On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal

jeudi 5 novembre 2015

Hospitalité

L'hospitalité est accueil de l'étranger dans son anonymat, dans son altérité absolue, sans que des conditions d'utilité, de réciprocité, etc. soient pré requises, sans quoi pourrait-on encore parler d'hospitalité ? Tel est le sens puissant, exigeant, radical, que lui donne Jacques Derrida dans un beau texte qu'il y aurait lieu de lire ou de relire (De l'hospitalité, Calmann-Lévy, 1997). Et, dans certaines circonstances dramatiques, cela est particulièrement vrai.
Dans un bel entretien avec Patrick Cohen, ce matin sur France Inter, Daniel Cohn Bendit rappelait les exigences de cet esprit d'accueil, louant la chancelière allemande, Angela Merkel, de les avoir mises en pratique envers les réfugiés syriens, et se désolant des violentes critiques auxquelles elle est désormais exposée. Elle a sauvé l'honneur de l'Europe, remarquait-il, par différence avec la frilosité dont fait preuve l'Etat français.
L'ancien député européen évoqua, hélas trop brièvement, l'échec lamentable de la Conférence d'Évian, organisée en juillet 1938 à l'initiative du président Roosevelt afin de venir en aide aux migrants juifs, allemands et autrichiens, cherchant à fuir la persécution nazie. Y fut décidé la création du Comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIR), mais aucun des trente pays, présents à cette conférence, n'accepta de délivrer de visas et d'offrir un accueil aux innombrables familles juives qui cherchaient auprès des nations démocratiques asile et refuge. Les contrôles aux frontières des pays limitrophes de l'Allemagne furent au contraire renforcés, alors que l'émigration clandestine se développait dangereusement. L'argument évoqué par les diplomates était que la crise économique et le niveau élevé de chômage dans leur pays interdisaient l'accueil de masses de réfugiés aussi considérables, alors que la guerre d'Espagne avait déjà chassé de leur pays des cohortes d'immigrés vers la frontière franco-espagnole et que nombre d'opposants au régime hitlérien avaient déjà fui leur pays. "La hantise des démocraties européennes était nourrie par la perspective de devoir accueillir une nouvelle immigration dont elles ne sauraient que faire". Incapables d'obtenir des visas aussi bien dans des pays lointains (Chili, Uruguay, Australie) que proches - tous se défaussèrent - les juifs allemands et autrichiens se trouvèrent pris au piège.Il y a là, en effet, une leçon oubliée de l'Histoire que nous ferions bien de méditer.
Je vous conseille vivement de regarder sur Dailymotion le documentaire de Michel Vuillermet, Stéphanie Roussel et Ilios Yannakakis, "Évian 1938, la conférence de la peur", diffusé par France 3 en 2011, primé par la SCAM en 2012. La comparaison avec la situation présente est saisissante, et accablante.

evian 1938 - la conference de la peur (1) par soleillevant32bis


evian 1938 - la conference de la peur (2 et fin) par soleillevant32bis

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