On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

samedi 14 novembre 2020

Vulnérabilité de la nature, vulnérabilité humaine

Notre responsabilité vis-à-vis de la nature n'a commencé à nous concerner sérieusement, à devenir une inquiétude occupant l'espace public et modifiant nos représentations et nos comportements, individuels et collectifs, le jour seulement où nous avons pris conscience que c'est l'existence même de l'humanité qui est en jeu. Nous avons alors réalisé que nous avons à l'égard de la survie d'une terre habitable une obligation irrécusable. Rien d'aussi existentiel et lié à notre survie ne nous oblige à prendre soin des réfugiés et à venir au secours de leur détresse.
La vulnérabilité de la nature, exposée aux conséquences destructrices de l'agir humain et qui exige des réponses politiques de première urgence, a bien évidemment des analogies avec la vulnérabilité des êtres humains en détresse. Mais seule la première nous touche dans notre existence vitale, la seconde ne s'adresse qu'à notre conscience morale. Ce qui n'est pas rien, mais visiblement insuffisant. Face aux réfugiés et aux demandeurs d'asile, à ceux dont le maintien de formes de vie humaines dépend de nous, pour beaucoup la réponse appropriée n'est pas de prendre soin (comme on le doit s'agissant de la nature), mais de chasser, d'éloigner, de fermer les frontières. Non pas d'assumer nos obligations envers ces existences fragiles, mais de se débarrasser de ces vies encombrantes.
Pourtant nous appartenons à la nature autant que nous partageons une humanité commune. Le devoir de protection nous impose des devoirs envers l'une autant qu'envers l'autre.

29 commentaires:

Vanessa Tch Nga a dit…

très belle publication qui peut aussi nous emmener à nous questionner sur les valeurs humaines et voir les valeurs d'une société? en effet de quel droit on se permets de dire qu'une vie en vaut plus qu'une autre ? es ce les conditions matérielles qui doivent limiter nos morales humaines? nous acceptons tous de protéger la nature. Es ce que notre existence vitale n'est pas lié à notre conscience morale? puisque c'est grâce à cette morale que nous arrivons a vivre en communauté et fait de nous des humains conscient respectueux des un des autres. pourquoi devons nous prendre soin de la nature sans se soucier des être qui y habitent peu importe leur origine? n'es ce pas une forme d'hypocrisie que de pensé protéger la nature sans se soucier des êtres humains qui y habitent?. Je pense que la vulnérabilité de la nature tout comme la vulnérabilité de l'humain sont tout deux exposées au conséquences de l'agir humain , puisque les humains y habitent et donc les conséquences sur l'un à des conséquences sur l'autre et vice versa. De fait je pense que les politiques publiques doivent se remettre en question quand il s'agit de migrant ou demande d'asile car si nous appartenons à la même nature et de fait sont soumis aux mêmes contraintes . je pense que notre devoir de protection ne doit pas se limiter seulement à une existence ou conscience vitale ou encore individuel mais bien à une conscience morale et donc collective qui permet le bien être et l'épanouissement de tout un chacun partout sur cette planète . ce qui permettrait un partage de valeurs communes et de fait un épanouissement de la nature qui verrait tous ses enfants heureux.


Vanessa TCH NGA.

Unknown a dit…

Le Mal qui détruit des vies humaines dans des guerres, vend des armes, réprime des peuples (légion d'honneur au maréchal Sissi, tortionnaire notoire!), refoule des migrants, afin de garder le pouvoir est aussi le Mal de Bayer et Monsanto par exemple qui détruisent non seulement la terre et les animaux mais aussi ceux qui la cultivent et les riverains (y compris des enfants) atteints de maladies mortelles (Parkinson, leucémies foudroyantes, cancers etc). C'est la vie même qui est atteinte ainsi tandis que les multinationales de l'agrochimie et les états couvrent ces crimes.
Voir par exemple "La Malchimie" de Gisèle Bienne sur les souffrances d'un ouvrier agricole atteint de leucémie.

Colette Camelin a dit…

Il me semble que votre propose visait surtout ceux qui se battent pour le climat à l'exclusion d'engagements sociaux (pour les plus victimes de l'économie mondialisée) et politiques (pour les "migrants", victimes de guerre, de tyrannie ou aussi du climat).

Je voudrais juste ajouter que "La Malchimie" montre le combat d'un homme juste et bon (l'ouvrier agricole Sylvain) contre la puissance démoniaque de l'industrie chimique.
(J'ai écrit un article à ce sujet dans le numéro des "Cahiers de la justice" sur la "vulnérabilité" en 2019)
Un détail: l'auteur Gisèle Bienne est rémoise.
Enfin, je signe: Colette Camelin

chebli a dit…

Le statut de domination (partie 1) :

En réaction au texte Vulnérabilité de la nature, vulnérabilité humaine, nous soulevons un rapport particulier : Celui d’une certaine domination détenue par un groupe occidental jouissant de certains droits. Le premier groupe se définit avec des termes comme « notre » et « nous » et se pose face à un groupe sans droits. « Ceux-là » ce sont les exilés, réfugiés et demandeurs d’asile ». Le texte pose une frontière distincte entre le « nous » et ces « autres » mais ajoute clairement dans ce rapport frontalier de l’altérité ; une domination et une dépendance : « Face aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, à ceux dont le maintien de formes de vie humaines dépendent de nous ».
Le « nous » jouissant de certains droits est celui dont certaines vies dépendent mais aussi il peut étendre ses droits cependant il ne le fait pas. Le « nous » ou ce groupe occidental européen vers lequel se rapprochent les « autres » ne protège pas son prochain car il n’est pas nécessaire pour sa survie de protéger cet « autre ».
Deux questions se posent alors :
1- Y a-t-il réellement un rapport de domination entre les occidentaux et les exilés et si oui, quel est sa structure et quelles sont ses manifestations ?
2- L’homme cherche-t-il uniquement à sauver ce qui est nécessaire à sa survie ?

chebli a dit…

le statut de domination (partie 2)
Pour tenter de répondre à la première question, nous convoquerons les concepts de territorialité et d’orientalisme.
Le territoire implique des limites contournant un espace socio- géographique, culturel et juridique. Un espace territorial idéal sera alors convoité par ceux qui résident dans un territoire tumultueux. On peut imaginer les flux migratoires d’un territoire à l’autre modifiant la structure sociale dans les unités territoriales ainsi mises en mouvement.
On peut d’ores et déjà exposer qu’il est nécessaire pour la viabilité d’un territoire que ce dernier soit en mouvement. De même qu’une langue devient stérile et meurt par manque de transformation, le territoire socio-géographique, politique, culinaire, philosophique est une unité vivante, fertile et de ce fait nécessite une irrigation constante depuis un ailleurs : un étranger!
L’orientalisme est un terme qui a été surtout déployé par le théoricien Edward Saïd. Théoricien palestinien qui a vécu sa vie balloté entre les pays arabes pour finalement s’installer aux Etats-Unis. L’orientalisme est un phénomène qui décrit deux mouvements : le premier est celui d’un intérêt culturel, politique et colonial de l’Occident envers l’Orient et surtout le monde Arabe. Le second mouvement est celui de la production d’une image de l’Orient par L’Occident.
Cette image est à la fois une projection de fantasmes des occidentaux envers les orientaux et objet commercial en Occident. Sa circulation et son ampleur dans l’imaginaire collectif provoque une déformation chez les orientaux et plus particulièrement les arabes dans leurs rapports envers leurs propres cultures, organisation de territoires, besoins, coutumes, systèmes gouvernementaux.
D’une part nous soutenons que les rapports entre territoires sont nécessaires pour la survie de ces territoires et d’autre part nous exposons un rapport particulier entre territoires où l’un incite l’autre à se conformer à une Image, un fantasme devenu canon. L’Orientalisme est un phénomène qui transforme radicalement le territoire culturel arabe en une unité bipolaire qui cherche à ressembler au monde occidental et s’enorgueillit d’être arabe. C’est bien de pays qui ont été colonisés, restructurés, imagés et fantasmés par l’Occident que les flux de réfugiés arrivent et s’entassent aux « points morts » européens ; Calais, Lampedusa…

