On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 14 mars 2013

Bref billet : le choix de vie des personnes âgées

Ce court texte que j'ai été amené à rédiger pour une revue médicale :

Une série d'enquêtes sociologiques récentes révèlent que la plupart des personnes qui ont atteint un âge avancé et qui ne peuvent plus vivre sans assistance privilégient, autant que possible, le choix de rester chez elles et de bénéficier d'aides tant professionnelles que familiales, et c'est encore ce choix qui fait l'objet de préférences de la part de leurs proches. Ce n'est qu'à défaut d'une telle possibilité – généralement offerte à la population la plus favorisée - que la maison de retraite se présente comme la solution ultime. Encore convient-il de distinguer selon que cette solution a été librement choisie ou, au contraire, imposée aux personnes concernées sans leur consentement. La seule perspective qui soit majoritairement rejetée est de prendre à son domicile la personne dépendante.
La vie en institution est faite de diverses contraintes, liées en particulier aux règles de la vie communautaire, qui sont d'autant mieux acceptées que la personne a résolu de son plein gré de s'y soumettre. On comprend qu'un principe fondamental est au cœur de ces décisions : le principe d'autonomie. Ce qui anime les intentions des personnes interrogées, c'est le désir, sans doute légitime, de rester aussi libres et autonomes que possible. Quoique la maladie et l'âge puissent réduire la liberté de mener sa vie « chez soi » comme on l'entend, il s'agit autant que possible d'éviter de peser sur ses proches et de dépendre d'eux. Les motivations des uns et des autres sont cependant diverses. Les familles éprouvent généralement un réel sentiment de responsabilité à l'égard de leurs parents âgés, mais, dans le même temps, elles entendent mettre des limites à ce qu'elles sont prêts à consentir en termes d'aide. Si la relation du don opère dans les relations entre les générations, ce n'est pas un don sacrificiel et illimité. Tout se passe comme si il était entendu que la personne âgée doit demeurer à l'écart de la vie familiale (soit en la maintenant à son domicile soit en la « plaçant » en maison de retraite) et cette nécessité est également partagée par l'immense majorité des personnes qui ne sont plus en état d'assumer seules leur existence. Personne ne doit peser sur personne, telle est la norme fondamentale qui accompagne secrètement l'idée d'autonomie.
Cependant une telle vision a pour défaut premier de passer à côté de ce qui constitue la réalité dans laquelle la personne âgée se trouve, et qui est tout autre, à savoir une situation de dépendance et de vulnérabilité. Or il y a une opposition essentielle entre l'idéal d'autonomie et la reconnaissance de la vulnérabilité.
Considérer l'avenir de la personne âgée – et c'est un point de vue que elle-même adopte le plus souvent – à partir de l'idéal d'une vie indépendante, libre et autonome, envisager les diverses possibilités qui s'offre à elle à partir de ce critère n'est pas sans conséquence néfaste. C'est faire peser sur elle une certaine vision sociale – disons, libérale et individualiste – de ce qu'est la « bonne vie » : il faut être en forme, actif, être en mesure de jouer un rôle social valorisant, être créatif, etc. Mais dès lors que l'on ne se trouve plus en mesure de vivre, du fait de maladies ou de divers handicaps, conformément à cet idéal, tout se passe comme s'il fallait, malgré tout, continuer de le viser autant et aussi longtemps que possible. Or, il est un âge, et c'est aussi le cas de personnes gravement malades ou handicapées, où il est tout simplement impossible de satisfaire à ces exigences. Qu'arrive-t-il alors ? Le sentiment de ne plus avoir de raison d'être et de vivre, le sentiment d'être inutile ou en trop. Ce que les enquêtes montrent, c'est à quel point ces normes d'intégration sociale sont acceptées par tous, jusque par les personnes qui ne sont plus capables d'y répondre. Et l'on voit ensuite quels effets désastreux en résulte quant à l'idée qu'elles ont d'elles-mêmes.
Les courants du care qui sont apparus aux Etats-Unis à la fin des années soixante se sont d'abord pensés en réaction à ce idéal d'autonomie, de liberté et de rationalité. Ils proposent d'approcher la condition humaine à partir d'un autre angle, celui de la vulnérabilité. Celle-ci n'est pas le propre seulement des personnes âgées, handicapées ou malades, mais de la condition humaine en général. Tout être humain est ou sera un jour ou l'autre (et cela commence dès l'enfance) exposé à une situation de dépendance et de fragilité. Et bien qu'il en soit ainsi, il n'en résulte pas qu'il doive, à un moment donné, perdre toute valeur à ses propres yeux ou aux des autres. Les êtres vulnérables n'ont pas à être mis systématiquement à l'écart, serait-ce dans des institutions appropriées à leur cas. Il convient d'en prendre soin – de la l'importance du care – parce qu'ils sont autant que les personnes actives dotés de capacités à mener une existence digne d'être vécue et qu'il faut protéger. C'est une exigence de l'accueil qui s'oppose aux diverses modalités de « mise à l'écart » que proposent nos sociétés, s'agirait-il de maisons de retraite confortables et aménagées de tout l'équipement pour soigner les personnes qui choisissent d'y terminer leur existence

24 commentaires:

