord à un exercice d'admiration. Et là nous sommes comblés !
Du site qui lui est consacré, je tire les informations suivantes :
"Après des études de mathématiques, de musique et de philosophie à Bucarest et à Berlin, Celididache, né en Roumanie, devient en 1945 codirecteur, avec Wilhelm Furtwängler, de l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Il quitte la capitale allemande à la mort de Furtwängler en 1954, et dirige dans le monde entier (notamment en Italie, en Amérique Latine et en Scandinavie), remportant partout des triomphes, et se soustrayant par conviction à l'industrie du disque. Ses deux saisons à la tête de l'Orchestre National de France (1973-1975) restent dans toutes les mémoires et ont fait l'objet de plusieurs enregistrements télévisés. Vers la même époque, il reprend une activité régulière avec l'Orchestre de la Radio de Stuttgart, où il laissera une empreinte profonde. Sa coopération exceptionnellement longue et fertile avec l'Orchestre Philharmonique de Munich à partir de 1979 fera de lui un mythe vivant.
Tout au long de sa carrière musicale, Celibidache a approfondi la réflexion rigoureuse sur son art et infatigablement transmis cet enseignement dans le monde entier, notamment pendant treize années à l'Université de Mayence, mais aussi à Munich et à Paris."-
Une série d'entretiens avec Celididache - Le jardin de Celibidache - sera bientôt disponible en Dvd. Mon ami, le philosophe Jean-Louis Cherlonneix, trop tôt disparu, et qui fréquentait quotidiennement les Anciens - il a laissé, en particulier, une traduction magnifique du Philèbe de Platon, hélas non publiée - voyait en lui un pédagogue semblable à ce qu'avait dû être Socrate et conseillait vivement à ses étudiants d'aller voir ce film. Il avait raison. A écouter Celibidache diriger et à l'entendre parler - si bref soit cet extrait - on comprend ce qu'est l'autorité d'un véritable maître. Quelle différence avec la fabrication médiatique artificielle de nos pauvres "stars" !
Si la "culture" - oh, le vilain mot, si prétentieux ! - nous enrichit, c'est qu'elle nous invite d'abord à un exercice d'admiration. Et là nous sommes comblés !
vendredi 12 septembre 2008
In Memoriam Vassili Nesterenko. Témoignage
Nombreux sont les rémoignages d'admiration et de tristesse qui se sont exprimés après le décès de Vassili Nesterenko (voir un précédent "billet", août 2008) qui consacra les vingt dernières années de sa vie à venir en aide aux enfants contaminés par la catastrophe de Tchernobyl. Celui-ci exprime avec une émouvante justesse de ton la grandeur morale et intellectuelle de ce Juste qui est mort épuisé, finalement, par son long combat pour la vérité
« Fidèle au peuple qui lui avait permis de devenir et d’être ce qu’il est », c'est-à-dire professeur et membre de l’ Académie des sciences biélorusse qui « avait bénéficié de conditions de vie exceptionnelles », il considérait de son devoir le plus naturel d’oeuvrer pour la protection des victimes comme il avait jugé auparavant qu’il était de son devoir de scientifique de travailler sur les missiles soviétiques depuis qu’il avait vu une carte américaine détailler scientifiquement toutes les cibles potentielles du territoire soviétique au moment de la guerre froide. Son « sens du devoir », son « patriotisme » lui avaient dicté ces choix. Il avait travaillé sur ses « centrales nucléaires mobiles » à vocation militaire et civile, « jusqu’au jour où je compris que cette technologie n’était pas compatible avec le niveau moral de l’humanité actuelle ». Il avait vu la 1a contamination des enfants de Tchernobyl, leur départ dans les trains par dizaines de milliers à Gomel. Des scènes qui lui rappelaient la guerre. Il avait vu les interminables files de cars remplis d’enfants passer sur la route près de l’endroit où il habitait et dont il alla mesurer la radioactivité au sanatorium voisin, les trouvant tous irradiés. Cela le transforma à jamais. Pensant qu’une « technologie qui causait un tel malheur à des centaines de milliers de personnes n’avait pas le droit à l’existence », il avait depuis consacré toute son énergie à évaluer la situation et chercher à améliorer le sort des victimes de « l’invisible » avec toute son intelligence et son humanité. J’avais déjà demandé à Wladimir Tchertkoff au début comment il comprenait que des scientifiques renommés qui manipulaient cette matière dont ils connaissaient l’extrême dangerosité, ont pu s’égarer dans l’atome « paisible » sans envisager les « possibilités catastrophiques »*. Il me répondit : « C’est rare que les qualités d’intelligence qui font un savant soient associées à l’éthique ». Et comme je demandais toujours pourquoi, il me conseilla de lire La disparition de Majorana de Léonardo Sciascia.
Je dis à Wladimir Tchertkoff que cela me donnait l’impression d’être en présence de Soljénitsyne ; une sorte de Soljénitsyne sans barbe, aux yeux clairs, pétillants, coiffé ras au-dessus des oreilles mais épais sur le dessus, ce qui donnait à son visage un air de juvénilité rayonnante dégageant une sérénité et presque une foi ne laissant aucune prise aux tourments qu’il rencontrait depuis vingt ans. Je me disais qu’en plus de son immense travail de chercheur, de scientifique, de gestionnaire, de formateur, d’informateur, de militant, il trouvait encore la ressource de voyager, se déplacer partout où on avait besoin de lui pour exposer encore et encore son travail dont il avait multiplié les centaines et les milliers de pages de rapports, et tout cela dans les tracasseries et les persécutions sans nombre, des attentats contre sa personne, la menace de ses proches, de ses collaborateurs, celle de voir ses activités et son institut sans cesse réduits à néant. Ce qui me frappait le plus était sa « simplicité », son ouverture d’esprit, la curiosité qu’il montrait pour tous les sujets qu’on abordait, un pouvoir d’écoute ne méprisant aucune question qu’on lui posait. Il s’empressait de questionner Tchertkoff dès que quelque chose lui échappait et il l’observait ému et attentif lui traduire tout ce qui était évoqué sans jamais montrer le moindre signe de condescendance. Je lui demandai si il était croyant. Non, pour lui c’était « des images puériles de vieux bonhomme à la barbe longue et, pour tout dire, résuma-t-il en riant : je n’ai pas le temps d’y penser ».
Nesterenko fut aussi un homme « épouvanté », qui n’avait pas vu juste « une image de feu et de mort » (La disparition de Majorana), mais sa réalité effroyable et sans répit qui ne cesserait pas de nuire au vivant pendant tellement d’années qu’on en est confondu d’horreur. Mais il ne cédait pas au sentiment; il réagissait, combattait sans mythologie contre le mal qu’il avait vu de près. « L’enfant brûlé dans son berceau », ce fut pendant plus de vingt ans son quotidien incontournable, ainsi que « le réacteur béant », en feu, et ses victimes contaminées pour lesquelles il a voué sa vie sans compter."
Frédéric Dambreville
Douce France ! Témoignage
Voici le témoignage que j'ai reçu ce matin, auquel il n'est pas nécessaire d'apporter de commentaire. Je n'ai pas l'esprit particulièrement militant, mais il y a tout de même des limites au silence. Un dérapage de plus dira-t-on, mais qui choque, et pas seulement parce que chacun d'entre nous pourrait connaître une semblable "mésaventure". C'est toute une "tonalité" sociale, faite de brutalité, de mépris et de violence qui s'y révèle, dont on sait combien elle a tendance à se multiplier et à se développer dans nos sociétés dites "démocratiques". Cela dit sans démagogie.
"Je m´appelle Patrick Mohr. Je suis né le 18 septembre 1962 à Genève. Je suis acteur, metteur en scène et auteur. A Genève je dirige une compagnie, le théâtre Spirale, je co-dirige le théâtre de la Parfumerie et m´occupe également du festival « De bouche à oreille.