chebli a dit…

le statu de domination (partie 3)
Notre première réponse à notre première question est donc qu’une image est une structure de domination culturelle, politique, gouvernementale et donc territoriale. Ainsi ceux qui produisent des images, dominent ceux qui regardent ces images et ceux qui appartiennent à cette image. Aujourd’hui nous pouvons faire appel à cette « image de la femme » qui a longuement et durablement prescrit, uniformisée et supplantée les femmes. Réduites et donc soumises à une unique image particulière, leur potentiel découverte de leurs envies singulières, leur développement libre et non contraint, restreint dans une image leur fut nié. De la même manière ; l’orientalisme dans sa définition d’image est une structure de domination.
Aujourd’hui nous nous voyons entouré d’images d’espèces animales en péril, des piles de déchets insurmontables, de l’angoisse du réchauffement climatique. Les réseaux sociaux font circuler des messages publicitaires pour des gestes plus « verts » et ironiquement une «consommation » plus « verte. Nous sommes entourés de ces images, peut-être pas suffisamment car l’état d’alerte environnementale ne rencontre pas une réaction politique rassurante mais génère un mode de consommation tout aussi industriel mais « moins polluant ».
L’image de la nature vulnérable est construite, éditée, déployée en faveur d’un marché, la « nature vulnérable » est engloutie par le corps capitaliste. La vulnérabilité humaine quant à elle n’a pas encore d’image à but commerciale. Elle ne circule que dans des petits flux, de fins ruisseaux. Fuocoammare de Gianfranco Rosi ou Médée de Pasolini (films traitant de l’étranger exilé) ne font pas les entrés de Demain, film écologique de Cyril Dion et Mélanie Laurent.

A ce stade de notre réflexion, nous pouvons répondre par la négative à notre deuxième question. Nous avançons donc que l’homme actuel occidental, ce « nous » que l’on voit tous les jours et dont on est un participant, ne semble pas chercher à « sauver » ce qui lui est nécessaire. L’homme s’avance dans des combats qui lui semblent nécessaires. L’histoire des représentations est une histoire de circulation d’éléments de Pouvoir au sens foucaldien du terme.
Les actions écologiques actuelles sont pauvres ou trop timides face à la gravité de la situation et la machine capitalisante ne cesse d’engloutir en son sein ces mouvements qui se veulent contre elle. Nous pouvons penser à la « prime à la conversion », initiative écologique du gouvernement qui pousse à la consommation des petits (au sens monétaire du terme) foyers. L’image écologique circule et celui qui la porte en lui, est volontairement ou non affecté.

chebli a dit…

le statut de domination (partie 4)
Il est indéniable qu’il nous faut réagir face à la crise sanitaire mais pouvons-nous établir que la crise humanitaire n’est pas tout aussi dangereuse et menaçante ? Quelles seront les conséquences de la crise humanitaire négligée face à la crise naturelle prise en compte ?


Le point de relation d’obligation entre occidental et réfugié ou exilé appelle notre intérêt. L’obligation d’étendre ses droits sur la tête d’autrui afin qu’il bénéficie à la manière d’un « ayant droit » d’un quotidien que « nous » jugeons décent fait écho à la notion de charité. Sommes-nous obligés de subvenir aux besoins de « toute la misère du monde » selon le mot et surtout l’image des ministres français. La charité ne peut s’étendre qu’à une poignée de bienheureux selon l’adage cité. L’image du sauveur occidental est premièrement teintée de colonialisme et secondement castrée par l’idée de manque de ressources.
S’agit-il réellement de la « misère du monde » et que signifie cette formulation, qui sont réellement ceux qui traversent la désolation pour arriver dans les tentes déchirées et la boue européennes ? Sont-ils vraiment « misérables » ces étrangers en quête de vie ?
Les images construites autour des mouvements de « fertilisation » excessive ou non des territoires ont selon les circonstances eu une valence positive ou négative. Cependant ces images sont telles qu’elles occultent ou au moins instaurent le doute sur leur véracité. « L’image manquante » que commentait Serge Daney dans ses années Libération, face à la première guerre du Golfe médiatisée mais jamais vue, jamais photographiée en est un symptôme.
« Il y a bien du direct en effet, mais c’est celui de l’actualité, pas de l’info. Ce qui est «en direct», c’est la mise en scène de toutes les infos : les vraies, les fausses et les manquantes. » (S.Daney, in « La guerre invisible », Libération, 1990).
Il nous semble nécessaire de délier les images de leurs fantasmes, des projections fantasmées des uns sur les autres, des images prescriptives et non descriptives du monde. Nous ne soutenons pas une censure de l’image mais une éducation à cette dernière, car elle régit indéniablement nos vies et aiguillent notre attention, nos postures politiques et sociales.

Marie Chebli M1 EAD Philosophie

Unknown a dit…

La colonisation et ses conséquences depuis les années 60 continuent de faire des ravages parmi les peuples, en Afrique notamment. La situation des jeunes gens abandonnés dans l’hiver glacial de Calais ces jours-ci est particulièrement terrible. Je souhaiterais comme vous plus de solidarité de la part des Européens, et plus de réelle étude de l’histoire coloniale et postcoloniale : les intérêts des multinationales (minerai, cacao, arachide, coton, huile de palme etc.) alliées à des gouvernements corrompus (voir Kourouma) ont empêché le développement de l’éducation, de la santé et d’une agriculture paysanne (voir René Dumont et Marc Dufumier).
Je comprends que vous ayez pu réagir aux représentations, aux images concernant l’écologie, mais il n’y a aucune opposition entre le combat pour la terre et pour les humains. Les humains sont reliés à tous les autres vivants. La terre s’en sortira toujours, jusqu’à l’extinction du soleil, mais les vivants sont menacés…
La vulnérabilité des humains est visible à Calais, elle est aussi visible dans le pavillon des cancéreux de l’hôpital de Reims par exemple, où la majorité des patients sont des agriculteurs et des viticulteurs atteins de maladies dues aux pesticides. Ils meurent de leucémie dans des souffrances atroces.
Le Mal qui précipite tant d’Africains vers la Méditerranée a la même origine que celui qui détruit les corps des paysans d’Argentine et de leurs enfants, victimes de la culture du soja transgénique qui rapporte gros à Monsanto-Bayer.
Les catastrophes dues au réchauffement climatique atteindront les nombreuses populations des deltas tropicaux et des lieux menacés par la sécheresse.
Certes l’élimination des abeilles peut vous paraître dérisoire, mais elles sont victimes de néo-corticoïdes qui portent aussi atteinte au système neurologique des agriculteurs et des riverains (maladie de Parkinson), en Europe, mais aussi au Burkina-Faso par exemple (culture du coton).
Même si des campagnes écologistes peuvent paraître parfois un peu maladroites, l’important est d’essayer de sauver les vivants et particulièrement ceux qui ont le courage de bouger, les voyageurs, les étrangers, aussi les chercheurs, ceux qui tentent de lutter pour la vie et la justice.
Colette Camelin

Frédéric CLÉMENT - M1 (Partie 1) a dit…

Au-delà des nations, des cultures et des civilisations, il y a l’humanité, certes – bien que certains nient l’existence de celle-ci, souvenons-nous de la fameuse phrase de Joseph de Maistre : « il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc., je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan : mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu. » (Considération sur la France, VI). De Maistre se trompe lorsqu’il sépare, par exemple, Français et Italiens : même race, même civilisation, même religion, où est la différence ? Bien sûr, la France et l’Italie possèdent chacune leur propre culture (bien qu’en définitive elles s’avèrent extrêmement proches), mais au fond, ces deux nations font véritablement partie d’un même ensemble. Alors oui, un tel discours est aujourd’hui inaudible, et de plus en plus ; c’est l’époque de la négation absolue, on nie les races, on nie les cultures, on nie les nations. Tout cela sous couvert d’une défense de l’Humanité, mais qu’est-ce que l’Humanité si ce n’est un agrégat d’éléments disparates et non mélangés ? La beauté de l’Humanité ne réside-t-elle pas justement dans sa multiplicité ? N’est-ce pas cette grande variété d’êtres humains qui fait sa richesse ? Dès lors, à quoi rime le multiculturalisme ? En vérité, il n’y pas plus anti-humain que cette volonté de mélanger les cultures.