Catherine.Cudicio a dit…

Bonjour à tous,
La question des personnes dépendantes et vulnérables nous met en face d’une situation difficile car, valides et supposés responsables, nous devons prendre des décisions pour elles, et... les assumer. Or, ce seront presque toujours de «mauvaises» décisions, notamment quand il s’agit de placer la personne en institution.
Les institutions spécialisées font peur aux valides qui se «mettent à la place» des résidents. C’est ignorer la qualité des soins, de l’attention, portée par les professionnels dans leur immense majorité. Ils sont beaucoup plus compétents qu’un proche, même si affectivement ils sont moins concernés. Il est souvent nécessaire de secourir les aidants épuisés par les exigences d’une personne âgée atteinte d’une maladie d’Alzheimer, ou d’un autiste. Prendre une décision de placement ne relève pas d’une volonté égoïste de mise à l’écart, elle dépend de plusieurs avis: soignants, travailleurs sociaux, famille. L’idée étant d’assurer la sécurité et le bien être de la personne.
Cependant, la vieillesse n’est pas une maladie, même si on observe une tendance forte à médicaliser tout comportement jugé socialement non normal, du bambin turbulent, au vieillard tyrannique. Les personnes âgées valides préfèrent à juste raison rester chez elles, dans leur cadre, et c’est en effet la solution la plus respectueuse envers elles; c’est aussi la solution que les proches privilégient.
Le maintien à domicile d’une personne dépendante pose la question du sacrifice, or, celui-ci était dans la tradition assumée par les femmes qui, aujourd’hui ont prétention à vivre une vie digne d’être vécue. Décider pour un être vulnérable a un coût: affectif, financier, moral, social, qui doit payer?

michel terestchenko a dit…

Merci, chère Catherine, pour ces remarques si justes. Le sujet est évidemment extraordinairement complexe, et ne peut être traité à coup d'idées générales. J'ai juste voulu souligner un point, ce qu'il a peut-être de faussé dans cet idéal d'autonomie

Benyagoub a dit…

Bonsoir,

Ce billet vient à point pour moi car actuellement je m'occupe de ma mère âgée à son domicile.Et il me vient ce proverbe "si vieillesse pouvait et si jeunesse savait"...Je pense que le sujet s'inclut dans la question du lien social et de la protection de la mémoire, de notre mémoire collective.Le discours,la narration sur le passée est un bon vecteur d'une autonomie préservée ,de à partir de la,un facteur de préservation de la démence/dépression qui sont souvent co-présentes chez le sujet agée.

R. D. a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Michel Terestchenko a dit…

Cher Matthieu, il n'y a pas plus de "condescendance" à parler de personnes âgées, dépendantes ou handicapées, qu'il n'y en a nommer une personne qui ne voit rien ou presque un aveugle. A moins qu'on ne préfère parler d'une personne "à la vue déficiente", ce qui est un euphémisme politiquement correct.

MathieuLL a dit…

Cher monsieur Terestchenko,

J'ai vu un Mat"t"hieu, alors je ne sais pas de qui il s'agit puisque je n'ai encore rien posté !

[[Mais je suis d'accord avec vous pour le politiquement correct. Un aveugle n'est pas une personne à la vue défaillante, tout un vieillard n'est pas une personne dont les fonctions vitales possèdent une dérivée de signe négatif...]]

Michel Terestchenko a dit…

Oui, Mathieu, c'est drôle ce lapsus. Sans doute voulais-je que personne ne puisse se sentir visé. Et c'est bien mon intention, en effet.

la petite cédille a dit…

Comment faites-vous cher professeur pour nous proposer des billets sur des sujets toujours si pertinents ?
Cela fait des années que ces questions me taraudent vis-à-vis de mes grands-parents. Dans certaines familles en effet, c'est aux petits-enfants d'accompagner leurs grands-parents les dernières années de leur vie et jusqu'à leur dernière demeure.
Par ailleurs,dans notre société en général et dans le milieu professionnel ou médical en particulier,on a de manière scandaleuse oublié cette simple démarche qui consiste à demander leur avis aux personnes premièrement concernées avant de prendre à leur place une décision les concernant directement et intimement. Même s'il faudra aménager les envies émises en fonction du principe de réalité et de ce qu'il est possible de mettre en place ici et maintenant, avec une once de bonne volonté il est la plupart du temps possible d'accéder à l'essentiel des choix de la personne âgée.
Et puis, notre société décadente avec ses maisons de fous, ses maisons de vieux, ses centres de rétention...etc...n'a-t-elle rien de mieux à nous proposer ? Il me semble que Foucault a pointé cette tentation à l'enfermement de l'autre dès qu'il est un peu différent...il y a plus de trente ans. Il y a beaucoup de monde qui l'a lu depuis, qui en parle dans des amphithéâtres, des colloques. Personne n'a essayé d'utiliser ce qu'il a compris pour améliorer un tant soit peu ce pauvre vieux monde si mal en point ? Comment se fait-il que la philosophie n'aide pas les professionnels de la médecine, de l'action sociale, de l'économie solidaire à analyser et éventuellement réorienter leurs pratiques ? C'est vrai, il faudrait que les élus soient moins en représentation, en inauguration et prennent le temps de lire les philosophes eux aussi avant de vouloir agir dans l'espace public. Pour faire quoi ? pour aller où ?
Bien, je suis presque hors-sujet, et peut-être pas tant que ça. Savoir écouter nos vieux, nos grands-parents, nos ancêtres, c'est peut-être savoir mobiliser la même attention que lorsque on "écoute" un texte de philosophie, en tendant l'oreille pour être sûr de bien entendre, de bien comprendre.
Encore une fois, la "civilisation occidentale" ferait bien de prendre exemple sur la Civilisation Africaine qu'elle tente par tous les moyens d'étouffer (colonisation, néo-colonialisme, refus de médicaments, pillages généralisés). Eux, ils savaient vivre avec leurs aînés (même si dans les villages, cela pouvait aussi être source de domination sclérosante).
Je termine par quelques questions : pourquoi décider pour, à la place de et non avec ? Au lieu de se demander comme dans les médias "qui doit payer ?" (quelle question horrible pour le sujet qui nous occupe), demandons-nous plutôt qui dois-je aimer ? et comment aimer l'autre,quel qu'il soit, de ma famille ou rencontré dans la rue, jusqu'à son dernier souffle.
I.S