Dans le cadre de mes activités artistiques, je viens régulièrement au festival d´Avignon pour y découvrir des spectacles du « in » et du «off ». Notre compagnie s´y est d´ailleurs produite à trois reprises. Cette année, je suis arrivé dans la région depuis le 10 juillet et j´ai assisté à de nombreux spectacles.
Le Lundi 21 juillet, je sors avec mon amie, ma fille et trois de ses camarades d´une représentation d´une pièce très dure sur la guerre en ex-Yougoslavie et nous prenons le frais à l´ombre du Palais des Papes, en assistant avec plaisir à un spectacle donné par un couple
d´acrobates.
A la fin de leur numéro, je m´avance pour mettre une pièce dans leur chapeau lorsque j´entends le son d´un Djembé (tambour africain) derrière moi. Etant passionné par la culture africaine. (J´y ai monté plusieurs spectacles et ai eu l´occasion d´y faire des tournées.) Je m´apprête à écouter les musiciens. Le percussionniste est rejoint par un joueur de Kamele Ngoni. (Sorte de contrebasse surtout utilisée par les chasseurs en Afrique de l´Ouest.)
A peine commencent-ils à jouer qu´un groupe de C.R.S se dirige vers eux pour les interrompre et contrôler leur identité. Contrarié, je me décide à intervenir. Ayant déjà subit des violences policières dans le même type de circonstances il y a une vingtaine d´année à Paris, je me suis adressé à eux avec calme et politesse. Le souvenir de ma précédente mésaventure bien en tête. Mais je me suis dit que j´étais plus âgé, que l´on se trouvait dans un haut lieu culturel et touristique, dans une démocratie et que j´avais le droit de m´exprimer face à ce qui me semblait une injustice. J´aborde donc un des C.R.S et lui demande : « Pourquoi contrôler vous ces artistes en particulier et pas tous ceux qui se trouvent sur la place? » Réponse immédiate.
« Ta gueule, mêle-toi de ce qui te regardes!
« Justement ça me regarde. Je trouve votre attitude discriminatoire. »
Regard incrédule. « Tes papiers ! »
« Je ne les ai pas sur moi, mais on peut aller les chercher dans la voiture. »
« Mets-lui les menottes ! »
« Mais vous n´avez pas le droit de... »
Ces mots semblent avoir mis le feu aux poudres.
« Tu vas voir si on n´a pas le droit.»
Et brusquement la scène a dérapé.
Ils se sont jetés sur moi avec une sauvagerie inouïe. Mon amie, ma fille, ses camarades et les curieux qui assistaient à la scène ont reculé choqués alors qu´ils me projetaient au sol, me plaquaient la tête contre les pavés, me tiraient de toutes leurs forces les bras en arrière comme un poulet désarticulé et m´enfilaient des menottes. Les bras dans le dos, ils m´ont relevé et m´ont jeté en avant en me retenant par la chaîne. La menotte gauche m´a tordu le poignet et a pénétré profondément mes chairs. J´ai hurlé :
« Vous n´avez pas le droit, arrêtez, vous me cassez le bras !»
« Tu vas voir ce que tu vas voir espèce de tapette. Sur le dos ! Sur le ventre ! Sur le dos je te dis, plus vite, arrête de gémir ! »
Et ils me frottent la tête contre les pavés me tordent et me frappent, me traînent, me re-plaquent à terre. La foule horrifiée s´écarte sur notre passage. Mon amie essaie de me venir en aide et se fait violemment repousser. Des gens s´indignent, sifflent, mais personne n´ose interrompre cette interpellation d´une violence inouïe. Je suis traîné au sol et malmené jusqu´à leur fourgonnette qui se trouve à la place de l´horloge 500 m plus bas. Là. Ils me jettent dans le véhicule, je tente de m´asseoir et le plus grand de mes agresseurs (je ne peux pas les appeler autrement), me donne un coup pour me faire tomber entre les sièges, face contre terre, il me plaque un pied sur les côtes et l´autre sur la cheville il appuie de tout son poids contre une barre de fer.
« S´il vous plait, n´appuyez pas comme ça, vous me coupez la circulation. »
"C´est pour ma sécurité. »
Et toute leur compagnie de rire de ce bon mot. Jusqu´au commissariat de St Roch. Le trajet est court mais il me semble interminable. Tout mon corps est meurtri, j´ai l´impression d´avoir le poignet brisé, les épaules démises, je mange la poussière. On m´extrait du fourgon toujours avec autant de délicatesse. Je vous passe les détails de l´interrogatoire que j´ai subi dans un état lamentable. Je me souviens seulement du maquillage bleu sur les paupières de la femme qui posait les questions.
« Vous êtes de quelle nationalité ? »
« Suisse. »
« Vous êtes un sacré fouteur de merde »
« Vous n´avez pas le droit de m´insulter »
« C´est pas une insulte, la merde » (Petit rire.)
C´est fou comme la mémoire fonctionne bien quand on subit de pareilles agressions. Toutes les paroles, tout les détails de cette arrestation et de ma garde à vue resterons gravés à vie dans mes souvenirs, comme la douleur des coups subits dans ma chair. Je remarque que l´on me vouvoie depuis que je ne suis plus entre les griffes des CRS. Mais la violence physique a seulement fait place au mépris et à une forme d´inhumanité plus sournoise. Je demande que l´on m´ôte les menottes qui m´ont douloureusement entaillé les poignets et que l´on appelle un docteur. On me dit de cesser de pleurnicher et que j´aurais mieux fait de réfléchir avant de faire un scandale. Je tente de protester, on me coupe immédiatement la parole. Je comprends qu´ici on ne peut pas s´exprimer librement. Ils font volontairement traîner avant de m´enlever les menottes. Font semblant de ne pas trouver les clés. Je ne sens plus ma main droite.
Fouille intégrale. On me retire ce que j´ai, bref inventaire, le tout est mis dans une petite boîte.
« Enlevez vos vêtements ! »
J´ai tellement mal que je n´y arrive presque pas.
« Dépêchez-vous, on n'a pas que ça à faire. La boucle d´oreille ! »
J´essaye de l´ôter sans y parvenir.
« Je ne l´ai pas enlevée depuis des années. Elle n´a plus de fermoir. »
« Ma patience à des limites vous vous débrouillez pour l´enlever, c´est tout ! »
Je force en tirant sur le lob de l´oreille, la boucle lâche.
« Baissez la culotte ! »
Je m´exécute. Après la fouille ils m´amènent dans une petite cellule de garde à vue. 4m de long par 2m de large. Une petite couchette beige vissée au mur. Les parois sont taguées, grattées par les inscriptions griffonnées à la hâte par les détenus de passage. Au briquet ou gravé avec les ongles dans le crépis. Momo de Monclar, Ibrahim, Rachid, chacun laisse sa marque.
L´attente commence. Pas d´eau, pas de nourriture. Je réclame en vain de la glace pour faire désenfler mon bras. Les murs et le sol sont souillés de tâches de sang, d´urine et d´excréments. Un méchant néon est allumé en permanence. Le temps s´étire. Rien ici qui permette de distinguer le jour de la nuit. La douleur lancinante m´empêche de dormir.