C’est ce qui m’amène à questionner le désir que certains ont de secourir les réfugiés qui, au passage, sont loin de tous mériter le qualificatif de « réfugié »… On dénonce à grands cris ceux qui refusent de les accueillir, mais je pose la question : qu’est-ce qui nous oblige à les accueillir si ce n’est une morale altruiste et humaniste héritée du christianisme (ou plutôt d’un christianisme devenu fou) ? Certains sont sincères lorsqu’ils s’émeuvent du sort des migrants ou des réfugiés et lorsqu’ils veulent leur venir en aide, mais d’autres, en revanche, voient là l’occasion parfaite pour « métisser » l’Europe, pour la « multiculturaliser » davantage. Ne soyons pas dupes. Cependant, que ce soit dans élan altruiste ou destructeur, la volonté est la même : accueillir des individus d’une autre culture. Encore une fois, je pose une question : de quel droit certains se permettent-ils d’affirmer qu’il est humain d’accueillir les réfugiés et inhumain de les renvoyer d’où ils viennent ? Une humanité d’affrontements et de refus serait-elle moins « humaine », aurait-elle moins de valeur qu’une humanité d’amour et d’entraide ?

Frédéric CLÉMENT - M1 (Partie 2) a dit…

Dès lors, se pose la question de l’humanité : qu’est-ce que l’humanité ? Disons-le d’emblée, la croyance en une humanité pacifiée où les hommes s’entraident et s’aiment relève clairement, non seulement d’une illusion, mais surtout d’une véritable volonté de mort. Remémorons-nous ce passage du Gai savoir de Nietzsche : « à quoi tend de manière générale la morale, si la vie, la nature, l’histoire sont « immorales » ? Il n’y a pas de doute possible, le véridique […] affirme en cela un autre monde que celui de la vie, de la nature et de l’histoire ; et dans la mesure où il affirme cet « autre monde », comment ne doit-il pas par là même – nier son opposé, ce monde, notre monde ?... » (Le Gai savoir, V, §344). Le véridique, c’est cette croyance en un monde qui n’existe pas, en l’occurrence ici en un monde où les hommes fraternisent et vivent pacifiquement dans un pur amour. Ce monde n’a jamais existé et n’existera jamais, tout du moins aussi longtemps que l’homme sera homme. Le vivant n’est qu’affrontement, croire en la fraternité humaine relève donc d’une volonté de néant.

Par conséquent, l’homme qui défend la nature – j’entends par-là le vrai écologiste, et non pas le gauchiste qui sous couvert d’écologie travaille à la négation de l’homme et à son enlaidissement –, cet homme-ci à tout intérêt à ne pas intervenir quant au secours des réfugiés. La seule « morale » qui vaille, la seule « morale » qui ait de la valeur, c’est la morale de l’immoraliste, celle-là seule est en adéquation parfaite avec l’humain, c’est-à-dire avec la nature. Prendre soin de celle-ci, c’est avant tout ne pas la nier.

Yves CHARPIOT a dit…

Notre devoir est de s’occuper des deux à la fois comme le bébé et l’eau du bain. Les deux problèmes sont liés par la vie qui est en elle. Cependant c’est sur les modes d’actions que cela peut diverger. Et d’ailleurs en fonction de quels objectifs ? Mais sommes nous capable de construire un objectif à atteindre pour chacun ? Acceptons nous de voir des populations déracinées et leur misère ? Sommes nous capables à titre individuel de trouver une solution à ces détériorations humaines et d’environnement ? Certes nos gestes personnels au niveau de notre sphère peuvent avoir un tout petit impact, mais c’est mieux que rien ! Cependant que font les ultra riches pour participer aux changements aux changements nécessaires et à montrer l’exemple ? Quand les peuples eux-mêmes arrêteront ils de se faire la guerre pour des idéologies mal comprises ?
Nos représentants politiques sont souvent à la tribune des grandes chaînes de l’information pour nous solliciter à agir. Mais eux montrent-ils l’exemple ? Hébergent ils chez eux des immigrés ? Ce sont surtout les associations qui en regroupant des bénévoles agissent pour soulager un minimum de situations extrêmes : actions ramassage de plastiques, distribution de repas et produits alimentaires.
Pourquoi aussi les pays pétroliers de confession musulmanes, ne viennent-ils pas en aide à la détresse de leurs alter-égo confessionnels ?
Voilà bien des questions qui si une poignée de femmes ou d’hommes politiques de tous les états et de toutes les confessions se regroupaient, ils pourraient agir avec efficacité. Mais ces institutions n’existent elles pas déjà? Bien sur que oui, Unesco, et beaucoup d’autres qui sont financées par les états et viennent encore solliciter chaque individus, pour quelles résultats. Ces organisations entretiennent des salariés dans tous les pays, nous devrions être informés de leurs actions efficaces. Utilisent elles à bon escient les fonds collectés dans la population ? Quelques scandales ici ou là n’engagent plus le quidam à mettre la main à la poche ?
Finalement le seul domaine que nous maîtrisons autour de nous reste le seul lieu d’opération pour respecter la nature et aider les malheureux qui y vivent. C’est notre petite échelle, mais elle est la plus efficace.

Yves CHARPIOT a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Lucero LESEINE a dit…

Nous retrouvons deux problèmes fondamentaux, celui de la relation nature et culture, et celui de l’autrui, la relation « moi » et « autrui ». N’oublions pas que la culture implique une transformation de la nature, et qu’une préoccupation écologique a surgit, l’homme ne cesse de transformer son environnement et cela peut nous apporter des produits de ce travail vraiment catastrophiques, comme celui de devoir faire face à une pandémie. Quant aux « réponses politiques », nous devons nous rappeler que malheureusement l’instauration de l’ordre suppose parfois de prendre d’autres chemins que celui de la moralité, sensé de viser le bien, et j’ajouterai, le bien commun. Le second problème évoqué, celui de la relation « moi » et « autrui » est présent dans justement le « maintien » de ces « vies humaines encombrantes », est-ce que l’autre est mon ami ou mon ennemi ? Hegel nous rappellerait la dialectique maitre-esclave, deux consciences qui mènent une lutte à mort. Autrement, Levinas, nous dirait que « l’autre » ne doit pas m’inspirer le conflit mais il doit me faire appel au respect.
Votre article me fait particulièrement penser à Martin Buber, dans le « je et tu ». Selon Buber, l’homme est un être qui peut se penser en relation avec les autres et dans ce genre de relation de l’homme avec « l’autre » il adopte deux attitudes qui peuvent se manifester de deux formes, le je-tu et le je-cela ; cette dernière forme est basée dans l’objectification de l’autre, faire de lui « une chose ». de l’autre côté, le je-tu fait référence à la relation d’une personne avec une personne, et de cette relation un sentiment est né, un sentiment que selon Buber habiterait dans l’être humain, alors que dans la relation du je-cela ce qui est important sont les sensations. Buber signale également dans sa pensée que le fondamental dans la relation humaine est l’homme avec l’autre homme ; néanmoins ce dernier a la possibilité de rendre objet l’autre. Je considère que ce « débarras » dont vous faites allusion nous parvient du fait de voir « autrui » comme un objet du quel nous pouvons nous en séparer dès que l’on veut et ainsi ne pas faire appel à notre conscience morale, vivre dans notre confort, jusqu’au jour où le « autrui » s’agit de nous.