R. D. a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
R.Lecomte a dit…

Bonjour à tous,
Concernant la dernière remarque sur Nietzsche, je souhaiterais oser une autre interprétation de sa philosophie. Je pense en effet que c’est un contre-sens que d’assimiler la vulnérabilité de certaines catégories de personnes à la faiblesse, dans son sens nietzschéen. En effet, la faiblesse pour Nietzsche est avant tout le refus de voir la réalité tragique en face, l’incapacité à la supporter. Or n’est-ce pas là précisément une caractéristique de notre quête d’autonomie ? N’est-ce pas justement vouloir cacher la souffrance que de confier les personnes vulnérables à des institutions, pour préserver sa liberté ? Mais alors, cet idéal d’autonomie serait précisément le symptôme de la faiblesse, alors que la reconnaissance de la vulnérabilité serait une façon d’acquiescer à la réalité, bref une sorte de force...
R.Lecomte

Jean-Luc T. a dit…

Qu'est ce qu'être vieux? Une simple histoire de temps ou un temps fruit d'histoires?
Être jeune c'est gérer au mieux le temps de son histoire ou l'histoire de son temps?
Médecin depuis près de trente ans, j'ai croisé des jeunes de 90 ans et des vieux de 20 ans. Qu'en est il alors?
Dépendance, autonomie et que sais-je encore, sont souvent évoqués. Réalité certes. Douloureusement économiques bien évidemment. Suffisants? Je ne pense pas. Notre triste civilisation se dégradant au fil des siècles, a mis en place une culture de l'avoir en éliminant la richesse de l'être. Nous sommes passé de la recherche du bien être a l'assurance maladie, de la médecine de malades à celle des maladies, de l'offrande à le défiscalisation, de l'amour à l'assistanat.....
Une triste métamorphose qui n'a rien à envier à Kafka. L'économique a pris progressivement le dessus et parasite le comportement humain. On avance ainsi selon ses moyens ou ceux d'autres mais plus en conscience de ce qu'on a été de ce qu'on est et de ce qu'on ne sera plus. La souffrance de la perte prend le pas sur la sagesse d'être. Qu'importe le lieu de la retraite si Amour et Sagesse sont au rendez-vous tout au long de la Vie. Préparer sa fin de vie ne doit plus se faire en termes économiques mais s'établir au rythme et selon la richesse des relations affectives. Le problème ne devrait plus être socio économique. Notre civilisation se doit de retrouver les fondamentaux que certaines cultures dites primitives ont su préserver et qui feraient enfin de nous des humains que nous ne sommes plus depuis bien longtemps. Mon propos peut paraître prosélyte, naïf ou moralisateur mais depuis trente ans que je suis au plus près des hommes je constate une douloureuse dégradation qui fait qu'aujourd'hui, aux bonnes questions, on n'oppose, non pas de mauvaises réponses mais une réflexion dégradée.

MathieuLL a dit…

Bonjour à tous,

C'est drôle... la façon que nous avons de débattre sur les vieux comme s'il s'agissait de meubles aniciens et moisis dont on ne sait plus quoi faire lors d'un déménagement... Faut-il les refiler à l'armée du salut, ou bien les jeter dans une décharge ? Non, le mieux c'est de les conserver... puis de regretter de l'avoir fait.
Non, sérieusement, je trouve que les hommes sont "coincés" avec la mort. Le jour où les gens (vieux et jeunes) parviendront à voir en la mort quelque chose de digne, de naturel, voire de glorieux... alors ce genre de questions ne se posera plus. Je veux dire : ce n'est pas la vie en elle-même qui compte, mais ce qui la constitue. L'euthanasie, par exemple, pose problème parce que les gens ont des réticences à "ôter la vie". Ils veulent la conserver à tout prix : même dans les pires conditions. Mais non ! Il faut apprendre à mourir, savoir mourir. Pourquoi ne pas revenir au suicide des stoïciens ? Savoir quitter la vie lorsque la situation l'exige, lorsque le point de non-retour est atteint ? N'y-a-t-il pas quelque chose de malsain, voire de pervers, dans le fait de s'accrocher à la vie même lorsqu'il ne nous reste plus qu'une jambe de valide et les yeux pour pleurer ?
Un peu de naïveté de ma part peut-être...

la petite cédille a dit…

Quelques références qui me viennent à la lecture de vos belles ou fortes réflexions :
- la pièce Lendemains de fête de Julie Bérès sur la question de la vieillesse et de l'approche de la fin de vie actuellement en tournée en France : mise en scène et en lumière époustouflante de textes de Jankélévitch ; mais attention, ça secoue !
- je ne retrouve plus la citation exacte mais Simone Weil a écrit quelquepart qu'aimer son prochain comme soi-même implique de s'aimer soi-même comme un étranger... à méditer, n'est-ce pas ?
- Dans les 9 consciences du Malfini de Chamoiseau, "l'aigle", penaud et pataud, a tout à apprendre du colibri qui "fait sa part" sans se poser trop de questions inutiles et sans dévier non plus de son axe ou de son "éthique".
- S. Hessel a parlé de sa mort d'une manière simple et naturelle. Le réentendre à la radio au lendemain de son décès avait quelquechose à la fois de très émouvant et d'éminemment...roboratif.
I.S.