J´ai l´impression d´avoir le coeur qui pulse dans ma main. D´ailleurs alors que j´écris ces lignes une semaine plus tard, je ne parviens toujours pas à dormir normalement. J´écris tout cela en détails, non pas pour me lamenter sur mon sort. Je suis malheureusement bien conscient que ce qui m´est arrivé est tristement banal, que plusieurs fois par jours et par nuits dans chaque ville de France des dizaines de personnes subissent des traitements bien pires que ce que j´ai enduré. Je sais aussi que si j´étais noir ou arabe je me serais fait cogner avec encore moins de retenue. C´est pour cela que j´écris et porte plainte. Car j´estime que dans la police française et dans les CRS en particulier il existe de dangereux individus qui sous le couvert de l´uniforme laissent libre cour à leurs plus bas instincts. (Evidement il y a aussi des arrestations justifiées, et la police ne fait pas que des interventions abusives. Mais je parle des dérapages qui me semblent beaucoup trop fréquents.) Que ces dangers publics sévissent en toute impunité au sein d´un service public qui serait censé protéger les citoyens est inadmissible dans un état de droit. J´ai un casier judiciaire vierge et suis quelqu´un de profondément non violent, par conviction, ce type de mésaventure me renforce encore dans mes convictions, mais si je ne disposais pas des outils pour analyser la situation je pourrais aisément basculer dans la violence et l´envie de vengeance. Je suis persuadé que ce type d´action de la police nationale visant à instaurer la peur ne fait qu´augmenter l´insécurité en France et stimuler la suspicion et la haine d´une partie de la population (Des jeunes en particulier.) face à la Police. En polarisant ainsi la population on crée une tension perpétuelle extrêmement perverse. Comme je suis un homme de culture et de communication je réponds à cette violence avec mes armes. L´écriture et la parole. Durant les 16h qu´a duré ma détention. (Avec les nouvelles lois, on aurait même pu me garder 48h en garde à vue.) Je n´ai vu dans les cellules que des gens d´origine africaine et des gitans. Nous étions tous traité avec un mépris hallucinant. Un exemple, mon voisin de cellule avait besoin d´aller aux toilettes. Il appelait sans relâche depuis près d´une demi heure, personne ne venait. Il c´est mit à taper contre la porte pour se faire entendre, personne. Il cognait de plus en plus fort, finalement un gardien exaspéré surgit.
"Qu´est ce qu´il y a ? »
« J´ai besoin d´aller aux chiottes. »
« Y a une coupure d´eau. »
" Mais j´ai besoin."
« Y a pas d´eau dans tout le commissariat, alors tu te la coince pigé. »
Mon voisin qui n´est pas seul dans sa cellule continue de se plaindre, disant qu´il est malade, qu´il va faire ses besoins dans la cellule.
« Si tu fais ça on te fait essuyer avec ton t-shirt. »
Les coups redoublent. Une voix féminine lance d´un air moqueur. « Vas-y avec la tête pendant que tu y es. Ca nous en fera un de moins. »
Eclats de rire dans le couloir comme si elle avait fait une bonne plaisanterie. Après une nuit blanche vers 9h du matin on vient me chercher pour prendre mon empreinte et faire ma photo. Face, profil, avec un petit écriteau, comme dans les films. La dame qui s´occupe de cela est la première personne qui me parle avec humanité et un peu de compassion depuis le début de ce cauchemar. « Hee bien, ils vous ont pas raté. C´est les CRS, ha bien sur. Faut dire qu´on a aussi des sacrés cas sociaux chez nous. Mais ils sont pas tous comme ça. »
J´aimerais la croire. Un officier vient me chercher pour que je dépose ma version des faits et me faire connaître celle de ceux qui m´ont interpellé. J´apprends que je suis poursuivi pour : outrage, incitation à l´émeute et violence envers des dépositaires de l´autorité publique. C´est vraiment le comble. Je les aurais soi disant agressés verbalement et physiquement. Comment ces fonctionnaires assermentés peuvent ils mentir aussi éhontément ? Je raconte ma version des faits à l´officier. Je sens que sans vouloir l´admettre devant moi, il se rend compte qu´ils ont commis une gaffe. Ma déposition est transmise au procureur et vers midi je suis finalement libéré. J´erre dans la ville comme un boxeur sonné. Je marche péniblement. Un mistral à décorner les boeufs souffle sur la ville. Je trouve un avocat qui me dit d´aller tout de suite à l´hôpital faire un constat médical. Je marche longuement pour parvenir aux urgences ou je patiente plus de 4 heures pour recevoir des soins hâtifs. Dans la salle d´attente, je lis un journal qui m´apprend que le gouvernement veut supprimer 200 hôpitaux dans le pays, on parle de couper 6000 emplois dans l´éducation. Sur la façade du commissariat de St Roch, j´ai pu lire qu´il allait être rénové pour 19 millions d´Euros. Les budgets de la sécurité sont à la hausse, on diminue la santé, le social et l´éducation. Pas de commentaires. Je n´écris pas ces lignes pour me faire mousser, mais pour clamer mon indignation face à un système qui tolère ce type de violence. Sans doute suis-je naïf de m´indigner. La plupart des Français auxquels j´ai raconté cette histoire ne semblaient pas du tout surpris, et avaient connaissance de nombreuses anecdotes du genre. Cela me semble d´autant plus choquant. Ma naïveté, je la revendique, comme je revendique le droit de m´indigner face à l´injustice.
Même si cela peut paraître de petites injustices. C´est la somme de nos petits silences et de nos petites lâchetés qui peut conduire à une démission collective et en dernier recours aux pires systèmes totalitaires. (Nous n´en sommes bien évidement heureusement pas encore là.) Depuis ma sortie, nous sommes retournés sur la place des Papes et nous avons réussi à trouver une douzaine de témoins qui ont accepté d´écrire leur version des faits qui corroborent tous ce que j´ai dit. Ils certifient tous que je n´ai proféré aucune insulte ni n´ai commis aucune violence. Les témoignages soulignent l´incroyable brutalité de l´intervention des CRS et la totale disproportion de leur réaction face à mon intervention. J´ai essayé de retrouver des images des faits, mais malheureusement les caméras qui surveillent la place sont gérées par la police et, comme par hasard elles sont en panne depuis début juillet. Il y avait des centaines de personnes sur la place qui auraient pu témoigner, mais le temps de sortir de garde à vue, de me faire soigner et de récupérer suffisamment d´énergie pour pouvoir tenter de les retrouver. Je n´ai pu en rassembler qu´une douzaine. J´espère toujours que peut être quelqu´un ait photographié ou même filmé la scène et que je parvienne à récupérer ces images qui prouveraient de manière définitive ce qui c´est passé.
Après 5 jours soudain, un monsieur africain m´a abordé, c´était l´un des musiciens qui avait été interpellé. Il était tout content de me retrouver car il me cherchait depuis plusieurs jours. Il se sentait mal de n´avoir rien pu faire et de ne pas avoir pu me remercier d´être intervenu en leur faveur. Il était profondément touché et surpris par mon intervention et m´a dit qu´il habitait Grenoble, qu´il avait 3 enfants et qu´il était français. Qu´il viendrait témoigner pour moi. Qu´il s´appelait Moussa Sanou. « Sanou , c´est un nom de l´ethnie Bobo. Vous êtes de Bobo-Dioulasso ? »
« Oui. » Nous nous sommes souris et je l´ai salué dans sa langue en Dioula. Il se trouve que je vais justement créer un spectacle prochainement à Bobo-Dioulasso au Burkina-Faso. La pièce qui est une adaptation de nouvelles de l´auteur Mozambicain Mia Couto s´appellera «Chaque homme est une race » et un des artistes avec lequel je vais collaborer se nomme justement Sanou. Coïncidence ? Je ne crois pas. Je suis content d´avoir défendu un ami, même si je ne le connaissais pas encore.
La pièce commence par ce dialogue prémonitoire. Quand on lui demanda de quelle race il était, il répondit : «Ma race c´est moi. » Invité à s´expliquer il ajouta « Ma race c´est celui que je suis. Toute personne est à elle seule une humanité. Chaque homme est une race, monsieur le policier. »
Patrick Mohr, 28 juillet 2008
"Je m´appelle Patrick Mohr. Je suis né le 18 septembre 1962 à Genève. Je suis acteur, metteur en scène et auteur. A Genève je dirige une compagnie, le théâtre Spirale, je co-dirige le théâtre de la Parfumerie et m´occupe également du festival « De bouche à oreille.
Dans le cadre de mes activités artistiques, je viens régulièrement au festival d´Avignon pour y découvrir des spectacles du « in » et du «off ». Notre compagnie s´y est d´ailleurs produite à trois reprises. Cette année, je suis arrivé dans la région depuis le 10 juillet et j´ai assisté à de nombreux spectacles.