Mme. Lucero LESEINE
M1 EAD Philosophie URCA

Franck Dusseux a dit…

Vulnérabilité, Anthropocène et examens des mythes fondateurs de la modernité.

Une part déterminante du lien intrinsèque entre vulnérabilité humaine et vulnérabilité de la nature réside tout particulièrement nous semble-t-il, dans les fondements premiers de la conception humaine du lien à la nature, ce qui, bien évidemment, a par ailleurs infusé ensuite dans l’ensemble de nos rapports au monde, à la culture et aux liens humains. C’est en tentant de comprendre les principes de celui-ci que nous pourrons mieux saisir son lien avec notre vulnérabilité et celle de nature.

Ainsi, les premiers indices des principes fondateurs de notre rapport au monde sont singulièrement mis en lumière par le concept formé dans les années 2000 par le chimiste néerlandais Paul Crutzen : l’anthropocène, brossé comme étant une nouvelle ère géologique permettant de rendre compte du fait que désormais l’espèce humaine est devenue la force géologique la plus influente sur le climat, par le biais de ses activités, ce qu’il décrit ainsi : « Depuis trois siècles, l’impact de l’humanité sur l’environnement planétaire s’est aggravé. En raison des émissions anthropogéniques de dioxyde de carbone, le climat de la Terre pourrait dériver significativement de son régime naturel pour les millénaires à venir. On peut à juste titre désigner par le terme « anthropocène » l’époque géologique actuelle, dominée de diverses manières par l’Homme, qui succède à l’Holocène. (…) À moins d’une catastrophe mondiale – comme l’impact d’une météorite, une guerre mondiale ou une pandémie – l’humanité restera une force environnementale majeure pour des millénaires » (J. Crutzen Paul, « La géologie de l'humanité : l'Anthropocène », Écologie & politique, 2007/1 (N°34), p. 141-148.)
Ce qu’on appelle l’anthropocène succède à l’holocène (10000 ans, période interglaciaire relativement chaude), qui elle-même succédait au pléistocène. Ainsi, le changement climatique actuel mériterait que nous modifions le nom de l’ère géologique dans laquelle nous sommes. C’est pourquoi certain.e.s parlent de nouveaux régimes climatiques. C’est la première fois dans l’histoire humaine, que des humain.e.s sont contemporain.e.s d’un tel événement, d’un changement d’ère géologique, particulièrement inattendu, exceptionnel et rapide.


Franck Dusseux
M1 EAD Philosophie URCA

Unknown a dit…
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Franck Dusseux a dit…

Nous sommes désormais engagé.e.s et « moteur » dans cette mutation écologique en cours, qui nous surprend par le caractère inédit de la situation ainsi que par la prise de conscience de son irréversibilité, de son inéluctabilité et du parallèle établis avec l’équilibre précaire établi par l’humanité au sein du monde, et qui se perçoit désormais comme étant périssable, fragile et vulnérable. Ces concepts de mutations écologiques et d’anthropocène, viennent remplacer le concept de crise climatique (utilisés dans les années 70). En effet, cette dernière avait un aspect temporaire, fugace et presque secondaire.
Ce concept d’anthropocène pose une série de questions multiples d’ordre épistémologique, morale, politique, etc, mais en particulier dans le domaine des sciences humaines. Avec ce concept par exemple, l’histoire humaine et l’histoire de la planète sont complètement mélangées et articulées, alors que l’épistémologie moderne les avait séparées. Comment pouvons-nous désormais faire de la sociologie en prenant en compte ces questions climatiques et écologiques ? C’est pourquoi nous pouvons nous questionner dans ce sens avec Christophe Bonneuil sur notre vulnérabilité lorsqu’il caractérise l’Anthropocène comme signalant aussi « l’échec de la modernité qui promettait d’arracher l’histoire à la nature, de libérer le devenir humain de tout déterminisme naturel : les dérèglements infligés à la Terre font un retour en tempête dans nos vies, et nous ramènent à la réalité des mille liens d’appartenance et de rétroactions qui attachent nos sociétés aux processus complexes d’une Terre qui n’est ni stable, ni extérieure, ni infinie. » (Bonneuil Christophe, « Capitalocène. Réflexions sur l’échange écologique inégal et le crime climatique à l’âge de l’Anthropocène », EcoRev', 2017/1 (N° 44), p. 52-60.)
Par ailleurs, il existe d’autres paradoxes et ambiguïtés autour de ce concept d’anthropocène, révélant ainsi un peu plus la prise de conscience d’une vulnérabilité humaine. Ainsi, d’un côté on perçoit le changement d’époque géologique comme un danger certain pour l’humanité, alors que de l’autre côté, on appréhende l’espèce humaine comme une composante de l’échelle géologique elle-même, ce qui impliquerait dès lors, que l’humanité serait à elle-même sa propre et principale source de périls !

Dès lors, d’une part, toute action humaine semble vaine au niveau géologique, et d’autre part, cet anthropocène semble accorder une puissance inégalée à l’action humaine, puisque cette dernière a désormais la capacité de modifier le climat. Il ne s’agit plus de se rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature » (René Descartes, Discours de la méthode, texte établi par Victor Cousin, Levrault, 1824, tome I, sixième partie), ms on peut dire à présent que la puissance modificatrice de l’homme se confond avec la puissance d’action de la nature elle-même. L’humanité est dès lors devenue une force géologique de première importance, elle-même sujette à de complexes « effets secondaires », et des boucles de rétroaction principalement négatives pour son propre développement envisage comme sain, harmonieux et équilibré.

Franck Dusseux
M1 EAD Philosophie URCA

Holowecki a dit…

Contrairement à l’existence vitale qui porte les êtres humains à prendre soin de la nature qui les abrite, la conscience morale serait insuffisante à convaincre un être humain à venir au secours d’un autre. Pour cause, l’existence vitale étant commune à la totalité de l’humanité, elle l’unit dans un objectif commun, impossible à réaliser en dehors de certaines formes de communication et de solidarité, et rend l’alliance des êtres humains nécessaires à leur propre survie à travers la cause environnementale.
Toutefois, il semble que la conscience morale soit incapable de produire un tel effet d’union et de solidarité, et ce en raison du caractère culturel de la morale. En effet, chaque individu vivant dans un lieu et une époque donnés connait des normes morales différentes de celles d’un individu vivant au sein d’une autre culture. La civilisation éloigne donc d’une part l’être humain de la nature, en tant que les normes sociétales érigent une frontière entre l’homme politique, ses préoccupations économiques et sociales, et l’homme « de la nature », qui demeure dans de plus larges proportions en contact avec l’environnement, puisqu’il est davantage conscient de l’importance de ce dernier pour sa survie, et du fait qu’il doit constituer pour lui une priorité. D’autre part, la civilisation éloigne les êtres humains les uns des autres puisque, nous l’avons mentionné, les différences culturelles affichent des différences entre les peuples - bien que dérisoires d’un certain point de vue -, et ce faisant obscurcissent les liens qui les unissent, et créent des normes de concurrence et de hiérarchie.
La conscience morale, en ce qui concerne l’aide qui devrait être donnée aux êtres humains en détresse, ne doit donc pas être interrogée selon le dualisme du bien et du mal, car celui-ci n’est que relatif et ne représente pas la totalité de l’humanité. Or, il est ici question de l’humanité dans sa totalité, en tant qu’une partie peut en aider une autre, et qu’à l’avenir ce schéma pourrait s’inverser, voire se transformer en nécessité de communication et d’union dans un but commun - celui de la préservation de l’environnement, peut-être ? – Dès lors, si la conscience morale diffère d’une culture à une autre (et ce faisant confond les valeurs telles que le bien et le mal, le vrai et le faux, etc… et potentiellement justifie que l’on ne vienne pas en aide à autrui), pourquoi sa propre valeur ne serait-elle pas susceptible de variations selon les lieux, les époques : les circonstances ? Il semble que les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons appellent à une solidarité entre les êtres humains, et ce en vue de la préservation de l’environnement, qui elle, est nécessaire. La conscience morale dans le cas présent, quelles que soient ses valeurs, semble elle-même être de moindre valeur que l’existence vitale menacée et les moyens de la préserver.

