On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 25 mars 2021

Mohamedou Ould Slahi, Les Carnets de Guantanamo, et L'ère des ténèbres

Ce matin, l'acteur Tahar Rahim était l'invité de Léa Salamé sur France Inter. Quelle ne fut ma surprise d'apprendre qu'il interprète le rôle de Mohamedou Ould Slahi dans le prochain film de Kevin Mac Donald, The Mauritanien (Jugé coupable), à paraître sur les écrans en juin 2021. Il se trouve que j'avais consacré un long chapitre dans L'ère des ténèbres (Le Bord de l'Eau, 2015) au parcours terrifiant de ce jeune mauritanien qui fut accusé à tort d'être le cerveau d'un attentat terroriste à Los Angeles, dit "le complot de l'an 2000", déjoué au dernier moment, et qui fut détenu dans les centres de torture en Jordanie, en Afghanistan puis à Cuba.
A l'époque, la publication des Carnets de Guantanamo de Mohamedou Ould Slahi fut accueilli par un silence vertigineux dans la presse française et L'ère des ténèbres ne connut pas un sort plus heureux. C'est donc avec une grande émotion que j'appris ce matin la sortie de ce film. J'avoue également avoir éprouvé une petite fierté à en avoir parlé avant quiconque, donnant à comprendre l'importance essentielle de ce témoignage et des questions terribles qu'il pose aux démocraties occidentales.

Voici un extrait de ce chapitre intitulé, "L'odyssée de Slahi" :

Né en 1970, cadet de huit frères et sœurs, Mohamedou Ould Slahi est originaire d'un petit village situé près de la frontière sud de la Mauritanie. Il vient à peine de finir l'école primaire lorsque sa famille décide de déménager dans la capitale, Nouakchott, où son père meurt quelque temps plus tard. Malgré la situation précaire, il poursuit une scolarité brillante. Déjà animé par une profonde piété, l'adolescent apprend le Coran par cœur. A la fin du lycée, il obtient – et c'est soudain l'espoir d'un avenir meilleur pour cette famille pauvre - une bourse afin d'étudier en Allemagne où il suivra une formation universitaire en électronique. Mais, au début de l'année 1991, il interrompt ses études pour se rendre en Afghanistan et défendre une cause qui suscitait la ferveur des jeunes musulmans du monde entier : la lutte contre le régime de Kaboul, soutenu par les Soviétiques. Il sera formé au maniement des armes au camp d'Al-Farouq, près de Kandahar, geré par Al-Qaida, auquel il prête serment d'allégeance. Après quoi, il rentre en Allemagne poursuivre ses études. Début 1992, alors que le gouvernement communiste est sur le point de tomber, il reprend le chemin de l'Afghanistan et, après quelques combats, assiste à la chute du régime. Les divisions fratricides entre les moudjahidines qui succèdent à la victoire le convainquent de mettre un terme à son engagement. Mohamedou reprend ses études à l'université de Duisbourg et obtient son diplôme d'électronique. Il passera le reste de la décennie à travailler dans cette ville où sa femme mauritanienne le rejoint.
Ainsi qu'il s'en expliquera plus tard, à aucun moment le jihad qu'il avait mené contre les communistes n'était dirigé contre les Etats-Unis, lesquels soutenaient activement, à l'époque, les réseaux d'Oussama ben Laden. Celui-ci allait, pourtant, bientôt se retourner contre les Américains qui n'avaient été, à ses yeux, que des alliés de circonstance. La première guerre du Golfe, l'installation de bases en Arabie Saoudite et la politique impériale menée au Moyen-Orient, allaient faire des Etats-Unis les prochaines cibles d'Al-Qaida1. Mais ce combat de Ben Laden contre les Infidèles, ennemis de l'islam, ne sera pas celui de Mohamedou.
Le malheur veut qu'il avait conservé des liens avec ses anciens compagnons, ainsi qu'avec un membre éminent d'Al-Qaida, Abou Hafs, l'un des principaux conseillers théologiques de Ben Laden, qui se trouvait également être un lointain cousin et le beau-frère de Mohamedou. C'est l'appel que Abou Hafs lui passe, en 1999, depuis le téléphone satellitaire de Ben Laden qui placera Mohamedou sur le radar des services de renseignement allemands. Cette année-là, il déménage au Canada et s'installe à Montréal. Il loge pendant un temps à la grande mosquée Al-Sunnah où, le fait d'avoir mémorisé le Coran tout entier l'autorise à diriger les prières du ramadan, en l'absence de l'iman.
Peu après son arrivée, le 26 novembre 1999, un algérien est arrêté sur le sol des Etats-Unis à bord d'une voiture qu'il s'apprêtait à faire exploser à l'aéroport international de Los Angeles, le jour de l'An. L'homme à l'origine de ce qui sera appelé « le complot de l'an 2000 », Ahmed Ressam, était parti de Montréal. Appartenant à Al Qaeda, il a fréquenté la mosquée Al-Sunnah. Il n'en faudra pas davantage pour que, dans le cadre d'une vaste enquête sur la communauté musulmane de Montréal, Mohamedou Ould Slahi soit interpellé et interrogé, une première fois, sur ses liens avec les réseaux terroristes. Peu désireux de mener une existence où il serait constamment surveillé, il décide de retourner dans son pays d'origine, la Mauritanie. Le 21 janvier 2000, il prend l'avion pour Dakar, via Bruxelles, avec l'intention, pour raisons d'économie, d'arriver à destination par la route.
Ainsi que l'écrit Larry Seims : « Avec ce vol débute l'odyssée qui deviendra les Carnets de Guantánamo de Mohamedou. »

La suite :

https://www.editionsbdl.com/produit/lere-des-tenebres/

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