Le Lundi 21 juillet, je sors avec mon amie, ma fille et trois de ses camarades d´une représentation d´une pièce très dure sur la guerre en ex-Yougoslavie et nous prenons le frais à l´ombre du Palais des Papes, en assistant avec plaisir à un spectacle donné par un couple
d´acrobates.
A la fin de leur numéro, je m´avance pour mettre une pièce dans leur chapeau lorsque j´entends le son d´un Djembé (tambour africain) derrière moi. Etant passionné par la culture africaine. (J´y ai monté plusieurs spectacles et ai eu l´occasion d´y faire des tournées.) Je m´apprête à écouter les musiciens. Le percussionniste est rejoint par un joueur de Kamele Ngoni. (Sorte de contrebasse surtout utilisée par les chasseurs en Afrique de l´Ouest.)
A peine commencent-ils à jouer qu´un groupe de C.R.S se dirige vers eux pour les interrompre et contrôler leur identité. Contrarié, je me décide à intervenir. Ayant déjà subit des violences policières dans le même type de circonstances il y a une vingtaine d´année à Paris, je me suis adressé à eux avec calme et politesse. Le souvenir de ma précédente mésaventure bien en tête. Mais je me suis dit que j´étais plus âgé, que l´on se trouvait dans un haut lieu culturel et touristique, dans une démocratie et que j´avais le droit de m´exprimer face à ce qui me semblait une injustice. J´aborde donc un des C.R.S et lui demande : « Pourquoi contrôler vous ces artistes en particulier et pas tous ceux qui se trouvent sur la place? » Réponse immédiate.
« Ta gueule, mêle-toi de ce qui te regardes!
« Justement ça me regarde. Je trouve votre attitude discriminatoire. »
Regard incrédule. « Tes papiers ! »
« Je ne les ai pas sur moi, mais on peut aller les chercher dans la voiture. »
« Mets-lui les menottes ! »
« Mais vous n´avez pas le droit de... »
Ces mots semblent avoir mis le feu aux poudres.
« Tu vas voir si on n´a pas le droit.»
Et brusquement la scène a dérapé.
Ils se sont jetés sur moi avec une sauvagerie inouïe. Mon amie, ma fille, ses camarades et les curieux qui assistaient à la scène ont reculé choqués alors qu´ils me projetaient au sol, me plaquaient la tête contre les pavés, me tiraient de toutes leurs forces les bras en arrière comme un poulet désarticulé et m´enfilaient des menottes. Les bras dans le dos, ils m´ont relevé et m´ont jeté en avant en me retenant par la chaîne. La menotte gauche m´a tordu le poignet et a pénétré profondément mes chairs. J´ai hurlé :
« Vous n´avez pas le droit, arrêtez, vous me cassez le bras !»
« Tu vas voir ce que tu vas voir espèce de tapette. Sur le dos ! Sur le ventre ! Sur le dos je te dis, plus vite, arrête de gémir ! »
Et ils me frottent la tête contre les pavés me tordent et me frappent, me traînent, me re-plaquent à terre. La foule horrifiée s´écarte sur notre passage. Mon amie essaie de me venir en aide et se fait violemment repousser. Des gens s´indignent, sifflent, mais personne n´ose interrompre cette interpellation d´une violence inouïe. Je suis traîné au sol et malmené jusqu´à leur fourgonnette qui se trouve à la place de l´horloge 500 m plus bas. Là. Ils me jettent dans le véhicule, je tente de m´asseoir et le plus grand de mes agresseurs (je ne peux pas les appeler autrement), me donne un coup pour me faire tomber entre les sièges, face contre terre, il me plaque un pied sur les côtes et l´autre sur la cheville il appuie de tout son poids contre une barre de fer.
« S´il vous plait, n´appuyez pas comme ça, vous me coupez la circulation. »
"C´est pour ma sécurité. »
Et toute leur compagnie de rire de ce bon mot. Jusqu´au commissariat de St Roch. Le trajet est court mais il me semble interminable. Tout mon corps est meurtri, j´ai l´impression d´avoir le poignet brisé, les épaules démises, je mange la poussière. On m´extrait du fourgon toujours avec autant de délicatesse. Je vous passe les détails de l´interrogatoire que j´ai subi dans un état lamentable. Je me souviens seulement du maquillage bleu sur les paupières de la femme qui posait les questions.
« Vous êtes de quelle nationalité ? »
« Suisse. »
« Vous êtes un sacré fouteur de merde »
« Vous n´avez pas le droit de m´insulter »
« C´est pas une insulte, la merde » (Petit rire.)
C´est fou comme la mémoire fonctionne bien quand on subit de pareilles agressions. Toutes les paroles, tout les détails de cette arrestation et de ma garde à vue resterons gravés à vie dans mes souvenirs, comme la douleur des coups subits dans ma chair. Je remarque que l´on me vouvoie depuis que je ne suis plus entre les griffes des CRS. Mais la violence physique a seulement fait place au mépris et à une forme d´inhumanité plus sournoise. Je demande que l´on m´ôte les menottes qui m´ont douloureusement entaillé les poignets et que l´on appelle un docteur. On me dit de cesser de pleurnicher et que j´aurais mieux fait de réfléchir avant de faire un scandale. Je tente de protester, on me coupe immédiatement la parole. Je comprends qu´ici on ne peut pas s´exprimer librement. Ils font volontairement traîner avant de m´enlever les menottes. Font semblant de ne pas trouver les clés. Je ne sens plus ma main droite.
Fouille intégrale. On me retire ce que j´ai, bref inventaire, le tout est mis dans une petite boîte.
« Enlevez vos vêtements ! »
J´ai tellement mal que je n´y arrive presque pas.
« Dépêchez-vous, on n'a pas que ça à faire. La boucle d´oreille ! »
J´essaye de l´ôter sans y parvenir.
« Je ne l´ai pas enlevée depuis des années. Elle n´a plus de fermoir. »
« Ma patience à des limites vous vous débrouillez pour l´enlever, c´est tout ! »
Je force en tirant sur le lob de l´oreille, la boucle lâche.
« Baissez la culotte ! »
Je m´exécute. Après la fouille ils m´amènent dans une petite cellule de garde à vue. 4m de long par 2m de large. Une petite couchette beige vissée au mur. Les parois sont taguées, grattées par les inscriptions griffonnées à la hâte par les détenus de passage. Au briquet ou gravé avec les ongles dans le crépis. Momo de Monclar, Ibrahim, Rachid, chacun laisse sa marque.
L´attente commence. Pas d´eau, pas de nourriture. Je réclame en vain de la glace pour faire désenfler mon bras. Les murs et le sol sont souillés de tâches de sang, d´urine et d´excréments. Un méchant néon est allumé en permanence. Le temps s´étire. Rien ici qui permette de distinguer le jour de la nuit. La douleur lancinante m´empêche de dormir.