Franck Dusseux a dit…

Toutefois, à travers ce concept d’anthropocène, il nous est désormais clairement possible d’interroger un pan de notre propre histoire collective, mais aussi d’en comprendre les rouages admis passivement sans jusqu’ici aucune remise en cause des éléments qui la composent. Nous pourrons ensuite apporter de nouveaux éclairages sur de multiples aspects de la vulnérabilité humaine, en la mettant en perspective avec celle de la nature. Il y a bien évidemment dans ce questionnement énormément de dimensions mythologiques : on est d’ailleurs en tout premier lieu en train de sortir de ce récit de la modernité, au sens où Bruno Latour la présente dans Nous n’avons jamais été modernes comme étant deux unités de pratiques totalement différentes :
1/ le clivage entre "humains" d'un côté, et "non-humains" de l'autre, présumant deux domaines ontologiques totalement différents - d'une part les sujets et les citoyens, et d'autre part les objets et les choses. Par le biais de ce ‘cloisonnement’, la modernité a pu se donner des institutions constitutives.
2/ l’élaboration, « par traduction, médiation ou mise en réseau, d'hybrides nature-culture » (Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes) tout à fait novateur et original. Ces nouveaux objets se composent en un grand « réseau » reliant et interconnectant toute une série de manœuvres méthodiques et stratégiques dans les champs de la science et du savoir, mais aussi dans ceux de la politique, de l’économie et du social, etc... La multiplication de ces hybrides met en lumière le « désenchantement et la déculturation du monde » d’un tout un chacun, pour conforter la fracture absolue qui existe entre humains et non-humains dans un mouvement circulaire.
Mais ce concept est bcp discuté, voire critiqué, car il ne rendrait pas compte de manière assez précise de ce qui est en jeu ou ce qui est en train de changer. On entend par exemple parler de la notion de « capitalocène » qui souligne la responsabilité du capitalisme dans la situation présente. On le substitue aussi parfois aussi au concept de « plantationocène » (comme dans les travaux des deux chercheuses : Anna Tsing et Donna Haraway), ce dernier concept cherchant à mettre en lumière à la fois l’importance centrale de la colonisation dans cette mutation climatique mais aussi à prendre en compte une version pas uniquement anthropocentrée (c’est-à-dire en envisageant le monde vivant en général). Ainsi, de nombreuses failles commencent à émerger, craquelant le « si fragile vernis d’une présomptueuse humanité ».

Franck Dusseux
M1 EAD Philosophie URCA

Franck Dusseux a dit…

En attendant cependant, ce que ne semble pas remettre assez en cause le concept d’anthropocène, c’est peut-être le mythe moderne de l’exceptionnalisme humain qui renvoie à ce grand partage dans la modernité entre d’un côté les humains, et de l’autre tous les êtres vivants, ces « autres qu’humains ». Peut-être que l’anthropocène en constitue effectivement l’ultime version, car malgré lui, de façon détournée et dans un mouvement de boucle de rétroaction, il exalte la toute-puissance de l’espèce humaine. Mais également, on entend aussi derrière ce terme, le fait caractéristique des « modernes » de s’être exceptés en tant qu’occidentaux par rapport aux autres visions et à d’autres approches du monde.

Ainsi, comme nous venons de le constater assez rapidement, il semble nécessaire et important de réouvrir nos mythes d’origines, à partir desquels nous pensons le monde, par lesquels nous intervenons dans celui-ci, et finalement grâce auxquels nous pouvons participer à celui-ci. Car, il y a désormais urgence à « réapprendre à vivre sur terre » (B. Latour, Face à Gaïa - Huit conférences sur le nouveau régime climatique), à réexplorer des conceptions du monde délaissées et oubliées, afin de tenter de transfigurer cette vulnérabilité humaine fraichement perçue en une force transcendant les difficultés rencontrées. Et nous pourrons peut-être soudainement nous (re-)découvrir « habitant un monde sensuel qui avait été là, attendant des années durant aux marges même de notre expérience, un terrain intime imprégné de chants d’oiseaux, d’embruns salés, et de la lumière des étoiles ». (D. Abram, Comment la terre s’est tue, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, Paris, 2013, p. 90.)

Et, afin d’être capable de dépasser cette prise de conscience récente de notre vulnérabilité de vivants, il nous est dores et déjà nécessaire d’interroger les mythes fondateurs sur laquelle repose cette modernité, ces mythes d’arrachement comme d’auto-engendrement au monde du progrès, inventés mille fois et en mille lieux sur des périmètres différents, et qui constituent des versions multiples et variées de ce mythe unificateur et moderne de l’exceptionnalisme humain, qui place l’être humain au-dessus de tout. Et nous pourrons alors, « en fin de compte, reconnaître la vie du corps et affirmer notre solidarité avec cette forme physique, (car) c’est reconnaître notre existence comme celle d’un animal parmi les autres sur terre, et ainsi retrouver et réactiver la base organique de nos pensées et de notre intelligence ». (D. Abram, Comment la terre s’est tue, op. cit.)
Nous entreprendrons donc prochainement, dans des billets ultérieurs, d’aborder les fondements, les caractéristiques et les postulats de base de certains de nos récits collectifs et de nos « mythes » constitutifs qui nous ont amené non seulement à cette prise de conscience concernant notre vulnérabilité, mais à l’orée d’une situation inédite et préoccupante, pour tenter d’infléchir notre propre direction.

Franck Dusseux
M1 EAD Philosophie URCA

Unknown a dit…

Vos recherches sont en prise sur les questions majeures pour les vivants.
Le livre de Baptiste Morizot "Manières d'être vivant" aborde de manière éclairante la dimension éthique (notamment en référence à Spinoza)

