Selon Olivier Roy, avec l'engagement dans le djihadisme de jeunes gens dont une partie non négligeable sont des "convertis", nous n'avons pas affaire à une radicalisation de l'islam, mais à une "islamisation de la radicalité". L'analyse est très juste, et elle conduit à un changement profond de paradigme : ce à quoi nous assistons, ce n'est pas à une évolution ou une régression interne à l'islam, mais à son instrumentalisation "politique", une manière de faire de la religion l'exutoire du vide et de la dénaturer.
Nous nous étions trop tôt réjouis, avec l'effondrement du système soviétique, de la "mort des idéologies" et de la victoire, sans alternative, de la "démocratie de marché" et l'on parlait, avec Francis Fukuyama, de "fin de l'histoire". Cette fin n'avait rien de triomphal ; avec elle, l'avenir présentait l'atmosphère, mi résignée mi nostalgique, d'une pièce de Tchékhov. Le temps des combats d'idée était révolu, et ce n'était plus qu'une sorte de grisaille, tranquille et morne, appelée à s'étirer indéfiniment. La prédiction était erronée. Sur les décombres de Marx, de Lénine ou de Mao, ou encore du "tiers-mondisme", de nouvelles formes de contestation sont apparues - et elles apparaissent désormais en Occident, sur fond de nihilisme - rejetant en bloc le modèle de la société matérialiste de consommation qui est la nôtre. Oui, nous nous sommes réjouis trop tôt. Nous n'avons pas vu que le "désenchantement du monde" ouvrait la voie, en l'absence de toute autre voie, à des formes "religieuses" d'engagement dont nul n'attendait le retour.
Ce que l'islamisme radical, et Daech en particulier, offre avec une efficacité redoutable, c'est précisément ce que les idéologies traditionnelles ne sont plus en mesure d'offrir : un discours critique qui ouvre sur des "utopies", promptes à canaliser le désir de sens d'une jeunesse en perte de repères, de valeurs, d'idéal et d'espérance. Le malheur veut que ces nouvelles expressions de la radicalité conduisent à la légitimation idéologique de l'ultra violence. Là où les idéologies totalitaires parlaient au nom de l'histoire ou de la race, elles parlent maintenant au nom de Dieu. Et, naturellement, Dieu se tait.
Je le dis un peu trop grossièrement, mais un des aspects importants de la lutte contre la radicalisation passe par l'invention de nouvelles utopies, non meurtrières cette fois-ci. Comme me le disait une de mes étudiantes aujourd'hui, si on n'a pas d'idéal à 20 ans... Et, à cet âge, la quête de l'idéal s'accompagne généralement d'une exigence sans compromis et d'un goût pour le sacrifice. Or quel idéal nos sociétés offrent-elles à la jeunesse, en situation de chômage de masse, de dégradation du climat, de cupidité économique sans autre fin que la recherche du profit, de vide politique et, parfois, d'exclusion sociale ? C'est une question que nous devons sérieusement nous poser.
Au risque d'en heurter quelques uns, j'ajouterais que les religions et le christianisme pourquoi pas ?, pourraient, devraient, jouer un rôle essentiel dans ce renouvellement d'une "offre de sens".
On ne luttera pas contre la violence qui se réclame de Dieu sans l'aide des confessions religieuses, prises au sens large, moins encore en les traitant avec mépris. Naturellement, on pourrait aussi s'abreuver aux sources de la philosophie, lorsque celle-ci est inséparable d'un "art de vivre", chez Socrate, Epictète, Marc-Aurèle ou Montaigne...Mais là, c'est une toute autre formation qu'il faudrait avoir reçue.
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