J´ai l´impression d´avoir le coeur qui pulse dans ma main. D´ailleurs alors que j´écris ces lignes une semaine plus tard, je ne parviens toujours pas à dormir normalement. J´écris tout cela en détails, non pas pour me lamenter sur mon sort. Je suis malheureusement bien conscient que ce qui m´est arrivé est tristement banal, que plusieurs fois par jours et par nuits dans chaque ville de France des dizaines de personnes subissent des traitements bien pires que ce que j´ai enduré. Je sais aussi que si j´étais noir ou arabe je me serais fait cogner avec encore moins de retenue. C´est pour cela que j´écris et porte plainte. Car j´estime que dans la police française et dans les CRS en particulier il existe de dangereux individus qui sous le couvert de l´uniforme laissent libre cour à leurs plus bas instincts. (Evidement il y a aussi des arrestations justifiées, et la police ne fait pas que des interventions abusives. Mais je parle des dérapages qui me semblent beaucoup trop fréquents.) Que ces dangers publics sévissent en toute impunité au sein d´un service public qui serait censé protéger les citoyens est inadmissible dans un état de droit. J´ai un casier judiciaire vierge et suis quelqu´un de profondément non violent, par conviction, ce type de mésaventure me renforce encore dans mes convictions, mais si je ne disposais pas des outils pour analyser la situation je pourrais aisément basculer dans la violence et l´envie de vengeance. Je suis persuadé que ce type d´action de la police nationale visant à instaurer la peur ne fait qu´augmenter l´insécurité en France et stimuler la suspicion et la haine d´une partie de la population (Des jeunes en particulier.) face à la Police. En polarisant ainsi la population on crée une tension perpétuelle extrêmement perverse. Comme je suis un homme de culture et de communication je réponds à cette violence avec mes armes. L´écriture et la parole. Durant les 16h qu´a duré ma détention. (Avec les nouvelles lois, on aurait même pu me garder 48h en garde à vue.) Je n´ai vu dans les cellules que des gens d´origine africaine et des gitans. Nous étions tous traité avec un mépris hallucinant. Un exemple, mon voisin de cellule avait besoin d´aller aux toilettes. Il appelait sans relâche depuis près d´une demi heure, personne ne venait. Il c´est mit à taper contre la porte pour se faire entendre, personne. Il cognait de plus en plus fort, finalement un gardien exaspéré surgit.
"Qu´est ce qu´il y a ? »
« J´ai besoin d´aller aux chiottes. »
« Y a une coupure d´eau. »
" Mais j´ai besoin."
« Y a pas d´eau dans tout le commissariat, alors tu te la coince pigé. »
Mon voisin qui n´est pas seul dans sa cellule continue de se plaindre, disant qu´il est malade, qu´il va faire ses besoins dans la cellule.
« Si tu fais ça on te fait essuyer avec ton t-shirt. »
Les coups redoublent. Une voix féminine lance d´un air moqueur. « Vas-y avec la tête pendant que tu y es. Ca nous en fera un de moins. »
Eclats de rire dans le couloir comme si elle avait fait une bonne plaisanterie. Après une nuit blanche vers 9h du matin on vient me chercher pour prendre mon empreinte et faire ma photo. Face, profil, avec un petit écriteau, comme dans les films. La dame qui s´occupe de cela est la première personne qui me parle avec humanité et un peu de compassion depuis le début de ce cauchemar. « Hee bien, ils vous ont pas raté. C´est les CRS, ha bien sur. Faut dire qu´on a aussi des sacrés cas sociaux chez nous. Mais ils sont pas tous comme ça. »
J´aimerais la croire. Un officier vient me chercher pour que je dépose ma version des faits et me faire connaître celle de ceux qui m´ont interpellé. J´apprends que je suis poursuivi pour : outrage, incitation à l´émeute et violence envers des dépositaires de l´autorité publique. C´est vraiment le comble. Je les aurais soi disant agressés verbalement et physiquement. Comment ces fonctionnaires assermentés peuvent ils mentir aussi éhontément ? Je raconte ma version des faits à l´officier. Je sens que sans vouloir l´admettre devant moi, il se rend compte qu´ils ont commis une gaffe. Ma déposition est transmise au procureur et vers midi je suis finalement libéré. J´erre dans la ville comme un boxeur sonné. Je marche péniblement. Un mistral à décorner les boeufs souffle sur la ville. Je trouve un avocat qui me dit d´aller tout de suite à l´hôpital faire un constat médical. Je marche longuement pour parvenir aux urgences ou je patiente plus de 4 heures pour recevoir des soins hâtifs. Dans la salle d´attente, je lis un journal qui m´apprend que le gouvernement veut supprimer 200 hôpitaux dans le pays, on parle de couper 6000 emplois dans l´éducation. Sur la façade du commissariat de St Roch, j´ai pu lire qu´il allait être rénové pour 19 millions d´Euros. Les budgets de la sécurité sont à la hausse, on diminue la santé, le social et l´éducation. Pas de commentaires. Je n´écris pas ces lignes pour me faire mousser, mais pour clamer mon indignation face à un système qui tolère ce type de violence. Sans doute suis-je naïf de m´indigner. La plupart des Français auxquels j´ai raconté cette histoire ne semblaient pas du tout surpris, et avaient connaissance de nombreuses anecdotes du genre. Cela me semble d´autant plus choquant. Ma naïveté, je la revendique, comme je revendique le droit de m´indigner face à l´injustice.
Même si cela peut paraître de petites injustices. C´est la somme de nos petits silences et de nos petites lâchetés qui peut conduire à une démission collective et en dernier recours aux pires systèmes totalitaires. (Nous n´en sommes bien évidement heureusement pas encore là.) Depuis ma sortie, nous sommes retournés sur la place des Papes et nous avons réussi à trouver une douzaine de témoins qui ont accepté d´écrire leur version des faits qui corroborent tous ce que j´ai dit. Ils certifient tous que je n´ai proféré aucune insulte ni n´ai commis aucune violence. Les témoignages soulignent l´incroyable brutalité de l´intervention des CRS et la totale disproportion de leur réaction face à mon intervention. J´ai essayé de retrouver des images des faits, mais malheureusement les caméras qui surveillent la place sont gérées par la police et, comme par hasard elles sont en panne depuis début juillet. Il y avait des centaines de personnes sur la place qui auraient pu témoigner, mais le temps de sortir de garde à vue, de me faire soigner et de récupérer suffisamment d´énergie pour pouvoir tenter de les retrouver. Je n´ai pu en rassembler qu´une douzaine. J´espère toujours que peut être quelqu´un ait photographié ou même filmé la scène et que je parvienne à récupérer ces images qui prouveraient de manière définitive ce qui c´est passé.
Après 5 jours soudain, un monsieur africain m´a abordé, c´était l´un des musiciens qui avait été interpellé. Il était tout content de me retrouver car il me cherchait depuis plusieurs jours. Il se sentait mal de n´avoir rien pu faire et de ne pas avoir pu me remercier d´être intervenu en leur faveur. Il était profondément touché et surpris par mon intervention et m´a dit qu´il habitait Grenoble, qu´il avait 3 enfants et qu´il était français. Qu´il viendrait témoigner pour moi. Qu´il s´appelait Moussa Sanou. « Sanou , c´est un nom de l´ethnie Bobo. Vous êtes de Bobo-Dioulasso ? »
« Oui. » Nous nous sommes souris et je l´ai salué dans sa langue en Dioula. Il se trouve que je vais justement créer un spectacle prochainement à Bobo-Dioulasso au Burkina-Faso. La pièce qui est une adaptation de nouvelles de l´auteur Mozambicain Mia Couto s´appellera «Chaque homme est une race » et un des artistes avec lequel je vais collaborer se nomme justement Sanou. Coïncidence ? Je ne crois pas. Je suis content d´avoir défendu un ami, même si je ne le connaissais pas encore.