John Germond a dit…

Aborder la question du rapport à la Nature et à l’Autre sous l’angle de la vulnérabilité me parait on ne peut plus approprié et pertinent. Si vous le permettez, j’aimerais développer mon propos en me concentrant, en premier lieu, sur la partie relative à la Nature. Ainsi, en ce qui concerne la Nature, je me permettrais de poser que la morale doit rompre avec l'anthropocentrisme, c’est-à-dire cette idée selon laquelle la morale serait conçue pour l’homme. L’Homme n’est plus le centre ontologique ou métaphysique du monde. Il n’en est pas non plus la fin ultime. Il s’agit donc de considérer que ce qui fait la loi, c’est la Nature, et non plus l’Homme. La survie de la biosphère, et par conséquent de l’humanité, doit faire force de loi. Ceci nous amène mécaniquement à penser la question de la technique et, plus généralement, de la technophilie : ce qui est techniquement possible est-il moralement souhaitable ? La nature ne donne que ce qu’elle est mesure de donner. Sa capacité est finie. Pour autant, il semblerait que les sociétés modernes n'aient pas fait de cette considération un critère décisif dans l’élaboration de leurs décisions et de leurs grandes orientations (bien que les jeunes générations tendent à inverser la tendance). Heidegger utilisait, à juste titre, le concept d’”arraisonnement” pour qualifier ce rapport de domination à l’égard de la biosphère. En somme, l’Homme la considère, non plus comme un environnement dans lequel il pourrait évoluer de manière harmonieuse, mais bien plutôt comme un réservoir (supposé inépuisable) qui serait sommé de livrer sa puissance et sa vitalité. Cette conception n’est pourtant pas le corollaire de l’essor technique consubstantiel de la révolution industrielle. En son temps, Descartes disait déjà qu’il fallait se rendre “comme maître et possesseur de la nature”. Bien entendu, il ne s’agit pas là de faire de procès d’intention. Néanmoins, si l’on se penche sur l’histoire des idées, il est relativement aisé de constater que l’idée d’une prédation sur la nature semble être d’une banalité confondante. S’il m’est permis de faire un détour par l’Histoire, je me permettrais une référence au conflit israelo-palestinien. Lorsque les populations juives fuyant l’Europe se sont implantées en Palestine, beaucoup de théoriciens politiques ont justifié la présence de ces populations sous le motif que la terre qui avait été travaillée appartenait à ceux qui en avaient tiré l’usufruit. Cette argumentation se retrouve plus ou moins systématiquement en cas de colonisation, comme ce fut le cas lors de la construction de la nation américaine. Une fois encore, il n’est pas question d’instruire un procès. Pour autant, ceci sert notre propos : en posant le travail comme valeur suprême, on place de facto l’homme au centre du monde. Il est donc relativement simple de justifier toute forme d’action, du moment qu’elle sert les intérêts de l’Homme. Nous en revenons donc au début de notre commentaire.

John Germond (Etudiant en M1)

(Première partie du commentaire)

John Germond a dit…

(suite)

La prise de conscience ne doit pas simplement s’effectuer sur le plan écologique, mais aussi sur le plan moral. Il incombe aux hommes modernes de déplacer le centre de gravité de la morale. Les préoccupations de l’époque doivent passer de considérations purement anthropologiques à des considérations plus générales. En un sens, il conviendrait de revenir à une conception “héllenistique” du monde comme cosmos, c’est-à-dire comme un Tout, comme une entité close, hermétique, dont chaque élément serait interconnecté et dépendant des autres. La nécessité de poser ces questions est plus que jamais vitale. L’accroissement de la démographie pose le problème de la raréfaction des ressources et de l’érosion de la biodiversité. Le philosophe allemand Hans Jonas parlait de “principe responsabilité” (Prinzip Verantwortung). Nous avons un devoir à l’endroit de ceux qui n’existent pas encore, des générations futures qui ne sont pas encore là, et qui ne sont représentées par aucune force politique. Ce qui rejoint le principe de vulnérabilité que vous évoquiez si justement. Nos actions doivent prendre en considération la vulnérabilité de la Nature, de l’Autre, et ce ceux qui n’existent pas encore . Ce qui se joue, c’est la nécessité impérieuse de préserver les conditions de la vie, afin qu’elle ne soit pas compromise dans ses conditions actuelles d’existence, ni dans ses conditions futures. Il nous faut agir de telle sorte que l’on ne compromette pas la survie indéfinie de l’espèce humaine ou, si l’on suit notre raisonnement jusqu’à son terme, de l’ensemble de la Vie, et non pas seulement de la partie incluant l’humanité. En définitive, je trouve votre référence à la vulnérabilité particulièrement pertinente car elle fait appel à un sentiment de compassion et, si j’ose dire, un “sens moral”, plus à même de modifier nos représentations qu'un déploiement sophistiqué de rhétorique.

John Germond (Etudiant en M1)

(seconde et dernière partie du commentaire)

Margot MOUILLE étudiante en M1 Philosophie EAD URCA a dit…

Cette note démontre, une fois de plus, notre anthropomorphisme exacerbé. Comme à notre habitude, tant que nous ne savions pas que notre espèce, l'homme, était directement concernée et même menacée par cette catastrophe, la majorité d'entre nous n'y portait que très peu d'attention. Jusqu'au jour où, nous avons compris que la survie sur la Terre devenait véritablement compromise, y compris pour nous. Cependant, même à ce niveau là, l'égalité n'existe pas. Tous les hommes ne sont pas concernés au même point par ce stade critique de la santé de notre planète. Certains se trouvent contraints, à cause de leur situation géographique (qui dénote parfois de leur situation financière d'ailleurs) de fuir leurs terres, leurs maisons, pour survivre. Car la planète reprend ses droits, et elle commence bien souvent par les reprendre à ceux qui n'ont même pas eu l'occasion de la détruire. Ce sont les pays les plus développés qui ont joué le plus gros rôle dans cette catastrophe, mais ce seront sûrement les derniers à en pâtir. Pourtant, on se permet de rejeter ces réfugiés lorsqu'ils viennent chercher refuge simplement pour trouver un endroit paisible où reprendre leur vie, mise à l'arrêt bien malgré eux, et nous leur refusons, du haut de notre tour d'argent. Notre nature humaine et notre instinct de survie nous pousse à être enclins à la peur et nous font ouvrir les yeux (tardivement) sur la situation actuelle de notre planète. Cependant l'humanité, normalement intrinsèque à notre nature, ne se réveille plus, elle.

Edward a dit…

Le 16 juillet 1994, le réalisateur Isao Takahata sortait le film d'animation Pompoko qui raconte l'histoire d'un groupe de Tanuki (une espèce de canidés ressemblant au raton laveur), vivant dans une forêt japonaise. Face à la croissance démographique des humains et le développement des constructions de leurs logements, les Tanuki voient peu à peu leur territoire se réduire à peau de chagrin. La menace de l'homme les poussent à changer leur mode de vie, à surveiller leur démographie, eu égard à la réduction de leur habitat, mais pire que tout, ils voient leur forêt et leur montagne changer et se transformer en maison de l'homme. Afin d'éviter la destruction totale de leur habitat, ils décident d'enrayer cette expansion par tous les moyens dont ils disposent. Leur vaillance est à la hauteur du déni dans lequel ils se savent. Piégés par la puissance mécanique et l'aveuglement expansionniste de l'homme, les Tanuki sont amenés à survivre dans le monde urbanisé ou à mourir. Ce dessin animé, rempli d'humour et de frasques, témoigne de l'absurdité de leur condition. C'est un mélange entre leur volonté de continuer de vivre, comme ils l'ont toujours fait, et se pressentiment que leur combat est vain. Dans cette histoire, le spectateur est placé du côté de l'animal et comprend, même s'il n'a jamais considéré ce point de vue, que l'humanité s'est rendue maîtresse et possesseur de la nature au préjudice du vivant.