Emmanuel Gaudiot a dit…

Je suis d'accord avec votre point de vue sur la fin de vie, Mathieu, en prenant évidemment soin de reformuler cette option dans des termes moins cavaliers, moins nietzschéens, bien sûr!
Drôle d'époque, drôle de société que la nôtre : on veut absolument s'éviter la vue de la dégénérescence du corps et de l'esprit qu'est la sénescence, mais, à côté de cela, on montre tout : les télés font du "reality show", certaines scènes de viol sont diffusées sur internet...
Qui sont les vieux ? Certainement plus les anciens que l'on vénérait jadis pour leur sagesse! Non, maintenant, les vieux sont les dépassés (songez qu'ils sont tout juste capables de se servir d'une télécommande!), ils ne savent rien de ce monde et de ses lois. Changement, adaptation, défi pour le futur sont des mots que les hommes politiques eux-mêmes mettent en avant, pour être en symbiose avec l'air du temps, et son flot d'innovations ; comme nous tous, ils sont pris dans le tourbillon dans la fuite en avant. Quiconque ne souscrit pas à cet impératif se retrouve sur le bord du chemin. Notre soucis est captivé par l'appartenance à ce mode de vie ; exit tout ce qui peut retenir notre "progrès".
Ainsi déposons-nous aux abords de l'autoroute du progrès tout ce qui nous retarderait : les anciens en font partie.
Ce n'est pas par inhumanité que nous nous comportons de façon inhumaine, c'est par oubli.
Ce n'est pas par je ne sais quelle méchanceté que nous infligeons cette espèce d'ostracisme à nos aînés, c'est par soucis d'efficacité. Les familles ne sont plus un lieu d'unité, un noyau autour duquel s'enrobe une chair familiale fruitée, mais elles sont des points de chutes, les derniers refuges qui accueillent la détresse de chacun de nous, à la petite semaine, et pour un temps seulement. Leur structure, qui jadis était un écueil de pierre contre lequel l'extérieur se brisait est devenu une bâtisse de paille que les loups de la société ultra-libérale n'ont aucun mal à souffler. Plus personne ne reste à la maison : d'un point de vue égalitariste, c'est un progrès indéniable ; mais du point de vue des relations humaines, on a raté notre envol : ce que l'extérieur devait apporter de matière à penser s'est muté en résignation à ne transporter dedans et dehors que des impératifs économiques. L'humanité de la femme qui est sortie de sa cuisine a été sapée par les impératifs écvonomiques : peu importe à l'économie de charrier une femme à la place d'un homme (sauf peut-être l'avantage de pouvoir moins la rémunérer)!
Face à nous, plus rien, sauf un vide d'humanité. Chaque soir devient une récréation que l'on occupe dans une virtualité qui nous exonère de toute implication affective. Garder une personne âgée à domicile, si elle est dépendante, c'est opposer la perte de dignité qu'elle semble s'infliger à notre indisponibilité à la patience, à l'inaction (économique, s'entend)...
On ne sait plus, et l'on a peur ; on ne sait plus regarder les hommes mourir, et ainsi on ne sait plus comment mourir ; on a peur de la maladie, mais aussi de l'inutilité (ce concept à l'inverse de ce que l'on promeut par le mouvement incessant qui nous historialise), de l'altération si elle doit être une diminution de nos performances...
Nous semblons être placés dans un schéma qui ressemble fort à la sélection naturelle... tout cela pour cela!
Merci Michel de solliciter à nouveau un petit coin de notre âme.

Noel M1 SEPAD a dit…

Bonjour à tous,

Le sujet et le débat sont très intéressants.

En ce sens, je trouve le point de vue exprimé par Catherine très intéressant et pertinent. La mise en maison de retraite peut également être un geste d’amour, de soin, etc. Le personnel des maisons de retraite est formé à prendre soin des personnes âgées. Or, je ne le suis point. Certaines pathologies liés à un âge avancé peuvent être dangereuses (Alzheimer dont souffre 50% des personnes de plus de 85 ans…). S’occuper d’une personne dans un tel cas demande de véritables compétences et une expérience que nous n’avons pas nécessairement et qui dépassent très largement les meilleures intentions qui peuvent nous animer ;

La maison de retraite ne m’apparaît donc pas systématiquement comme une solution égoïste ou dénué de tout affect ou bienveillance (elle l’est sans doute dans certains cas, mais pas systématiquement). Par contre, les facteurs de bien-être en maison de retraite me semblent être un point particulièrement important.

Sans avoir de références en tête, je serais très fortement étonné si aucune étude en psychologie ne s’était intéressé aux facteurs influençant (favorisant) le bien-être des personnes âgées lorsqu’elles sont en maison de retraite. Il me semble qu’à la mise pratique et systématique, de ces facteurs est un point sur lequel les collectivités devraient travaillés… Ainsi, même si une personne est réticente à partir en maison de retraite, quels sont éléments qui vont lui permettre de se réapproprier rapidement et efficacement ce nouveau chez-soi pour diminuer ou voire disparaître le mal-être (voire même le malheur) d’un tel changement.

Enfin, je me permets cette petite interrogation. Je trouve (ce n’est point une critique, nous y sommes tous soumis, moi y compris), les propos de certains postes précédents teintés d’une certaine « désirabilité sociale ».On a coutume, en psychologie, de dire que seuls nos actes nous engagent. Que ferions-nous si nous étions également confrontés aux situations sur lesquelles nous débattons ? Serions nous tous prêts à accueillir, chez soi, à donner de son temps, de son argent, etc. pour un proche. Serions-nous prêts à ce sacrifice, ce don de soi… ? Le problème est complexe… mais merci pour la discussion très intéressante !