La pièce commence par ce dialogue prémonitoire. Quand on lui demanda de quelle race il était, il répondit : «Ma race c´est moi. » Invité à s´expliquer il ajouta « Ma race c´est celui que je suis. Toute personne est à elle seule une humanité. Chaque homme est une race, monsieur le policier. »
Patrick Mohr, 28 juillet 2008
jeudi 11 septembre 2008
John Elster, Collège de France
Les cours que John Elster dispensa au Collège de France, sur le thème général en 2007 du "Désintéressement" et, en 2008, de "L'irrationalité", peuvent être téléchargés à l'adresse suivante :
www.collège-de-france.fr
John Elster, Collège de France
Les cours que John Elster dispensa au Collège de France, sur le thème général en 2007 du "Désintéressement" et, en 2008, de "L'irrationalité", peuvent être téléchargés à l'adresse suivante :
www.collège-de-france.fr
Cet extrait (10 janvier 2008) porte sur la critique du paradigme anthropologique, aujourd'hui dominant dans les sciences humaines, de l'homme économique :
Cet extrait (10 janvier 2008) porte sur la critique du paradigme anthropologique, aujourd'hui dominant dans les sciences humaines, de l'homme économique :
Pierre Clastres
Trois entretiens passionnants avec le grand anthropologue et ethnologue français, Pierre Clastres, auteur de La société contre l'Etat (Editions de Minuit, 1974) que l'on peut écouter sur le Journal du Mauss à l'adresse suivante :
www.journaldumauss.net
mercredi 10 septembre 2008
Music for a while
Après ces images atroces sur le massacre des loups, tirés depuis des avions comme des cibles dans un jeu vidéo, et le dépecage des animaux écorchés vif pour en retirer la fourrure, après ces quelques expressions de la barbarie humaine - ma fille Pauline, qui a treize ans, m'a fait remarquer à juste titre que si je me lance dans ce genre de dénonciations, je n'ai pas fini ! - ce matin un chant sublime tiré de l'Oedipe (Acte III, scène 1) de Henry Purcell (1659-1695) - ce génie qui mourut, un siècle plus tôt, au même âge presque que Mozart - dans l'interprétation admirable d'Alfred Deller.
Pour notre bonheur et notre consolation.
En voici les paroles :
Music for a while
Shall all your cares beguile,
Wond'ring how your pains were eas'd,
And disdaining to be pleas'd
Till Alecto free the dead,
From their eternal bands,
Till the snakes drop from her head,
And the whip from out her hands.
Music for a while
Shall all your cares beguile.
Pour notre bonheur et notre consolation.
En voici les paroles :
Music for a while
Shall all your cares beguile,
Wond'ring how your pains were eas'd,
And disdaining to be pleas'd
Till Alecto free the dead,
From their eternal bands,
Till the snakes drop from her head,
And the whip from out her hands.
Music for a while
Shall all your cares beguile.
mardi 9 septembre 2008
Violences incomparables
Laquelle de ces deux expressions de la violence, l'une naturelle - le déchaînement de la mer en Bretagne lors de la tempête de 2007 - l'autre, celle des hommes se livrant, en Chine, aux plus atroces brutalités pour dépecer les animaux de leur fourrure - est la pire ? Est-il seulement besoin de poser la question, comme si il y avait une comparaison possible entre l'une et l'autre et qu'elles relevaient du même genre. L'une produit le sentiment de ce que Kant appelle le "sublime dynamique" : informe, sauvage, terrifiant, il nous fait accéder à l'infini et considérer comme dérisoires "les petites choses dont nous nous inquiétons", l'autre engendre un sentiment de honte, de répulsion et de profond dégoût envers ce dont les hommes sont capables. Si la première nous élève, la seconde nous abaisse, et au plus bas, quoique de ces deux formes de violence nous puissions être victimes. On peut périr en mer ou être tué par une brute (ou par un régime) qui nous a réduit au rang d'animal - au reste traiter ainsi les animaux est une dégradation de notre propre humanité - mais parler de la violence, en général, ne signifie rien.
La deuxième vidéo est présentée sur le site PETA France (Pour un traitement éthique des animaux), mais soyez avertis qu'elle est à la limite du supportable, la découpe de la fourrure se faisant sur des animaux martyrisés encore en vie. Il n'est pas besoin d'être un défenseur inconditionnel du droit des animaux pour dénoncer ces actes de pure barbarie, précisément parce que c'est de cela dont il s'agit : une manifestation de la barbarie humaine. Qu'elle soit le fait de fermiers chinois ne change rien à l'affaire, la mise à mort industrielle des poulets, des boeufs ou des veaux dans nos abattoirs se fait parfois dans des conditions qui ne sont pas moins atroces.
Pledge to go fur-free at PETA.org.
www.petafrance.com
Je remercie Gwendolyn et Stéphane de m'avoir envoyé ces images dont la confrontation nous montre que les notions, vidées des réalités effectives qu'elles désignent, ne sont que des mots creux.
Allez croire après cela qu'il n'y aura ni jugement ni sanction, s'agirait-il d'un simple postulat que la raison pose et demande. Il serait injuste, absurde ou tout simplement "inconvenant" que les hommes ne soient pas un jour mis face à leurs actes et à leurs conséquences, dans l'au-delà ou dans une autre vie. Du moins une telle impunité aurait-elle quelque chose de désespérant, à quoi il n'est pas si aisé de se résoudre.
La deuxième vidéo est présentée sur le site PETA France (Pour un traitement éthique des animaux), mais soyez avertis qu'elle est à la limite du supportable, la découpe de la fourrure se faisant sur des animaux martyrisés encore en vie. Il n'est pas besoin d'être un défenseur inconditionnel du droit des animaux pour dénoncer ces actes de pure barbarie, précisément parce que c'est de cela dont il s'agit : une manifestation de la barbarie humaine. Qu'elle soit le fait de fermiers chinois ne change rien à l'affaire, la mise à mort industrielle des poulets, des boeufs ou des veaux dans nos abattoirs se fait parfois dans des conditions qui ne sont pas moins atroces.
Pledge to go fur-free at PETA.org.
Je remercie Gwendolyn et Stéphane de m'avoir envoyé ces images dont la confrontation nous montre que les notions, vidées des réalités effectives qu'elles désignent, ne sont que des mots creux.
Allez croire après cela qu'il n'y aura ni jugement ni sanction, s'agirait-il d'un simple postulat que la raison pose et demande. Il serait injuste, absurde ou tout simplement "inconvenant" que les hommes ne soient pas un jour mis face à leurs actes et à leurs conséquences, dans l'au-delà ou dans une autre vie. Du moins une telle impunité aurait-elle quelque chose de désespérant, à quoi il n'est pas si aisé de se résoudre.
lundi 8 septembre 2008
La culture ou les variations irrelatives
On connut, formulée dès le Siècle des Lumières, l'idée que l'histoire obéit à un "progrès" et qu'un processus inexorable est à l'oeuvre dont les hommes sont davantage les instruments inconscients que les acteurs réfléchis. Sur cette base, toute une hiérarchie des cultures s'édifia - la nôtre au sommet, bien sûr ! - quoique dès cette époque, certains, tel le philosophe allemand, Johann von Herder (1744-1803), soutenaient que chaque grande civilisation atteint à un "point de perfection" incomparable, après quoi il ne lui reste plus qu'à décliner et à disparaître. Aux temps contemporains s'en déduisit - je fais vite et dresse l'esquisse à très gros traits - la notion si maladroite de "relativité des cultures", avec son cortège de problèmes insolubles, dont le plus équivoque peut être formulé de la façon suivante : au nom du respect de pratiques différentes des nôtres n'est-on pas conduit à s'interdire tout jugement de valeur par exemple sur l'excision ou le cannibalisme ? Avec cette conséquence, en forme d'impasse, que tout notre système de valeurs, incluant les droits de l'homme, ne sont que des productions sociales et historiques particulières, qui n'invitent en rien à l'universalité. Passons ! Mon propos n'est pas de revenir sur ce débat archi-rebattu, mais de marquer le piège dans lequel on s'enferme à présenter le problème en ces termes.
Ne serait-on pas mieux avisé de remplacer la notion close de "relativité" par celle, plus ouverte, de "variété" ? De voir dans les productions "culturelles" (philosophiques, religieuses, esthétiques, etc.) de l'esprit humain la richesse des diverses expressions de notre présence au monde qui, pour multiples et différentes qu'elles soient, ne sont pas infinies, ni incapables, sous quelques conditions, d'échanger entre elles ni de s'entendre ? Je pose la question tout sommairement en complément du dernier billet.