Edward a dit…

En premier lieu, il convient de définir ce qu'on entend par nature. Il s'agit d'un terme générique qui regroupe l'ensemble des êtres vivants, animaux ou végétaux, mais aussi les milieux dans lesquels vivent tous ces êtres. Ainsi, tout ce qui est sur la Terre peut être défini comme nature. De fait, l'homme fait partie intégrante de celle-ci. Toutefois, a contrario de l'ensemble des autres espèces vivantes, l'homme a modifié comme jamais cela ne s'est produit la face de la terre. En effet, L'homme a bouleversé le monde pour le rendre plus habitable, plus confortable pour lui, et n'a cessé de chercher et d'user les ressources produites par la nature. Il ne s'est pas contenté de s'adapter à son milieu, bien au contraire. Nombre de penseurs émettaient des réserves à emprunter la voie de l'exploitation des ressources, notamment les plus enfouies. Cela est particulièrement le cas d'Ovide dans les Métamorphoses qui écrit : "L'homme ne se contenta plus de demander à la terre féconde les moissons et les aliments qu'elle lui devait, mais il pénétra jusque dans ses entrailles ; il en arracha ce qu'elle y avait caché, [...] les trésors qui irritent nos maux. Bientôt le fer pernicieux et l'or, plus pernicieux que le fer, parurent au jour. A leur suite parut la guerre." Cette anthropisation du monde s'est, toutefois, profondément accélérée depuis le XIXème siècle, afin d'atteindre le seuil critique, c'est-à-dire un altération irréversible du climat et de la biodiversité ainsi qu'une pollution à l'échelle planétaire. En somme, l'activité humaine marque un tournant inédit dans l'histoire de la terre et notamment géologique. En effet, les effets conjugués de la consommation, de la technologie et de la démographie deviennent la force géologique dominante, c'est le monde de l'anthropocène. Dans son ouvrage Pour une philosophie de l'anthropocène, Alexander Federau écrit que l'anthropocène peut être présenté comme "une nouvelle époque géologique marquée par l'influence prépondérante des activités humaines et la fin des conditions climatiques qui ont prévalu tout au long de l'histoire." Il ajoute plus loin que "La montée rapide de l’impact environnemental d’origine humaine détruit l’idée d’une nature comme royaume séparé de l’homme, puisqu’elle est de plus en plus colonisée par la société. L’homme n’est plus un spectateur passif de l’évolution, mais une force géologique et évolutive active, qui transforme les milieux sur une échelle planétaire. Cette transformation n’est d’ailleurs pas à sens unique, puisque les plus grandes craintes liées aux changements environnementaux concernent les répercussions sociales qui en résultent. L’intrication entre nature et société est telle qu’il est de plus en plus difficile d’en parler de manière séparée : elles évoluent de manière conjointe. Pourtant, et c’est le paradoxe, l’Anthropocène affirme à nouveau la destinée exceptionnelle de l’homme, en proclamant l’entrée de l’histoire de la Terre dans « l’ère de l’homme »."

Edward a dit…

La crise écologique entraîne de facto une responsabilité, celle de l'humanité, bien qu'il faille modérer ce propos. En effet, il serait injuste d'imputer toute la responsabilité à tous les hommes, alors que seulement une partie a été actrice de ce changement et a été le moteur de l'expansion d'un modèle dévastateur. Cependant, est-il si évident que cette imputabilité soit intentionnelle ? Les avancées techniques et le pétrole ont permis à l'homme de sortir de la condition que la nature lui imposait. L'homme s'est affranchi et pour la première de son histoire, il est devenu en mesure de maîtriser son temps. Le progrès qui en a résulté a été exponentiel et a généré un confort et une richesse comme l'humanité n'en a jamais connu. Pourtant, Pierre Hadot rappelle dans Le voile d'Isis que Pline l'Ancien, à son époque, "s'inquiète des conséquences morales du progrès technique, qui entraîne au luxe, et finalement à la décadence des moeurs, au lieu de s'en tenir à la satisfaction des besoins essentiels de l'homme. Les recherches minières ont pour motifs la cupidité, quand il s'agit de l'or et de l'argent, la haine, quand il s'agit du fer. Elles sont d'autant plus inacceptables que la terre nous a offert à sa surface tout ce qui est nécessaire à notre vie et à notre santé."
Le modèle institué par les différentes révolutions industrielles du XIXème et XXème, sous l'effet d'un système capitaliste et de la société de consommation élargie par la mondialisation, a uniformisé au niveau mondial les aspirations. L'objectif envié, par tous, est d'acquérir le même confort et la même richesse que le monde occidental connaît. Les conséquences de ce modèle et a fortiori de cette globalisation de celui-ci sont la modification et la destruction de notre environnement tel qu'il existait auparavant. Toutefois, au travers du XXème siècle, des hommes se sont élevés pour mettre en garde l'humanité face à un tel progrès. Malgré ces alertes, l'homme a continué jusqu'à arriver au moment où l'évidence ne pouvait plus être occultée. Sénèque dans ses Lettres à Lucilius, écrivait déjà : "Tout ce qui devait servir à notre bien, Dieu notre père l'a mis à notre portée. Il n'a pas attendu que nous fassions nos recherches, il nous a spontanément pourvus. Les choses nuisibles, il les a enfouies au plus profond. Nous ne pouvons nous plaindre que de nous-mêmes. Ce qui cause notre perte, nous l'avons mis au jour contre la volonté de la Nature qui nous l'avait caché." De fait, la crise écologique révèle les conséquences de nos actions, cette conscience entraîne-t-elle une responsabilité ?

La notion de responsabilité renvoie à celle de liberté. En effet, si nous sommes responsables, cela signifie que nous avons été libres d'agir. Le liberté d'agir entraîne une conséquence et celle-ci n'aurait pas eu lieu sans une cause : nous. Néanmoins, est-il possible d'arguer que nous sommes libres ? Sommes nous libre de naître dans une société qui a existé avant nous, qui a de fait ses propres codes et règles, que nous n'avons pas choisi et dont nous sommes sommés de nous conformer ? Hannah Arendt, dans La condition de l'homme moderne, déclare que : "Les hommes sont des êtres conditionnés parce que tout ce qu'ils rencontrent se change immédiatement en condition de leur existence." et elle ajoute : "L'influence de la réalité du monde sur l'existence humaine est ressentie, reçue comme force de conditionnement."

Edward a dit…

Ainsi, comment être libre si nous sommes conditionnés ? Comment se sentir responsable si nous estimons ne pas être libre ? Depuis le plus jeune âge, nous apprenons à travers nos parents, puis de l'école et de l'environnement où nous allons nous développer à agir de telle ou telle manière. Notre manière de manger est conditionnée et il en découle une habitude et un certain plaisir dans celle-ci. Nos manières de nous amuser, de nous divertir ou de profiter sont conditionnées et il en découle à chaque fois une habitude et un certain plaisir dans celles-ci. Lorsque vous êtes confrontés à l'accusation d'être responsable de la crise écologique, alors que vous ne faites que reproduire par mimétisme le schéma dans lequel vous avez été élevé, on ne peut que relativiser cette responsabilité.

La recherche de la responsabilité induit la faute signifiant ainsi qu'il existe une norme comportementale à adopter. Celui qui transgresse cette norme se rend fautif et donc responsable de cette transgression. Or en l'espèce, exister dans une société où le mode de vie entre en conflit avec la "norme naturelle" de l'existence s'est se rendre fautif et par conséquent responsable des conséquences. "Nul n'est responsable d'exister de manière générale, d'être comme ceci ou comme cela, de se trouver dans ces conditions, dans cet environnement", écrit Nietzsche dans Le Crépuscule des idoles. Autrement dit, il faut se purger de toute culpabilité qui résulte de cette idée que nous sommes libres. En effet, c'est nous qui avons inventé ce concept de liberté pour nous rendre responsables de nos actions et nous obligez à les réparer, sous la contrainte de l'opprobre. En pointant la responsabilité des pays occidentaux, cela induit nécessairement que chaque individu est responsable et donc qu'il a disposé d'une liberté lui permettant de choisir le mode de vie adéquat.