Noel M1 SEPAD a dit…

Bonjour à tous,

Le sujet et le débat sont très intéressants.

En ce sens, je trouve le point de vue exprimé par Catherine très intéressant et pertinent. La mise en maison de retraite peut également être un geste d’amour, de soin, etc. Le personnel des maisons de retraite est formé à prendre soin des personnes âgées. Or, je ne le suis point. Certaines pathologies liés à un âge avancé peuvent être dangereuses (Alzheimer dont souffre 50% des personnes de plus de 85 ans…). S’occuper d’une personne dans un tel cas demande de véritables compétences et une expérience que nous n’avons pas nécessairement et qui dépassent très largement les meilleures intentions qui peuvent nous animer ;

La maison de retraite ne m’apparaît donc pas systématiquement comme une solution égoïste ou dénué de tout affect ou bienveillance (elle l’est sans doute dans certains cas, mais pas systématiquement). Par contre, les facteurs de bien-être en maison de retraite me semblent être un point particulièrement important.

Sans avoir de références en tête, je serais très fortement étonné si aucune étude en psychologie ne s’était intéressé aux facteurs influençant (favorisant) le bien-être des personnes âgées lorsqu’elles sont en maison de retraite. Il me semble qu’à la mise pratique et systématique, de ces facteurs est un point sur lequel les collectivités devraient travaillés… Ainsi, même si une personne est réticente à partir en maison de retraite, quels sont éléments qui vont lui permettre de se réapproprier rapidement et efficacement ce nouveau chez-soi pour diminuer ou voire disparaître le mal-être (voire même le malheur) d’un tel changement.

Enfin, je me permets cette petite interrogation. Je trouve (ce n’est point une critique, nous y sommes tous soumis, moi y compris), les propos de certains postes précédents teintés d’une certaine « désirabilité sociale ».On a coutume, en psychologie, de dire que seuls nos actes nous engagent. Que ferions-nous si nous étions également confrontés aux situations sur lesquelles nous débattons ? Serions nous tous prêts à accueillir, chez soi, à donner de son temps, de son argent, etc. pour un proche. Serions-nous prêts à ce sacrifice, ce don de soi… ? Le problème est complexe… mais merci pour la discussion très intéressante !

parzyjagla kleinhans charlotte a dit…

Que signifie l’idéal d’autonomie à un moment de la vie où l’on est physiquement plus capable de se débrouiller tout seul ? J’entends dans ce que vous dites toute l’ambiguité de parler d’une solution lorsque l’on fait face à de telles difficultés.
A bien des égards évidemment, la maison de retraite s’affirme comme une solution idéale, je parle d’abord des cas où il y a une nécessité d’être dans une maison médicalisée, lorsque les proches ne peuvent plus assister convenablement la personne âgée. Mais aussi parce que cela protège la famille d’un poids et permet à la personne âgée de ne pas en être un pour sa famille.
Mais comment parler d’idéal dans une situation si difficile ?
Si la maison de retraite est un moyen, offert à certaines personnes pour régler le problème bien réel de la dépendance à un certain âge, elle est aussi une façon pour les proches de déculpabiliser face à leur absence d’investissement envers leurs parents et de nier la réalité de leur état. Personne n’aime voir les gens qu’il aime dépérir, souffrir et en ce sens, la maison de retraite permet de mettre à distance les familles de cette vision. Cela permet aussi à la personne âgée de se maintenir dans cet illusion d’autonomie, c’est à dire garder sa dignité face à ses proches. On constate en effet que la vieillesse est vécu de manière tabou et que l’attitude qui domine dans nos sociétés consiste à chercher par tous les moyens à se cacher la réalité.
Je pense à cet égard à Cicéron qui considère que la veillesse est noble lorsqu’elle se défend elle-même, garde ses droits, ne vend à personne et jusqu’au dernier souffle domine les siens. C’est aussi pour lui le temps des méditations et des mémoires, le temps du recours aux forces de l’âme et non du corps et « celui qui vit dans les études et les travaux ne perçoit pas le moment où la vieillesse se glisse en lui ». Ciceron également éprouve une évidente fierté à vieillir. Sénèque aussi, pour qui la vieillesse est la fleur de l’âge. C’est que pour l’un comme pour l’autre et comme pour tous les anciens Latins, ‘le vieux’, ainsi que le constate Ménie Grégoire est « un champion qui a réussit à durer, seul, parmi la foule innombrable des vaincus ».
Il est évident qu’il n’en va pas de même aujourd’hui. Dans une société dominée par le culte de la beauté et de la performance, la vieillesse est ressentie comme un fardeau qui rajoute à la peine éprouvée face à la dureté du temps, la honte devant la faiblesse.

ml l2 sepad a dit…

Bonjour,
La situation des personnes âgées est complexe ; ce qu'il y a de sûr c'est que tout le monde est concerné et sera concerné.
Peut-être avons nous peur de la vieillesse comme nous avons peur du cancer ?
Je pense que sans vouloir nous l'avouer à cause d'une blessure narcissique ou de la puissance des sentiments que nous éprouvons envers des parents devenus dépendants, c'est une mise à l'écart qui se produit. On place des vieux (ce mot a une connotation respectueuse en Afrique) dans un lieu dans ou à l'écart des villes ; comme on a pu faire avec nos "fous" à une époque pas si lointaine. Alors, même si je partage l'avis de Catherine quant à la prise en charge des personnes dépendantes à domicile qui reviendrait quasiment tout le temps aux femmes, il me semble que cette question de l'avenir des personnes âgées dépendantes ou non, n'est pas plus réglée que celle du mariage pour tous.