A quoi bon la "culture", entendue cette fois-ci au restreint, si elle n'est pas une manière de travailler à cette ouverture aux autres qui est un enrichissement et une formation de soi, non une manière de scier la branche sur laquelle nous sommes assis et de tout ramener à l'équivalence vide du "tout se vaut" ou, pire encore, du "tout est permis". Notre tradition humaniste, tirée de Montaigne, invite à cette ouverture attentive, curieuse, bienveillante et critique, au différent, mais c'est à tort qu'on voudrait que cette qualité de tolérance débouche inévitablement sur un nihilisme auto-destructeur. Il n'est pas impossible de cheminer sur cette ligne de crête qui évite la chute entre les deux abîmes que sont, d'une part, l'arrogance impérialiste et, d'autre part, la négation complaisante et mutilatrice de ce que nous sommes et de ce que à quoi nous croyons.
Mon Dieu ! Que tout cela est trop vite dit...
Le philosophe Jacques Dewitte a écrit sur ce thème un fort beau livre qui mérite d'être lu (L'exception européenne : Ces mérites qui nous distinguent, Editions Michalon, 2008).
Ne serait-on pas mieux avisé de remplacer la notion close de "relativité" par celle, plus ouverte, de "variété" ? De voir dans les productions "culturelles" (philosophiques, religieuses, esthétiques, etc.) de l'esprit humain la richesse des diverses expressions de notre présence au monde qui, pour multiples et différentes qu'elles soient, ne sont pas infinies, ni incapables, sous quelques conditions, d'échanger entre elles ni de s'entendre ? Je pose la question tout sommairement en complément du dernier billet.
A quoi bon la "culture", entendue cette fois-ci au restreint, si elle n'est pas une manière de travailler à cette ouverture aux autres qui est un enrichissement et une formation de soi, non une manière de scier la branche sur laquelle nous sommes assis et de tout ramener à l'équivalence vide du "tout se vaut" ou, pire encore, du "tout est permis". Notre tradition humaniste, tirée de Montaigne, invite à cette ouverture attentive, curieuse, bienveillante et critique, au différent, mais c'est à tort qu'on voudrait que cette qualité de tolérance débouche inévitablement sur un nihilisme auto-destructeur. Il n'est pas impossible de cheminer sur cette ligne de crête qui évite la chute entre les deux abîmes que sont, d'une part, l'arrogance impérialiste et, d'autre part, la négation complaisante et mutilatrice de ce que nous sommes et de ce que à quoi nous croyons.
Mon Dieu ! Que tout cela est trop vite dit...
Le philosophe Jacques Dewitte a écrit sur ce thème un fort beau livre qui mérite d'être lu (L'exception européenne : Ces mérites qui nous distinguent, Editions Michalon, 2008).
dimanche 7 septembre 2008
Confucius, hier comme aujourd'hui
Laissons de côté l'épineuse question de savoir si la notion de "nature humaine" n'a d'autre sens que culturel ou biologique, étant, pour certains, plutôt un mixte des deux. On voudrait aujourd'hui qu'elle ne signifie rien de plus que cela. Mais il n'est pas nécessaire de lui donner une portée métaphysique, moins encore théologique, pour s'apercevoir que, envisagée du point de vue l'expérience humaine, elle varie assez peu. Il n'y a sans doute rien de commun entre la Chine du Ve siècle avant Jésus Christ et nos sociétés contemporaines, mais d'où vient alors que nous puissions encore lire les "penseurs" de cette époque et faire nôtre certaines de leurs réflexions ?
Si vraiment tout nous séparait des hommes du passé, la langue, la culture, la manière en somme d'être présent au monde, nous ne pourrions lire ni rien compendre à Homère, à l'Ancien Testament, à Shakespeare, à La Rochefoucauld ou à Dostoïevski, et je ne parle pas des philosophes. Au reste, où devrait-on placer le curseur temporel lorsque la conscience historique disparaît au point que tel événement, vieux de cinquante ans, paraît aussi lointain que le Moyen-Age, c'est-à-dire que la préhistoire. Si la "culture" - quel terme détestable ! - a un mérite, c'est tout d'abord de rétablir ce lien entre les hommes - qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, d'hier ou d'aujourd'hui - que l'absence d'effort, d'intérêt, de compréhension et de sympathie détruit dans tous ses aspects, pour nous laisser sans racines ni horizon.
Qu'il y ait, malgré tout, une communauté humaine, capable de s'entendre à travers les lieux et les âges, j'en veux pour seul exemple cet aphorisme admirable et si tranchant de Confucius qui donnerait à sourire n'était-ce la vérité amère qu'il exprime :
"Pourquoi m'en veux tu autant, je ne t'ai pourtant rien donné"...
Si vraiment tout nous séparait des hommes du passé, la langue, la culture, la manière en somme d'être présent au monde, nous ne pourrions lire ni rien compendre à Homère, à l'Ancien Testament, à Shakespeare, à La Rochefoucauld ou à Dostoïevski, et je ne parle pas des philosophes. Au reste, où devrait-on placer le curseur temporel lorsque la conscience historique disparaît au point que tel événement, vieux de cinquante ans, paraît aussi lointain que le Moyen-Age, c'est-à-dire que la préhistoire. Si la "culture" - quel terme détestable ! - a un mérite, c'est tout d'abord de rétablir ce lien entre les hommes - qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, d'hier ou d'aujourd'hui - que l'absence d'effort, d'intérêt, de compréhension et de sympathie détruit dans tous ses aspects, pour nous laisser sans racines ni horizon.
Qu'il y ait, malgré tout, une communauté humaine, capable de s'entendre à travers les lieux et les âges, j'en veux pour seul exemple cet aphorisme admirable et si tranchant de Confucius qui donnerait à sourire n'était-ce la vérité amère qu'il exprime :
"Pourquoi m'en veux tu autant, je ne t'ai pourtant rien donné"...
samedi 6 septembre 2008
Machiavel et Léonard de Vinci, Rencontre au sommet
Ce dimanche matin me revient le souvenir d'une curiosité historique que je livre à votre imagination.
Florence, 1504.
Cette année-là, selon les plans établis par Léonard de Vinci, furent entrepris par les entrepreneurs florentins de gigantesques travaux de diversion de l’Arno, afin de réduire la ville de Pise à la soumission. La décision avait été prise par la Seigneurie le 20 août 1504, après que diverses tentatives militaires eurent toutes échouées. Le 12 octobre le projet fut abandonné. Un nombre insuffisant d’hommes commis à la tâche et les erreurs techniques de l’ingénieur en hydraulique, Colombino, en particulier la profondeur insuffisante des fossés qui devaient entraîner la diversion des eaux, furent cause que la rivière retourna à son ancien cours.
Plusieurs lettres écrites par Machiavel en septembre 1504 montrent son active participation à cette entreprise qui dépassait dans l’esprit de Léonard la seule fin militaire puisque c’était là, à ses yeux, la première phase d’un projet beaucoup plus important et ambitieux visant à rattacher la ville de Florence à la mer.
On sait ainsi que se connurent et travaillèrent ensemble Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel, ces deux plus grands esprits de la cité florentine, si différents en tous points. Le beau livre de Roger D. Masters, Fortune is a River, Leonardo da Vinci and Niccolo Machiavelli’s Magnificent Dream to Change the Course of The Florentine History (A Plume Book, 1999) fait le récit de cette rencontre étonnante et peu connue.
Songez un peu au merveilleux scénario que l'on pourrait tirer de cette histoire dont s'est emparé le récent roman de Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel (Editions Verdier, 2008).
Je tiens en réserve, si vous le désirez, quelques autres anecdotes de la vie de Machiavel, dont l'une, en particulier, est formidablement drôle. On ne sait pas assez que Nicolas était doué d'un grand sens de l'humour et que certaines de ses lettres étaient si facétieuses que ses collègues de bureau en hurlaient de rire, le pressant de revenir au plus vite lorsque les affaires le tenaient trop longtemps éloigné de Florence. Au reste, il est également l'auteur de deux comédies, La mandragore et La Clizia, que l'on ne joue plus guère. Sa personnalité, tellement attachante, est à mille lieux de l'idée que l'on se fait de l'auteur impassible du Prince, ce bréviaire du bon usage du mal en politique.