Cependant, la non-responsabilité n'induit aucunement l'idée qu'il faille faire preuve d'irresponsabilité. La crise écologique révèle au plus grand monde la vulnérabilité de la nature et in fine celle de l'homme, mais aussi de la mécanisation des rapports humains. La toute puissance de l'homme prométhéen est mise à mal par l'évidence que l'homme n'est rien sans la Terre, il est en somme tributaire de celle-ci pour sa subsistance. Le changement climatique implique une hausse des températures qui aura des conséquences sur l'agriculture, sur l'amplification des phénomènes météorologiques violents, la rareté de l'eau et par la force des choses la migration de population victime des effets. En réalité, ce qui a fait la force de l'homme à travers son histoire, c'est le nombre. Plus l'homme est nombreux, plus il est fort pour réaliser ce qu'il souhaite. La reproduction de l'espèce était une condition sine qua none de sa réussite. Cependant, les révolutions industrielles successives ont mis peu à peu en place des moyens permettant à l'homme de s'affranchir du nombre pour entreprendre les tâches voulues. Toutefois, la reproduction de l'espèce n'a cessé d'augmenter pour atteindre les 8 milliards d'habitants en 2022. L'habitude de développer des ressources humaines étant installé depuis des siècles à perdurer, mais il ne s'agit pas, bien sûr, du seul facteur. En effet, les progrès de la médecine participent au développement de la longévité des vies humaines. En somme, ce qui faisait la force de l'humanité est devenue sa vulnérabilité. Dans un monde qui verra, peut-être, la raréfaction des ressources, comment entrevoir la possibilité de continuer une telle démographie ? Comment faire lorsque des pans entiers de la planète seront inhabitables et que des vagues de femmes et d'hommes viendront sonner au porte des territoires épargnés ? La crise écologique se lie avec une crise humanitaire et démontre la liaison intime entre vulnérabilité de la nature avec celle de l'homme par voie de conséquence.

Edward a dit…

A côté de la responsabilité classique, basée sur la faute et la culpabilité, donc condamnant une attitude passée, Hans Jonas propose une responsabilité nouvelle qui a pour particularité d'être une "responsabilité pour". Laurent Muller écrit au sujet de cette responsabilité : "L'obligation corrélée à cette responsabilité nouvelle n'est pas l'envers de ce qu'un autre me devrait, mais se trouve déterminée par "la chose qui revendique mon agir". Or cette "chose" n'existe pas encore : ce qu'on sait seulement d'elle, ce qu'on sent, à partir du sentiment de notre puissance qui nous engage à son égard, c'est qu'elle doit être. C'est le premier point. Le second, c'est qu'on doit agir pour que cette "chose" puisse être. Comment, en effet, passer du vouloir au devoir ? Par le sentiment de notre pouvoir, qui rend l'objet de la responsabilité vulnérable. Pouvoir, c'est devoir, c'est sentir sa liberté et son devoir, éclairés que nous sommes par notre intelligence." Cette responsabilité est guidée par la nécessité qui nous pousse à agir. Elle ne dépend point de ce qui a été, mais est tournée vers une projection de ce qu'il faut accomplir. Hans Jonas écrit que "la responsabilité est la sollicitude, reconnue comme un devoir, d'un autre être qui, lorsque sa vulnérabilité est menacée devient un "se faire du souci". Autrement dit, c'est dans l'identification d'une vulnérabilité qui est ressentie comme commune et partagée, c'est-à-dire que celui qui l'éprouve l'assimile comme un danger qui pourrait aussi le toucher personnellement, qu'il y a nécessité d'agir. La responsabilité se confond avec le pouvoir d'action et c'est dans ce sens que Hans Jonas expose deux modèles qui permettent d'exposer sa position, à savoir la responsabilité parentale et celle de l'homme d'Etat. Dans ces deux modèles de responsabilité, la responsabilité est totale, continue et portée sur l'avenir. L'avenir est ainsi au cœur de cette responsabilité. De plus, la spécificité de cette responsabilité est qu'elle est basée non pas sur une simple obligation de moyen, mais sur une obligation de résultat. En effet, les parents vis-à-vis de leur enfant se sentent obligés de subvenir à leurs besoins primaires, mais aussi, et surtout, de prévoir ce que l'avenir et l'aléa réservent. Hans Jonas écrit que l'amour, qui s'impose devant l'enfant, cette "force de l'immédiat, soustrait à tout choix", dont la "dépendance totale" oblige à agir. Cette responsabilité ne trouve pas sa cause dans obligation réciproque, elle découle de l'existence de l'enfant qui impose par la force des choses un devoir. Dans le même sens, on retrouve la responsabilité de l'homme d'Etat qui est soumis à un devoir analogue. Est-il possible d'appliquer cette responsabilité à la crise écologique ?

Toutefois, la responsabilité parentale est tributaire de l'amour des parents et concernant l'homme d'état de l'amour de l'intérêt général. Il s'agit véritablement de la limite qui empêche de voir la responsabilité de Hans Jonas s'imposer. Pourtant, il pourrait être tout à fait légitime d'arguer que l'amour de notre planète, de la nature, de la faune, de la flore, de ces paysages, de son climat, etc. suffisent pour rendre "responsable pour". De surcroît, il est tout à fait possible d'extrapoler, au nom d'une tradition chrétienne millénaire dans les pays occidentaux : l'amour du prochain comme moteur d'une "responsabilité pour". Ainsi, la vulnérabilité de la nature et la vulnérabilité humaine pousseraient à agir, à prendre une responsabilité totale, continue et pour l'avenir. Cependant, l'état actuel des décisions politiques démontrent, hélas, une toute autre position.

Edward a dit…

Si la vulnérabilité de la nature et la vulnérabilité humaine sont intimement liées, elles ne débouchent pas sur un consensus absolu pour agir. Après tout, agir pour son enfant ne signifie pas qu'on agit dans le sens adapté pour l'enfant, en tenant compte de sa singularité. L'éducation donnée résulte de valeurs particulières, propres à chaque parent. Il en est de même pour l'homme d'Etat qui agit pour l'intérêt général, mais cet intérêt est tributaire de l'interprétation qu'il en donnera. En effet, en fonction du bord politique, les valeurs diffèrent alors que tous servent l'intérêt général. De fait, la problématique provient de la différence de perception et donc de valeurs qui anime chaque être. S'il l'homme a tout intérêt à protéger la nature pour se protéger lui-même, tout dépendra de quel intérêt le plus puissant dominera au moment de faire des choix. L'intérêt dominant gouvernera la perception de l'action à accomplir et par conséquent la vulnérabilité de la nature et de l'humain seront interprétées en fonction. Il suffit de prendre l'exemple de l'utilisation des pesticides pour l'agriculture. Il est établi que les pesticides contribuent à la destruction des insectes notamment pollinisateurs et a fortiori de toute la chaîne qui en résulte. Or l'industrie de la pétrochimie apparaît comme étant essentielle pour l'agriculture conventionnelle. Ainsi, même si l'homme a conscience des dégâts occasionnés qui engendreront des extinctions, mais aussi des risques pour l'homme de développer des cancers en consommant des produits aspergés de pesticides et de voir une partie de la biodiversité s'effondrer. La primauté restent l'usage de ces produits, afin de permettre au système en place de maintenir sa productivité. D'autres exemples comme la pêche vont dans le même sens et attestent toujours de cette vulnérabilité commune entre les actes des hommes envers la terre et les répercussions in fine que l'homme retrouvera. Il sera temps pour lui alors de constater sa vulnérabilité qui pensait être réservée à d'autres. Certes, nourrir la population est une nécessité mais la question essentielle porte plus sur le modèle qui le permet que sur cette nécessité. La nuance d'un modèle, son questionnement, sa remise en cause, sa critique peuvent être une solution, toutefois l'intérêt de celui qui est en mesure de le faire peut être un frein à toute réflexion ou changement. En somme, le perspectivisme n'est pas la chose du monde la mieux partagée, car chacun pense, avant tout, de son propre point de vue.