Pierre-Yves Clausse a dit…

Pierre-Yves Clausse M2 Philo SEPAD

Merci pour ces réflexions fortes intéressantes sur cette mise à l'écart des personnes agées. Plusieurs points ont retenus mon attention. Tout d'abord, ce constat déconcertant de voir à quel point les normes sociales qui favorisent l'exclusion, ou du moins la mise à l'écart, de la personne vulnérable, en demande ou dépendante, sont intégrées par les personnes agées elles-mêmes. A la faiblesse physique, morale et sociale s'ajoutent souvent la culpabilité de peser sur la famille. Ce point me paraît être la clef de voute de l'édifice... Comment faire en sorte de changer ou d'améliorer un système pensé comme juste par ceux qu'ils défavorisent ?
Je me permets ici de faire un lien avec votre article postérieur concernant l'entraide chez les plantes. Ce qui est remarquable, quand on compare ces deux articles, c'est de voir à quel point l'entraide, qui semble s'opérer naturellement dans le règne végétal exposé à des conditions de survies difficiles, ne s'opère pas naturellement dans nos sociétés. Je n'affirme pas ici qu'"on" laisse mourir les gens en situation de dépendance sans les aider du tout, mais simplement que notre tendance semble être de favoriser le groupe et de mettre systématiquement à la marge tout élément perturbateur (rattrapé par le biais associatif, caritatif, familial...).
Foucault analyse très bien ce phénomène dans sa célèbre "Histoire de la folie à l'âge classique" où il montre comment le lépreux, puis le fou sont exclus et placés hors de la société. Aujourd'hui nombre de "vieux" sont dans cette situation d'exclusion et il me semble que les parallèles soient nombreux avec les thèses de Foucault.
Cependant une grosse question demeure : "les exclus" ont toujours été minoritaires! Or le vieillissement généralisé de la population et la chute de la natalité dans les pays développés (sauf en France ou ce problème semble moindre) vont très certainement changer la donne du problème. Comment gérer une société ou les personnes de plus de 75 ans sont plus nombreuses que celles de moins de 15 ans... ? Que penser d'une société qui mettrait tous ses moyens à favoriser la fin de vie de ces concitoyens à l'heure de la rigueur et des coupes budgétaires ? A quel prix ? L'heure du choix sera difficile...

Aurore Zuccali a dit…

Les maisons de retraite confortables et bien aménagées sont rares. Le financement nécessaire à la mise en œuvre de tel projet engagerait des frais de réhabilitation trop élevés. Les familles ne pourraient pas toutes soutenir de telles réorganisations structurelles. Il me semble cependant que les politiques de gestion de ses résidences sont de plus en plus attentives au soin des patients, aux conditions d’accueil et d’implication des familles, ainsi qu’aux conditions de travail du personnel de santé. En témoigne la multiplication des réunions de travail autour de l’éthique. Or, ce soucis croissant de l’amélioration des conditions de vie, d’accueil et de travail reste soumise à la réalité économique qui bride les ambitions des décisionnaires et épuise les volontés de bien faire du personnel encadrant. Malgré cette tension entre le contexte économique et les ambitions éthiques, il faut noter les nombreux progrès dans la relation entre les résidents et les personnels soignants. Dans l’émission Sur les docks de France Culture qui consacrait une semaine d’enquête sur la vie dans les maisons de retraite, de nombreux témoignages affirment les améliorations des rapports entre résidants et personnels soignant depuis ses cinquante dernières années. La douleur des résidents malade n’est plus ignorée comme elle a pu l’être auparavant. Aujourd’hui des initiatives originales sont mises œuvre, à l’image du travail fait par les services d’animation qui s’efforcent d’agir pour que les résidents s’approprient leur nouvel et dernier lieu de vie.
Dans un hôpital de Haute-Marne près de chez moi, les résidants de l’Ehpad sont invités de manière hebdomadaire à participer à un projet théâtral. Cette activité semble efficace, les personnes se laisse aller à l’évocation des souvenirs et permet de garder un loisir qui change de l’ordinaire. Mais cela reste insuffisant. Malgré les efforts déployés dans ses structures d’accueil, de vie et de soin, on reste surpris, voir très mal à l’aise, face à l’ennui, la solitude, la souffrance psychologique ou physique de ceux et celles qui y finissent leur vie. Mais j’ai aussi eu l’occasion de voir des animateurs s’efforcer d’entraîner les personnes à chanter des chansons populaires. ..Le malaise était palpable. Malgré toute la bonne volonté, l’entreprise paraissait inappropriée et le désespoir de l’animateur était de plus en plus visible. J’ai également eu l’occasion d’accompagner une étudiante aide soignante dans la rédaction de son rapport de stage. Elle était prise de pitié par les patients, ce qui se traduisait par un discours infantilisant quoi que plein de sincérité. Son intention était bonne, mais l’attitude qui en découlait était déplacée. Il y a une éducation, une formation, un apprentissage à faire pour considérer nos aînés comme des personnes dans leur dignité jusqu’à leur mort.
Pourtant l’ambigüité d’une professionnalisation des démarches à suivre pour accompagner dignement les personnes est à souligner. C’est peut- être un premier pas vers l’amélioration des conditions que d’apprendre à respecter les personnes, mais il faudrait créer des conditions qui conservent la plus possible le naturel du contact humain. Je me souviens d’une petite maison de retraite venue passer un après-midi sur un terrain privé au bord de l’eau qui appartient à ma famille. Les personnes ont été installées en arc de cercle sous les arbres et les animateurs ont voulu leur proposer un jeu. Mais les personnes étaient intriguées par ce que nous faisions à côté, alors que nous vaquions à nos occupations familiales. Petit à petit l’arc de cercle s’est brisé. Des discussions se sont engagées entre les personnes de ma famille, extérieures au personnel soignant et les résidents de la maison de retraite. Une dynamique sociale s’est mise en place, et la vie est revenue. C’est probablement aussi ce que permet l’activité de theâtre dont j’ai parlé plus haut. C’est un prétexte ou un déclencheur pour raconter sa vie et la vivre encore en partageant des expériences passées on créer de nouveaux événements de vie.