Santi di Tito (1536-1603), Portrait de Machiavel. Palazzo Vecchio, Florence.
Ce portrait posthume de Machiavel est exposé au deuxième étage du Palazzo Vecchio à Florence, dans son ancien bureau de Secrétaire des Dix.
Florence, 1504.
Cette année-là, selon les plans établis par Léonard de Vinci, furent entrepris par les entrepreneurs florentins de gigantesques travaux de diversion de l’Arno, afin de réduire la ville de Pise à la soumission. La décision avait été prise par la Seigneurie le 20 août 1504, après que diverses tentatives militaires eurent toutes échouées. Le 12 octobre le projet fut abandonné. Un nombre insuffisant d’hommes commis à la tâche et les erreurs techniques de l’ingénieur en hydraulique, Colombino, en particulier la profondeur insuffisante des fossés qui devaient entraîner la diversion des eaux, furent cause que la rivière retourna à son ancien cours.
Plusieurs lettres écrites par Machiavel en septembre 1504 montrent son active participation à cette entreprise qui dépassait dans l’esprit de Léonard la seule fin militaire puisque c’était là, à ses yeux, la première phase d’un projet beaucoup plus important et ambitieux visant à rattacher la ville de Florence à la mer.
On sait ainsi que se connurent et travaillèrent ensemble Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel, ces deux plus grands esprits de la cité florentine, si différents en tous points. Le beau livre de Roger D. Masters, Fortune is a River, Leonardo da Vinci and Niccolo Machiavelli’s Magnificent Dream to Change the Course of The Florentine History (A Plume Book, 1999) fait le récit de cette rencontre étonnante et peu connue.
Songez un peu au merveilleux scénario que l'on pourrait tirer de cette histoire dont s'est emparé le récent roman de Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel (Editions Verdier, 2008).
Je tiens en réserve, si vous le désirez, quelques autres anecdotes de la vie de Machiavel, dont l'une, en particulier, est formidablement drôle. On ne sait pas assez que Nicolas était doué d'un grand sens de l'humour et que certaines de ses lettres étaient si facétieuses que ses collègues de bureau en hurlaient de rire, le pressant de revenir au plus vite lorsque les affaires le tenaient trop longtemps éloigné de Florence. Au reste, il est également l'auteur de deux comédies, La mandragore et La Clizia, que l'on ne joue plus guère. Sa personnalité, tellement attachante, est à mille lieux de l'idée que l'on se fait de l'auteur impassible du Prince, ce bréviaire du bon usage du mal en politique.
Santi di Tito (1536-1603), Portrait de Machiavel. Palazzo Vecchio, Florence.
Ce portrait posthume de Machiavel est exposé au deuxième étage du Palazzo Vecchio à Florence, dans son ancien bureau de Secrétaire des Dix.
mercredi 3 septembre 2008
Gilles Deleuze
Dans un précédent billet, In Memoriam Pierre-André Boutang, j'ai mis en ligne le grand entretien abécédaire de Gilles Deleuze avec Claire Parnet (1996).
Le 20 avril 2002, France-Culture diffusa une émission passionnante : "Gilles Deleuze : avez-vous des questions à poser ?" que l'on peut réécouter à l'adresse suivante :
mardi 2 septembre 2008
Résistances à l'autorité
Ainsi que l'écrit une très chère amie, professeur de droit dans une prestigieuse université - je la remercie au passage de m'avoir signalé cet article sur le site du Monde : la "colère gronde" chez les myriades d'associations hostiles au Fichier Edvige. Le decret du 1er juillet qui l'institue fait l'objet de plusieurs recours devant le Conseil d'Etat et la pétition signalée dans un précédent billet a déjà recueilli plus de 90 000 signatures.
Voir :
www.lemonde.fr
Un article du Supplément de l'économie du Monde (mardi 2 septembre) présente un ouvrage collectif, Quand les cadres se rebellent (à paraître prochainement aux éditions Vuibert) qui raconte et analyse la rébellion de cadres, généralement sortis des grandes écoles, contre la "soumission à l'autorité" à laquelle les instances hiérarchiques invitent les salariés dans monde de l'entreprise.
A chaque conférence que j'ai été amené à faire suite à la publication, en 2005, du Un si fragile vernis d'humanité, banalité du mal, banalité du mal, il se trouvait toujours quelqu'un pour me dire à quel point ce que j'avais expliqué - les facteurs qui permettent de mieux comprendre la passivité destructrice, en particulier dans les systèmes totalitaires : la soumission à l'autorité, telle que l'analyse le célèbre ouvrage de Stanley Milgram où il expose et tire les conclusions théoriques des expériences qu'il mena au début des années soixante, le conformisme de l'esprit de groupe, le poison de la camaraderie, l'influence de l'idéologie dominante, etc. - à quel point, donc, tous ces "mécanismes" fonctionnent à plein dans le petit monde clos de l'entreprise, et combien rares, généralement, sont ceux qui s'opposent à ces "situations" d'aliénation au nom du sens de leur responsabilité personnelle.
Je n'ai pas encore lu Quand les cadres se rebellent, le livre n'étant pas encore paru, mais le compte-rendu du Monde donne fort envie d'aller voir de plus près ce qu'il en est.
Cette analogie entre le monde de l'entreprise et les régimes totalitaires, que l'on trouve déjà évoquée par Primo Lévi dans Les naufragés et les rescapés, constitue le thème du livre de Christophe Dejours, Souffrance en France, banalisation de l'injustice social (Points essais, Le Seuil, 2006).
Par contre, il est peu de travaux théoriques qui s'intéressent aux raisons des comportements de résistance et de rébellion - j'ai pour ma part essayé d'apporter ma petite contribution, dans la seconde partie de l'ouvrage mentionné plus haut, à ce sujet passionnant, mais fort peu exploré. A suivre donc...
Voir :
Un article du Supplément de l'économie du Monde (mardi 2 septembre) présente un ouvrage collectif, Quand les cadres se rebellent (à paraître prochainement aux éditions Vuibert) qui raconte et analyse la rébellion de cadres, généralement sortis des grandes écoles, contre la "soumission à l'autorité" à laquelle les instances hiérarchiques invitent les salariés dans monde de l'entreprise.
A chaque conférence que j'ai été amené à faire suite à la publication, en 2005, du Un si fragile vernis d'humanité, banalité du mal, banalité du mal, il se trouvait toujours quelqu'un pour me dire à quel point ce que j'avais expliqué - les facteurs qui permettent de mieux comprendre la passivité destructrice, en particulier dans les systèmes totalitaires : la soumission à l'autorité, telle que l'analyse le célèbre ouvrage de Stanley Milgram où il expose et tire les conclusions théoriques des expériences qu'il mena au début des années soixante, le conformisme de l'esprit de groupe, le poison de la camaraderie, l'influence de l'idéologie dominante, etc. - à quel point, donc, tous ces "mécanismes" fonctionnent à plein dans le petit monde clos de l'entreprise, et combien rares, généralement, sont ceux qui s'opposent à ces "situations" d'aliénation au nom du sens de leur responsabilité personnelle.
Je n'ai pas encore lu Quand les cadres se rebellent, le livre n'étant pas encore paru, mais le compte-rendu du Monde donne fort envie d'aller voir de plus près ce qu'il en est.
Cette analogie entre le monde de l'entreprise et les régimes totalitaires, que l'on trouve déjà évoquée par Primo Lévi dans Les naufragés et les rescapés, constitue le thème du livre de Christophe Dejours, Souffrance en France, banalisation de l'injustice social (Points essais, Le Seuil, 2006).
Par contre, il est peu de travaux théoriques qui s'intéressent aux raisons des comportements de résistance et de rébellion - j'ai pour ma part essayé d'apporter ma petite contribution, dans la seconde partie de l'ouvrage mentionné plus haut, à ce sujet passionnant, mais fort peu exploré. A suivre donc...
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