Maud a dit…

La question du mode de vie des personnes âgées est en effet, comme le prouvent le nombre et le contenu des commentaires, un sujet qui nous concerne tous.
Pour ceux qui ont la chance de ne pas avoir perdu leurs parents jeunes, la question du choix de vie a de fortes chances de se poser à un moment ou à un autre.
J'ose à peine imaginer quel sera l'état des lieux lorsque, dans 30 ans, 50 ans, 70 ans, lorsque l'espérance de vie aura encore augmenté, que la population aura davantage vieilli, et que nous aurons peut-être à choisir comment passer notre vieillesse !
Amenée par mon métier à côtoyer de nombreuses maisons de retraite, j'ai eu envie de réagir à cet article en apportant ma propre vision qui n'est que ce qu'elle est.
De maison en maison, j'entends sans cesse les mêmes commentaires : les résidents sont de plus en plus âgés et dépendants. Cela est bien sûr dû au vieillissement de la population mais aussi aux efforts faits pour maintenir les personnes le plus longtemps possible chez elles.
Mais je souhaitais surtout signaler que j'ai pu constater, sur une période de 12 ans, une évolution sensible en faveur du respect de la personne et de son bien-être. Le personnel a été progressivement formé à considérer les résidents, non pas comme des numéros, mais comme des êtres humains ayant des émotions, des envies, des préférences ... et pas uniquement des besoins. Le fait de prévenir gentiment la personne avant de bouger son fauteuil, au lieu de la déplacer comme un objet ; le fait de lui demander son avis sur ce qu'elle a envie de faire, plutôt que de le lui imposer ; deux exemples révélateurs.
L'attention pour le bien-être des gens est enfin entré dans la plupart de ces maisons. Les personnes recluses - car avouons qu'il est difficile de prévoir de fréquentes sorties - ont aussi le droit de se faire plaisir et de retrouver un peu du bien-être qu'elles avaient chez elles. Une coiffeuse passe, une esthéticienne, une ou un sophrologue.
L'on constate aussi que le secteur "animation" prend de plus en plus d'ampleur. Des postes d'animatrices sont créés. L'animation correspond en fait à tout ce que font les résidents en-dehors du sommeil, des repas et des soins : lecture, gymnastique, jeux, exercices de mémoire, spectacles, concerts... Précisons que certaines maisons de retraite, il n'y a que 10 ans de cela, n'étaient pas dotées de service d'animation. Donc en-dehors de regarder la télévision, on ne faisait pas grand'chose.
Il semble aussi que la présence de psychologues dans ces établissements ait augmenté, preuve que l'on considère plus les résidents comme de vraies personnes, avec leurs émotions et leurs souffrances. Ces psychologues soignent maux de tous les jours, mais prennent aussi en charge les patients en fin de vie, ainsi que leurs familles. Ils sont aussi parfois présents pour soutenir et former le personnel.
Enfin, il me semble, et l'on pourra certainement me contredire, que les personnes qui travaillent en maison de retraite le choisissent, pour la plupart, par passion, car il ne faut pas nier non plus qu'il est préférable d'aimer ce métier qui n'est pas des plus aisés.
On m'a fait un jour une remarque qui m'intrigue encore : "C'est bien, parce que vous n'avez pas peur d'approcher les personnes et de les toucher." Peur de la vieillesse, comme d'une maladie contagieuse ? A méditer une autre fois !
Merci à ceux qui auront eu le courage de lire ce commentaire peu philosophique, mais que j'avais envie de partager.

Dianthus Glacialis a dit…

[Un jour, l’enfant qui demeure en moi pleurera sa mort dans le regard des autres ; seuls mes rides et ma voix chevrotante se reflèteront dans le miroir de ceux qui me regarde]

En lisant votre article, j’ai été renvoyée à une conversation que ma grand-mère et moi avons eue sur le suicide ; son suicide. Les horreurs qu’elle a vécues la poursuivent. La vie a fatigué son corps, son esprit, son bien-être. Ce qui lui faisait plaisir ne lui est plus accessible. Quant à sa fille et moi, elle ne nous voit qu’une fois par semaine. Son arrière-petite-fille ? Moins de cinq fois par an. La crainte de la maladie la ronge de plus en plus : sa santé est ce qu’elle a de plus précieux. Elle ne veut plus revivre les viols chaque nuit dans ses rêves, ni les violences, les déboires de l’alcool, les trahisons... Et les journées n’ont plus autant de saveur qu’avant. Elle veut mourir avant que sa santé ne se dégrade et que ses terribles souvenirs soient les dernières choses qui lui restent. Plus que tout, elle aimerait préparer sa mort avec soin et partir sereinement. Ranger ses affaires, mettre de petits mots pour ceux qu’elle aime, se faire belle, nous dire au revoir, et dire adieu à cette vie qui l’a tant malmenée.

Je suis la seule à qui elle a pu en parler. En écoutant ses paroles accablantes je me suis dit que si le suicide assisté existait en France elle en serait la plus heureuse. Que ferions-nous dans ce cas ? Mon désespoir à la simple idée de la perdre, celle que j’aime tant et qui m’a tant aimé, me pousserait à tout faire pour qu’elle s’y refuse. Mais ce même amour m'inviterait à respecter son choix et à la laisser partir comme elle le voudrait, sans souffrances, sans honte, sans maladie. J’en ai mal au ventre !

Ce soir, vos mots me mettent face à une autre réalité et me renvoient à un film dont on m’a récemment parlé. Je l’ai donc visionné et je peux affirmer qu’il compte parmi les plus difficiles qu’ils m’aient été donné de voir. Je ne pourrais retranscrire l’état dans lequel il m’a plongé alors je vais vous exposer quelques éléments qui rendent cette fiction frappante de réalisme.


[La suite dans le prochain commentaire]

Dianthus Glacialis a dit…

Plan 75, réalisé par Chie Hayakawa, dénonce les raisons de l’ouverture du droit à l’euthanasie dans une expérience de pensée réaliste. D’innombrables aspects sont d’ores et déjà visibles dans notre société. Leur mise en lumière ne peut que nous faire repenser la façon dont nous traitons ceux qui nous ont donné la vie.

Bref synopsis : “Dans un futur proche, le gouvernement japonais décide de régler le problème du vieillissement de sa population en votant une loi autorisant l'élimination volontaire des seniors, jugés inutiles et considérés comme une charge pour la société.”.

L’euthanasie, une bonne affaire !

Le gouvernement, par la gratuité et la simplicité de l’acte, implante dans l’esprit des personnes âgées qu’elles font “une bonne affaire” en s’inscrivant au programme d'euthanasie. Aucune condition n’est requise : nul besoin de maladie, de handicap, de souffrance pour y avoir accès, chacun pourrait bien continuer à vivre sa vie normalement. La crémation ou l’enterrement collectifs sont valorisés et une indemnité financière est versée à ceux qui, quelques jours plus tard, devront mourir.
Les vies sont achetées. La manipulation est à l’œuvre partout : dans les images, les publicités, le discours, le vocabulaire. On “aide” les personnes de plus de 75 ans qui sont “par nature très seuls” (par nature, vraiment ?). On s’assure qu’ils aillent jusqu’au bout : “Personne ne décide de mourir par plaisir, votre rôle est de leur donner le courage de sauter le pas pour qu’ils meurent dans la paix et sans regret”.
Pour assurer le succès de ce programme d’extermination, la stratégie de la honte et de la déchéance sociale est également utilisée. Les personnes âgées sont privées d'accès à l’emploi et n’ont parfois plus d’autre choix que de vivre dans la rue. Dans le même temps, des dispositifs anti-sans-abris poussent sur les bancs publics et une soupe populaire est installée sur un stand “Plan 75”. Tout est fait pour le rendre leur vie difficile et les faire dégringoler afin qu’ils se persuadent que leur mort sera non seulement profitable à la société, mais aussi profitable à eux-mêmes.
Quand bien même toutes ces stratégies ne fonctionneraient pas, le gouvernement met l’accent sur la noblesse de l’acte et joue sur les sentiments familiaux : “votre mort profitera à vos petits-enfants”. Si l’on peut refuser de se sacrifier pour une société qui nous maltraite, peu refusent de le faire pour leurs petits-enfants.

Alléger sa conscience

Dans la première partie du film nous ne pouvons qu’être frappés par la légèreté avec laquelle “le travail” est effectué. Plus tard, certains personnages ressentent bien un malaise mais ils ne parviennent pas toujours à reculer : ils sont comme enchainés à leur décision passée.


[La suite dans le prochain commentaire]

Dianthus Glacialis a dit…


La vie des personnes âgées, déchirement ultime de cette œuvre

Le plus difficile, je crois, est que ce film ne se contente pas de dénoncer froidement ce qui est à l’œuvre dans nos sociétés, ni ce qui pourrait advenir. Il nous met aussi face à une réalité que nous oublions parfois et qui nous rend responsable de ces tueries. En suivant l’histoire de Michi, 78 ans, on se rend compte que même lorsque tout s’effondre autour d’elle, elle ne parvient pas à baisser les bras et à quitter ce monde. On voit à travers elle toutes les joies qui demeurent dans la vieillesse : l’amitié, la tendresse, le chant, la sagesse, la contemplation, être en vie, sentir, respirer, toucher, voir, entendre. Tant d’images qui n’ont pas besoin de mots pour évoquer toute l’étendue du plaisir qu’offre la vie. Quant aux douleurs, à la perte d’autonomie, à la solitude, elles sont montrées avec tendresse, sans jugement : rien de tout cela ne saurait être prétexte à dévaloriser l’homme et la valeur de sa vie. Une belle leçon qui tranche parfois avec nos habitudes de vie actuelles.

Le mot de la fin

La vieillesse peut être belle, nous dit Chie Hayakawa. Chaque âge a son lot de souffrance, me dis-je. Ce n’est finalement pas l’euthanasie qui est interrogée, mais les conditions de ce choix. Ce choix n’est pas le reflet d’une décision libre : c’est un dernier recours qui est imposé par le gouvernement, mais aussi par nous qui y participons sourdement. Aujourd’hui alors, je repense à cette conversation avec ma grand-mère et je me dis qu’il est encore possible de lui redonner goût aux joies de la vie. Merci cher Michel pour ce bel article.